vendredi 31 décembre 2010

31 décembre 2010 - San Francisco vol.1 San Francisco vol.1

31 décembre, jour de fête, je passe ma première journée à San Francisco, fermement décidée à trouver les Beatniks ou leurs fantômes en dehors des murs de ma sympathique -et peuplée- auberge de jeunesse. Une journée passée comme la houle.


En creux : regarder ma solitude et mon énervement, regarder mon avenir mais il n'y a rien devant parce que l'année se termine, et les rires sont déjà des insultes. Quoi tu es seule ? Tout ce que tu vois est vain petite, car tout ce que tu vois tu ne peux le faire voir. Et tu écris ! Pauvrette ! On n'écrit pas ce qui se vit, ce que tu vis tu le vis seule, et c'est comme si jamais ce n'était arrivé. Regarde ceux qui savent vivre, et ferme-la, trouve-toi une coquille et restes-y. Ils ont bien raison ceux qui aiment leur chez-eux plutôt que le monde. Quand on n'a pas sa maison sur le dos on l'a sur le cœur, et c'est lourd et ça fait mal. Allons belette, trouve-toi un terrier. Cache-toi, regarde la terre d'en-dessous elle y est sans épines.


En crête : fanfaronner. Seule et conquérante, moi contre le monde et moi pour lui, sur un bateau voir Alcatraz, le golden gate bridge, les lions de mer et les requins… J'ai vu le nord mes amis, j'ai vu le sud aussi, moi, moi et moi, et seule encore ! Ayez le courage, dites-moi donc que jamais vous ne l'auriez fait, les yeux pleins d'envie et d'ignorance ! Plus fort, je ne vous entend pas de ce côté du continent ! Dites-moi encore combien il faut avoir de ressources pour partir seule et découvrir, et puis après écrire, et dire que ce que j'ai vu, vous ne le verrez jamais comme moi dans la clarté du sujet seul, de l'être solitaire. Regardez ces touristes ! Ce qu'ils sont gras et bêtes. Nous avons les mêmes appareils, mais des yeux différents pour regarder dedans. Ce qu'ils regardent est aussitôt changé en plastique, en toc. Ah la vilaine Médusa ! Mais moi, mes braves, j'ai le bouclier ! Gravée par l'aventure, poli par le courage ! Oui, oui, voyons, ce début d'année ne ressemblera à aucun autre !


En creux : moi, différente d'eux, vraiment ? Me voilà pourtant au Pier 39, où je passe ma journée. Un Alcatraz à touristes. Vous y entrez, vous êtes piégés : des objets souvenirs à en vomir des mugs, des photos sur fond vert pour la forme, des restaurants sans âme (j'ai choisi un Hard Rock Café, pour la forme, sans y croire, il y avait là la guitare basse de George Harrisson, et son trop plein d'âme zen ne suffisait pas à réchauffer le lieu), et puis des attractions qui ont été l'Histoire. Je monte sur le bateau qui longe la côte en balançant nonchalamment, blasé du trajet -avec pour commentaire la voix du soit-disant Capitaine Némo, ils nous auront tout fait ! Jusqu'à la musique de conquistador quand on passe sous le pont. Ça fait pleurer les artistes. Et mourir le passé.



En crête : il y a le brouillard menaçant sur le pont et autour d'Alcatraz. Un air de fantômes, je vois bien. C'est parce qu'Alcatraz est si vide et abandonnée qu'on ressent la présence de ses vieux résidents. L'image suicidaire des flots sur les rochers. La fin du monde sur une île. Un beau pont aussi, et sur la côte San Francisco à travers la brume, toute en verdure et en vallons, souriante et légère, câline et frivole, derrière son voile blanc de mariée.



En creux : je pense à New York la sincère, où rien n'est jamais faux, où tout vient droit du cœur et de la chair. A « Frisco » comme ils l'appellent tout est séduction de bas étage, beaucoup d'alcool et de saleté, de la saleté jusque dans le sourire des gens qui ne veut plus rien dire. Je suis sur Pier 39, ici le sourire est une question d'argent, une affaire.



En crête : le tramway qui n'a pas vieilli, et je veux dire par là qu'il n'a pas rajeuni, et le conducteur rigolo qui ne veut même pas voir mon ticket. Ce soir, les tramways sont gratuits, « seulement si vous buvez », qu'il dit le contrôleur, « seulement si vous êtes soûl ». C'est dans l'air d'ici, l'alcool est de toutes les fortunes. Peut-être que là sont les Beatniks ?



En creux : je ne crois pas, ici on boit pour la luxure, pour la faim, on trinque avec la bêtise et rit avec elle. Les beatniks je crois buvaient pour l'énergie : écrire, parler, fêter, jouer, séduire, croire trouver l'élégance dans l'obscénité des haleines fétides.



En crête : je passe ma soirée dans une salle de concert hippie, un vieux lieu réticent à accueillir l'avenir. Où l'on chante Janis Joplin, les Doors, Jefferson Airplane, Santana. En essayant de leur ressembler.



En creux : ce concert aussi sonne faux. A l'heure où on ne croit plus avec passion à la paix et à l'amour, c'est misérable de les chanter. Laissons le passé chanter les chansons du passé, appliquons nous à écrire celles du futur. D'ailleurs voyons les beats sont morts ! Ils ont laissé des livres, et deux-trois conneries dans la tête des gens. Alexander Supertramp, lui aussi il est mort, “into the wild”. Enfin ils sont battus, les beats ! Pour de vrai ! Une bande de crevés qu'est-ce que ça peut bien nous apporter ? Pas mieux que ce sosie de Jim Morrisson qui se roule par terre devant un public sage, voire un brin ennuyé. Ou que cette fausse Janis Joplin derrière ses lunettes violettes. Alors même pour les beaux yeux d'un fabuleux printemps où je me suis trouvée avec, dans les mains, les Clochards Célestes, ça vaut plus le coup. D'ailleurs j'ai même perdu le bouquin.


En crête : 6 asiatiques derrière mon dos qui remuent la tête en cadence pendant toute la durée du concert, dans un exact même mouvement qu'on croirait orchestré pour faire rire.



En creux : aucun de mes amis ne me souhaite une bonne année, je dois être trop loin des heures. Ceux que j'aime dorment. Je traverse dégoutée, dans chaque rue, des foules de très belles filles en jupe si courtes qu'on croirait des ceintures, au bras d'hommes fiers et arrogants, machistes et vulgaires. Les plus ivres d'entre eux me souhaitent la bonne année, les moins ivres d'entre elles me jettent des regards en biais.


En crête : pour répondre à une promesse faite à moi-même, je me retrouve les pieds dans le sable pour fêter le passage à l'année nouvelle. Je n'ai pas eu à marcher longtemps, San Francisco a gardé ses petites plages pour les vieux romantiques, à peine sorti de la ville et les voilà. Je pense à l'Italie, où il fallait marcher pendant des heures pour trouver une plage qui ne soit pas privée. Des heures de marche dans la nuit après des journées d'autostop. Gênes surtout. A en devenir fou. Et puis sur les conseils d'un vieil italien, la plus belle crique d'Italie, enfin. On s'y endors sans mal bercé par le son des vagues, on se réveille sous la chaleur du matin, entouré de vieux italiens vrais de vrais. Un croissant, je saute à l'eau, elle est limpide. Il est 7h du matin. C'est à cela que je pense, et aux gens qui me manquent, surtout -que font-ils à dormir ?!- les pieds dans le sable, en regardant les ponts illuminées et les vallées de lumières.


Comme la houle donc j'avance, un peu fatiguée, un peu mal sur la mer, peu confiante en ce qui me vient et me viendra, peu décidée de mes choix, à peine reposée dans l'écriture. La voix sèche mais les yeux brillants, ce sera la fin de l'année 2010.





dimanche 26 décembre 2010

26 décembre 2010 - New York vol.39

Cotton Club, c'est le club de jazz par excellence. Au cœur de Harlem, le même quartier que j'habitais il y a moins de trois mois, il a été créé par un gangster pendant la prohibition. Et parce qu'on y entend ces deux termes “gangster” et “prohibition”, qui par leur célébrité ont traversé la frontière ténue entre réalité historique et fantasy rétro, Martin Scorcese en a fait un film… Cotton Club.





C'est donc là que j'étais ce matin, pendant que des jazz-men en nœuds-pap’s et trois grosses femmes noires débarrassées de leurs fourrures chantaient leurs prières en gospel. Autour de nous des parisiens, et qu'eux ou presque, venus profiter comme nous du jazz avec un sourcil levé, parvenant comme seuls savent le faire les français à être arrogants et bruyants à la fois. Mais dans un club de jazz, personne n'a rien à y redire. La prohibition n'était pas une époque d'ivrogne, et le jazz pas une musique de prolos que diable ! Ou bien… ?


Oui il y avait sans doute une petite note sur-jouée dans cette orchestration de club de jazz classieux où on paie son brunch plus cher qu'un repas complet de noël. C'est difficile de faire vivre le passé, de le faire passer pour du présent, tout en rappelant à tous à quel point il est lointain. Il faut choisir, il faut se débarrasser du sépia des cartes postales, il faut juste en garder l'essence muette, celle que tout le monde reconnait sans savoir pourquoi, une once de véritable. Malgré la qualité du tout, il manquait de cela, de la chaleur indéfinissable du “vrai”.


Mais c'était bien, quand même. Grâce à la musique, et à ce petit club cozy bien droit sous la tempête de neige qui hurle dehors. C'est des noëls comme on n'en a pas cent. Dehors on peut toujours essayer de prendre en photo la neige qui tombe, ce n'est pas facile, ou on peut faire de la luge sur les trottoirs, ou se jeter chez soi pour compléter ce brunch à volonté par ce qui lui manque réellement : un chocolat chaud.






vendredi 24 décembre 2010

24 décembre 2010 - New York vol.38

Il était temps que je découvre un nouveau New York. Avant d'embarquer pour San Francisco, avant de suivre timidement les traces des Beatniks, il fallait que je les guette ici, dans la grosse pomme. A Brooklyn, les jeunes leur rendent hommage constamment, leur réservent un bout de leur vie, sans doute non-assez dissolue. On a peut-être perdu l'habitude d'être fou, ou peut-être on le fait sous cape, les poésies d'ivrognes et de battus au milieu des batailles de la vie dure.





Alors les Beatniks vrais de vrais, ce qui reste de leurs squelettes, s'ils ne sont pas sur les routes gelées de Noël, où sont-ils ?
Dans les clubs ils faut croire, là où résonne encore le jazz, dans les caves millénaires où l'on trouve la bonne bière et la mauvaise chaleur. Alors j'essaie les comptoirs, un à un. Kettle of Fish, une grande cave où l'on peut jouer aux fléchettes ou discuter sur des canapés géants pendant que le jazz et -époque oblige- les chants de noël nous la jouent intello, une petite cheminée dans un coin et des bouquins autour, pas les bons, mais qu'importe, il y a assez pour se rappeler, assez pour imaginer les jeunes entassés sur ces coussins moelleux pour parler de combien c'est con un monde, et passionnant aussi. Nous on parlait de la France, du retour, et puis d'écologie. Et d'un joyeux anniversaire, un anniversaire d'enfant de la Lune.


Le lendemain soir, par hasard, me revoilà bouteille en main, et cette fois c'est à Bitter End, où Bob Dylan et Woody Allen auraient fait leurs débuts. Quelques tables en bois, un chanteur-guitariste et un bassiste sur une petite scène craquante. C'est tout, c'est timide, c'est un peu de l'histoire.


Alors demain je remets le couvert dans un petit club de jazz millénaire, on va dire, Cotton Club, où je compte écouter un gospel et déguster ces fameux brunch dont les new-yorkais sont friands, le tout à la fois, comme lorsqu'au-dessus de mes repas lisboètes de jeunes artistes venaient jeter leurs larmes chaque jour nouvelles dans des fados grimaçants. Il y a parfois quelque chose de comestible, dans la musique, c'est à croire.


Joyeux Noël, c'est con un monde. Mais passionnant aussi.






mardi 14 décembre 2010

14 décembre 2010 - New York vol. 37





La suite du tournage s'est avéré plus difficile que la première. Entre temps la réalisatrice s'est rendu compte qu'elle n'avait plus d'argent, et voilà que tout d'un coup nous étions nourris au pop-corn. Les gamins en avaient assez, rien n'était parfaitement organisé et nous avons terminé tard. Je n'aime pas ce film, c'est un problème. D'autant plus qu'entre temps j'ai lu la pièce dont est tiré le scénario, une pièce de Maeterlinck, et j'ai été dégoutée par l'idée que d'une oeuvre cynique, un peu dure mais très poétique, telle que les enfants aiment et dont les adultes se souviennent, on ait pu faire ce joyeux téléfilm où des fées parfaites apparaissent dans un rayon de lune pour montrer aux enfants que… que quoi ?


Bref, j'aurais aimé en avoir terminé mais voilà que la réalisatrice a encore mille choses impossibles à me demander…


Mais quoi, qu'importe après tout, c'est Noël ! Le froid a envahi la ville, la neige s'est abattue, la patinoire du Rockefeller ne désemplit pas, surveillée par ce haut sapin illuminé de 20 000 petites ampoules… non, il n'y a pas de doute. Curieusement, le plaisir que je ressens ces dernières années à l'approche de Noël n'est pas de même nature que celui que je ressentais étant enfant. C'est aujourd'hui que je perçois ce qu'on appelle communément “la magie de noël”, c'est aujourd'hui que je l'aime, alors que durant mon enfance cela restait une fête parmi d'autres, peut-être plus étrange, parce que les familles sont de drôles de choses dont je ne suis même pas sûre aujourd'hui de comprendre le mécanisme compliqué. Mais aujourd'hui, la simplicité de ce bonheur partagé me touche beaucoup plus. Et au cœur spirituel des Etats-Unis, dont je ne cesse de dire qu'ils sont de grands enfants, ce plaisir est décuplé. Ils aiment aimer. Ils adorent ça. Les maisons sont bourrées de lumières, et de décorations invraisemblables. Même les chants de noël, insupportables à toute autre heure, me paraissent bienvenus en cette période de l'année. C'est guimauve ? Tant mieux. On a le droit d'en rire, c'est fait pour.


Et tant que ce plaisir de petite fille devant un magasin de bonbon s'élève, une partie de moi s'attriste, un peu. Comme lorsqu'en revenant de la patinoire j'ai vu ce SDF qui semblait avoir fondu à l'intérieur de sa doudoune, comme s'il ne restait plus que des vêtements avachis sur eux-mêmes, dans le froid résonnant du métro. Voilà comment mes sentiments se mélangent à tout va, le plaisir prenant facilement le pas sur la tristesse, parce que, je ne sais pas… Parce que c'est maintenant et que maintenant est propice au plaisir.


J'ai terminé deux cours aujourd'hui, et c'était trop court. New York est une ville où je pourrais vivre un peu, pour de vrai. Parce qu'elle regorge de belles choses et de possibilités.
Heureusement, en sortant de classe, la neige tombait à petit flocons légers, parce que dans chaque fin d'année il y a une promesse d'avenir.






jeudi 9 décembre 2010

9 décembre 2010 - New York vol.36


Le même cookie géant dans une minuscule cave ; les mêmes Falafels sur la 72ème, le même cinéma aux fresques kitchissimes, le même pont de Brooklyn, les mêmes amis, les mêmes cours, les mêmes américains, les mêmes merveilles mais cette fois tout a d'autres couleurs. Mes dialogues imaginaires, mes compagnies de solitude se sont envolées pour laisser place à mon homme.

Alors tout est plus facile. Moins grandiose, moins envahissant peut-être car le pont de discours entre nous deux rend tout le reste étranger. Les immeubles qui pénétraient ma solitude nous regardent désormais, impuissant. Tout semble fait de joies simples et d'humour, et c'est encore un autre New York que je découvre, le dernier peut-être.


Le dernier. Mes dernières classes sont la semaine prochaine, j'ai des devoirs en avalanche, des billets d'avion à acheter, mon école en France à contacter, ça sent la fin, déjà, et comme toujours je ne comprends rien, pourquoi le temps passé parait toujours si court et le temps à venir si long ? Quand on naît il nous reste cent ans à vivre, et quand on meurt on a vécu 10 ans. C'est de l'anti- fatalité. Qu'importe, j'en suis là maintenant.


Je travaille toujours sur le projet de cette mexicaine, l'oiseau bleu. Le premier week-end de tournage s'est passé sans encombre. Jamais un tournage ne ressemble à un autre, jamais je n'en ressors avec la sensation d'avoir vécu quelque chose de banal. Les tournages sont toujours étranges, étrangers, et même le plus organisé paraît toujours tordu et mal foutu. Mais les différences culturelles jouent aussi dans la chose. Après un tournage entièrement composé de Coréen, me voici sur un autre entièrement composé de Mexicain. Dois-je préciser que tout est différent ?


Me voici propulsé sur un tournage ou “God bless you” (Dieu te bénisse) sert de “merci” et où mon travail est essentiellement de remplacer des portraits du Christ par des jouets d'enfants. Soit. J'ai trouvé deux oiseaux, qui piaillent derrière moi en ce moment même, mécontents que la lumière du matin les ai sortis de leur torpeur de petit animal. J'ai trouvé dans le New Jersey (loin, très loin) un site de location d'accessoires appelé “Anything but Costumes” (tout, sauf des costumes), dont je n'ai pas besoin d'expliquer ce qu'ils ont en location. A des prix défiant toute concurrence. Pour une poignée de dollars on peut y remplir un camion et le garder 28 jours. Un pays des merveilles du décorateur. J'ai donc pris mon homme sous le bras, c'est toujours utile, et nous avons embarqué dans un camion conduit par un américain vrai de vrai (19 ans il en faisait 30, car les américains sont massifs) pour un périple ridicule : aller tout à l'est du New Jersey chercher les accessoires, puis tout à l'ouest dans Long Island les déposer sur le lieu de tournage du lendemain, le tout à l'heure de pointe. Nous avons passé 7h30 sur la route, l'un de nous obligé de s'asseoir à l'arrière du camion sur le matériel ou sur les accessoires, accroché à la grille. J'ai trouvé ça drôle. Pressés par le temps -qui n'a pas ralenti en notre honneur- nous sommes arrivés sur le site juste avant la fermeture. Dans un hangar gigantesque trois grandes femmes rustres luttaient contre le froid dans d'énormes manteaux, et parlaient d'une voix de femme des cavernes. Je suis entrée avec les yeux qui brillent. Jamais je n'avais vu ça et croyez-moi, jamais vous ne l'avez vu. Du sol au plafond, sur des parquets grinçants, un bric-à-brac d'objets de toutes époques, entassés sans soin et sans ordre apparent sur des étagères rustres. Certains, souvent loués, ont gardé de leur lustre, d'autres s'évanouissent sous la poussière. Et ici les jouets, ici les lits, ici les lampes, et les paniers, les tableaux, les pots à cookie, les horloges, les portes, les fours à bois, les sacs, les… je ne sais même plus. Tout. Même ce à quoi vous ne pensez pas.


Le lendemain, sur le tournage, les choses sont allées vite. Deux gamins jouaient leur rôle à merveille. La petite fille me laissait pantoise. une véritable enfant moderne. Mignonne, bien sûr, 8 ans, sûre d'elle-même, impertinente, fatigante. Je la détestais déjà 3 minutes après son arrivée. J'ai appris à l'apprécier au cours de la journée. Elle parlait et savait tout mieux que personne, et regardait les gens de haut même et surtout quand ça lui était physiquement impossible. Une Dakota Fanning, une vraie. Mais surtout, elle était intelligente. Un peu trop pour son âge parfois. Ses parents étaient allemands, elle allait dans un lycée français, elle apprenait l'espagnol. Elle a donc passé la journée à parler aux uns en Espagnol, aux autres en anglais, à moi en Français et à sa mère en allemand à une vitesse qui défie l'entendement. Son français était même d'un registre de langage légèrement trop élevé, sans aucun accent et sans aucune faute, de sorte que son arrogance de petite blonde utilisait sa langue comme un jouet de plus. Mais au fond, elle était meilleure réalisatrice que la réalisatrice elle même, et son expérience d'enfant s'élevait déjà à de nombreux films. C'était parfois drôle, parfois triste, en tous points américains.


Mais au fond si la petite fille avait connu déjà de nombreux tournages sans que l'on sache très bien qui d'elle ou de sa mère en était le plus fière, je sentais le plaisir que cette môme avait d'être là, et c'est donc le petit garçon qui m'attristait un peu parfois. C'était un enfant, avec tout ce que cela peut signifier dans ses difficultés d'attention, et il était certainement moins bonne acteur que celle qui jouait sa petite sœur, mais il n'était jamais faux, toujours sincère. Or mon travail pour toute une moitié de la journée a été d'empêcher le père d'aller faire le manager de son fiston : “Je trouve que dans cette scène tu ne paraissait pas assez fatigué. Ressaisis-toi ! Qu'est-ce qu'on a dit la dernière fois ?”. Ce qui d'ailleurs était véritablement un cri d'appel à l'aide. l'envie d'avoir l'air de comprendre, de savoir, de maîtriser son fils tandis que hors du plateau il expliquait à quel point il n'avait plus aucun ascendant sur son autre fils de 14 ans. Il me semblait qu'il aimait l'idée que son plus jeune fils soit acteur parce qu'il lui semblait alors modelable, contrôlable. Il discutait seul avec l'actrice qui jouait la mère, laquelle avait dans la réalité deux enfants, de 13 et 16 ans. Le père parlait des siens, elle parlait des siens, et je prenait des photos. Il semblait triste et hagard et puis tout d'un coup “vous avez l'air d'être une femme très bien, et d'après ce que je vois vos enfants doivent être très bien aussi, mais est-ce que par hasard les vôtres seraient devenus comme les miens de sales connards ? ("fucking assholes” dans le texte)“. Le sourire imperturbable de l'actrice s'est imperceptiblement figé. Et tout d'un coup je l'ai vu ôter son costume d'égal pour enfiler celui de mère. Elle le rassurait, lui parlait de l'avenir, il regardait ses pieds. Ce sont des choses que mes photos ne seront pas montrer. Je les ai laissés.


Le soir, la fin du tournage approchant, les gamins fatigués et excités sont devenus fous. Ce qui me laissait un gros travail : refaire les lits, remettre les jouets à leur place, réparer le camion de pompier, les empêcher d'envoyer les oiseaux valdinguer à coup de ballons de foot… Mon décor, dont j'étais par ailleurs assez contente, semblait devenir un terrain de bataille.


Le tournage est arrivé à sa fin, il n'était pas très tard, et après avoir passé une heure ou deux à remettre tout exactement dans son état d'origine (il s'agit surtout de ne pas déplacer Jésus dans la forêt de plus de 4 centimètre, ou comment le christianisme devient du Feng-shui), nous nous sommes entassées dans une voiture, 7 dans une voiture pour 5, 5 mexicains et moi, conduits par un américain et alors l'ingénieure son a lancé "c'est fou ce qu'on a l'air mexicains dans cette situation !”. Nous avons tous explosé de rire. Et samedi, c'est reparti pour un tour.





mercredi 1 décembre 2010

1er décembre 2010 - New York vol.35

La vie est le scenario le plus improbable qui soit. Je n'invente rien, ce n'est pas une illumination du jour, c'est de la morale remâchée, et alors ? “Le premier à avoir comparé la femme a une rose…” : je sais, je sais.
Mais voilà, hier, ma professeur de travail d'acteur nous a accompagnées au siège de ce club New- Yorkais TRÈS privé de comédiens. Il a été fondé à la fin du XIXème (nous sommes a New York, le XIXème c'est déjà l'Histoire, avec un grand H) par un comédien célèbre que, tout célèbre qu'il est, je ne connais pas. Tout ce que j'en sais, c'est qu'il est le frère de l'homme qui a assassiné Lincoln. Et le mystique de la chose donne a ce club privé un peu plus de l'atmosphère que j'aimais lui donner, d'aristocrates criminels aux gants blancs : un Agatha Christie s'y trame lentement depuis un siècle et demi.





Pour les aristocrates, j'étais servie. Les dos plus droit que les épées exposées, mimes des portraits de toile qui s'étalaient sur tous les murs, spectateurs et acteurs se confondaient sur un ton posé et des sourires entendus. Le club n'est ouvert aux femmes que depuis 70 ans à peine, je suppose que la moustache y est encore de mise pour ceux qui peuvent la porter, du moins c'est l'impression que me donnaient ces messieurs. Les pièces étaient de bois sombre, presque vermillon, habillées de larges fauteuils et de chandeliers, chaque marche du large escalier verni ramenant un peu plus de comédiens du passé sur la scène du présent.


Et puisque “le monde est une scène”, ce soir-là Shakespeare était a l'honneur, encore. Je me suis assise devant le verre de vin qu'un élégant jeune homme venait de me glisser entre les mains -je ne bois pas de vin- et un autre homme est venu nous chuchoter : aujourd'hui le spectacle ne se déroule pas sur scène mais au milieu des spectateurs, entre les tables. Une jeune femme à coté de moi s'est exclamé quelque chose comme “how peculiar! (comme c'est original !)”, et à entendre cela je me suis tournée vers elle avec un sourire nonchalant, le seul qui pouvait traverser les siècles vers sa personne. Elle devait avoir fait de la danse, car je voyais en cette non-encore-vieille femme la silhouette de ma grand-tante, toute en droiture et en grâce : on perçoit la sensualité dans cette tenue d'argile comme l'on reconnait la rose dans la fleur séchée. Elle aussi souriait, mais le sien battait le mien et mangeait mon cynisme. Elle paraissait naïve. 65 ans peut-être et toujours une enfant, seule ce soir mais à sa table trois jeunes filles étranges, mexicaine, allemande et française, une photographe, une spécialiste d'effets spéciaux et une cinéaste, parlant avec ou sans accent de serveurs, processeurs et logiciel. “How peculiar” en effet, c'était le ton juste. Elle était enchantée par les possibilités infinies des effets numériques aujourd'hui “j'ai moi même étudié la peinture il y a bien des années, aujourd'hui j'aimerais reprendre quelque chose dans l'art, pourquoi pas quelque chose sur ordinateur ?”. Nous pensions que tant que ce sera “quelque chose sur ordinateur”, cela ne voudra absolument rien dire. Mais ce n'est pas ce que nous avons répondu. Mes amies lui parlaient de Photoshop et de ses possibilités infinies et tout en acquiesçant d'un air expert je cherchais à trouver dans cette femme le moindre signe qu'un jour elle avait travaillé. Qu'un jour elle avait touché le vrai monde de ses doigts. Mais c'est-à-croire qu'elle les avait plongés directement de la richesse dans l'art, et répondait de son ignorance abyssale par un sourire à désarmer les brutes.


Tout d'un coup elle s'est penché vers moi et a demandé de quelle façon j'avais obtenue cette si “peculiar” teinte de rouge dans mes cheveux. J'ai vaguement répondu, habituée maintenant à ce que toute marque d'originalité soit prétexte à une conversation (chose que j'adore), avant de me rendre compte à son regard en suspend que son intérêt était véritablement dans la couleur. Je me suis efforcée d'être plus précise, me perdant dans les méandres du langage, ayant perdu le mot “coiffeur”, cherchant la version anglaise en même temps que le moyen de le contourner, si bien qu'à suivre deux lapins j'en revenais bredouille, mais dieu merci elle souriait toujours.
Mon bric-à-brac rendu, mes mains encore en l'air quelque part qui continuaient à parler quand ma langue ne bougeait plus (il y a un petit bout d'Italie qui n'est pas resté à Bergame), elle s'est penché vers moi, a posé sa main sur mon bras et m'a dit qu'elle lisait un livre en ce moment, et que si elle devait un jour en faire un film, elle me choisirait pour un personnage en particulier. J'écoutais : du fait de sa stature j'attendais du Dostoïevski, du fait de la mienne du Barbery. Et bien sûr c'était “The girl with a Dragon Tattoo” (littéralement “La fille au tatouage de Dragon”, mais dans la version française “Les hommes qui n'aimaient pas les femmes”). Je n'ai pas lu la série Millenium, mais le personnage en question, avec ses anneaux aux narines, me parait légèrement plus trash, ou punk que je ne le suis. Mais il suffit parfois de cheveux rouges.


Le spectacle a commencé. Un medley de Shakespeare donc, de quoi se préparer au pire. On joue des medleys de Shakespeare depuis que les gens ne vont plus au théâtre que pour voir Shakespeare, mais sont pourtant fatigués de ne plus voir que lui. Et puis parce que 10 mauvais acteurs sur 10 pièces de puzzle ne seront jamais aussi ridicules que sur un seul chef d'œuvre. Deux mauvaises raisons donc, qui se manifestent en général par une rafale de mauvais choix, lesquels se sont effectivement révélés durant cette pièce : le besoin irrépressible de moderniser les pièces à grand coup de casquettes à l'envers et de coiffures de punk, le tout pour prouver à quel point Shakespeare est indémodable, ce qui me paraît pourtant le seul moyen de le rendre anachronique. La nécessité de rajouter de la musique ou du chant, sans très bien savoir si le but est de créer un chœur antique, un rock anachronique ou un folk de situation. La tentation de faire répondre les pièces entre elles de sorte que de deux scène tragiques que nous connaissons sur le bout des doigts en naît une troisième aberrante, rigolote, facile à oublier.
Ajoutez que je ne comprenais rien. L'anglais ancien est déjà difficile quand il n'est pas réduit en pièce, imaginez haché menu.


Et pourtant, perçant mon cynisme et la barrière du langage, passé deux-trois scènes sans importance, un grand homme s'élevant ce soir-là au nom de Macbeth, rien de moins, réussissait en une main levée ou un œil baissé à appeler en moi une émotion que je ne comprenais pas. Je sentais la pièce dont je ne savais rien, et il aurait pu rester des heures à parler… chinois pourquoi pas, j'aurais continué d'admirer en lui le roi terrorisé, battu, d'une Angleterre en déclin.
Des acteurs ont ensuite succédé à des acteurs, nombreux -aucun n'était mauvais- parlant, criant, chantant, bougeant les chaises et tapant du pied, devant nos yeux ou dans notre dos, disparaissant, réapparaissant, Roméo, Juliette et tous les autres, souvent trop vieux ou trop jeunes, et puis Hamlet, ah, Hamlet, qui parle à sa mère mais je ne sais ce qu'il raconte, qui tue quelqu'un mais je ne sais qui, qui voit ce qui n'est pas ou ce qui n'est plus, entend des voix qui ne résonnent plus et pourtant moi de mon siège, dans son énervement et sa peine, je perçois ces sons et ces images qu'on ne croit que pour lui. On applaudit bien fort, l'acte I d'une pièce sans acte est fini.


Derrière moi, la femme la plus grande et imposante du monde rit à gorge déployée. A m'entendre vous pourriez ne pas me croire, et pourtant je n'invente ni ne déforme rien : si cette femme ne mesurait pas 1m90, c'est qu'elle était plus grande. Sa carrure était celle d'un bucheron, mais de sa poitrine il y avait de quoi allaiter tous les miséreux de la terre, au moins. Entre l'envie irrésistible de la regarder encore pendant des heures et mon empressement poli de ne pas lui jeter un regard, je prenais en photo murs et gens, jetant les unes après les autres mes horribles photos. Me voyant faire elle est alors venu me voir, m'a posé la main sur l'épaule avec autant de bonhommie dans son geste que la femme à côté de moi y avait mis de grâce empruntée quelques temps plus tôt, et m'a demandé, je n'invente rien “si je ne pouvais pas la prendre en photo avec la grande dame (big lady) là-bas”. Le tout en m'appelant “Honey” à chaque fin de phrase. Mes lèvres brulaient de lui répondre qu'il n'y avait certainement pas de plus grande dame qu'elle là-bas, ni même ailleurs à des kilomètres à la ronde, mais en suivant son regard le mien est tombé sur le portrait géant de quelque aristocrate. Si ce n'est leur taille, je ne pouvais pas voir une seule chose que ces deux femmes pouvaient avoir en commun. Ce que c'est qu'une femme, je l'ignore, mais puisqu'elles l'étaient toutes deux, les possibilités entres elles me paraissent infinies. J'ai pris la photo, puis une autre, puis une autre encore, mais sur aucune de ces photos le visage de la peinture apparaît correctement. J'étais très déçue de ne pas pouvoir donner à cette femme ce qui lui tenait tant à cœur (“c'est Lady Macbeth, me disait-elle, cette belle femme c'est Lady Macbeth”) mais lorsque je me suis rendue et lui ai montré les photos en questions, son visage s'est illuminé encore : “c'est tellement drôle ! C'est le seul tableau de la salle pour lequel ça fait ça ! Ça doit être un signe, hein ?!” et tout en elle montrait que, bien sûr, elle n'y croyait pas, mais qu'au fond elle aimait bien y croire, que Lady Macbeth lui parlait tout en lumière, et à elle seule.


Le second acte a couru bien vite, les filles étaient belles et les hommes beaux, les spectateurs un peu fatigués dodelinaient vaguement au-dessus de leurs verres vides, et quelques secondes plus tard -c'était mon impression- les acteurs nous ont salués entre les rangées de table. Oh oui, le monde est une scène. Oh oui.





mardi 23 novembre 2010

23 novembre 2010 - New York vol.34



L'enchantement de la publicité ciblée. Il y a quelques mois, je discutais avec mes amis : de décor, de ce que j'aimerais faire, etc. J'ai finis par leur dire que la construction d'un décor pour un univers steampunk devait être génial. J'ai regardé leur tête s'allonger et, mieux que des mots des images, ai tapé “steampunk” sur Google images.

Quelques semaines plus tard, parmi les publicités de Facebook, je trouve cette annonce “steampunk event, à New York, le 21 novembre”. C'est ainsi que tout commence.


Avant-hier, donc, j'étais au Webster Hall pour ce fameux “Steampunk event”.


En supposant que mes lecteurs ne soient pas tous geeks, nantais, et ne jouent pas tous à Bioshock, je vais essayer d'expliquer ce qu'est l'univers steampunk. On appelle ça le rétrofuturisme, parfois. C'est une sorte d'univers parallèle inventé par, disons, des historiens fous londoniens. Imaginez le futur tel qu'auraient pu le voir les hommes à l'époque de De Vinci, de la machine à vapeur, des débuts bègues de l'aviation. Imaginez ce que la machinerie, la mécanique, avait de stupéfiant. Maintenant supposez que jamais le monde depuis n'a connu l'électricité, ou a fortiori internet. Au lieu de cela, il s'est développé sur des mécanismes compliqués de bois, de cuir et de métal. Vous devriez être proches des Machines de l'île (à Nantes), et si vous ne l'êtes pas… Approchez-vous.


Bien, maintenant que vous avez compris l'essence de ce monde imaginaire, comprenez ce qu'on en fait : on le célèbre. Des objets sont créés (le cuivre est le maître des matières dans l'univers steampunk), des vêtements sont portés, comme mode vestimentaire ou bien comme déguisement, des livres sont écrits, des films, des jeux… Cette mode me plaît car elle ne se réfère pas à des “règles” comme la plupart des univers (les vampires ne peuvent pas sortir la nuit, les elfes deviennent mortels s'ils se donnent à des humains, l'anneau c'est pas cool, etc.) mais à une esthétique. Elle, et elle seule.


Me voici donc dans le Webster Hall, me fendant un chemin entre les ailes de métal d'un aviateur ailé et les dix monocles à quatre épaisseurs, jusqu'à la première scène. Des femmes en crinoline riaient sur leur premier verre d'absinthe, pendant que le lapin d'Alice, bardé de montres à gousset, buvait le premier thé d'une longue série, puisque le thé était gratuit et à volonté (ai-je dit que Londres et son brouillard incessant est la ville steampunk par excellence ?). Sur la première scène, un accordéoniste à moustache retroussée jouait en observant de ses lunettes rondes une contorsionniste de 80 ans, laquelle n'avait plus de dents, se plier sur elle même à l'infini. A l'étage, les corsets les plus étranges s'amourachaient d'un champ de chapeaux haut-de-forme à fière allure. Quelques énormes pistolets de fer, de bois et de cuivre travaillés protégeaient les ventes de bijoux et de babioles curieuses : des hippocampes d'un centimètre dans des bouteilles de deux centimètres, des colliers de petits os, des montres à gousset dont la mécanique, bien sûr, est apparente…


Sur la scène, une longue et belle blonde jouait un violon couplé d'une oreille de cuivre, à la fois instrument et phonographe, dont le son était agréable. Un commandant et un aristocrate tout de blanc vêtus écoutaient patiemment un troubadour leur donner des conseils sur les différentes façons de boire de l'absinthe. Une jeune fille portait un masque à gaz en cuir et un panneau “free hugs” ce qui me faisait beaucoup rire. Et des centaines d'autres apparaissaient, disparaissaient derrière le comptoir d'absinthe. Un cirque de l'étrange donnait représentation devant cette cours des miracles bizarre, avec des tours de foire ancestrale : celle qui marche sur des sabres aiguisés, le forain qui plante un clou dans sa narine, la planche à clou, la danseuse du ventre avec un serpent pour collier, l'homme qui se libère de ses chaînes et d'une camisole de force en quelques instants, une strip- teaseuse en perruque… Aucun de ces tours -si je les avais vu en ville, dans une fête, ou même dans un cirque- ne m'aurait paru ni beau ni poétique. C'est de l'art de barbare, c'est le dernier souffle suffoquant de la foire aux monstres et des montreurs d'ours. Alors ces spectacles qui n'ont plus leur temps dans le nôtre le trouvent ici, dans ce temps déformé, étiré. Ils ont leur place devant ces Toulouse-Lautrec distordus. Et je les regardais, un cocktail étrange à la main (lequel s'appelle “anachronisme”, du fait de la rencontre inopportune de l'absinthe et de la vodka sur un lit de crème fraîche et de sucre), avec un certain plaisir cynique. Une pièce de théâtre se jouait dans l'autre salle, dont l'étrangeté n'avait d'égal que sa mauvaise interprétation. Deux strip-teases se sont déroulés pendant la soirée. L'un par un chap en nœud papillon et porte-chaussettes (ai-je parlé de Londres ?), et l'autre par une femme. Entre-temps, plusieurs petits concerts, ainsi qu'une cantatrice d'opéra qui ne cessait de répéter que c'était son jour de congé. Et puis un défilé de vêtements steampunk, à vendre bien sûr, hors de prix bien sûr, que je regardais d'un œil en louchant de l'autre côté de la pièce sur d'incroyables corsets rigides dont la finesse et la beauté narguaient tous les portes feuilles. Je dis bien tous, car il en aurait fallu trois pour approcher l'un de ces corsets.


Et pendant toute la soirée, une murder party se tramait, obligeant les gens à venir discuter les uns avec autres en demandant élégamment, en résumé, s'ils n'auraient pas eu le mauvais goût d'assassiner quelqu'un ce soir.
L'ensemble me plaisait énormément : pas de fautes de goût, si ce n'est celles qui s'assument, beaucoup d'idées, d'inventions, de rire, une salle steampunk décorée de bois et de cuir.


J'en suis sortie, j'ai acheté un hamburger au mexicain du coin de la rue en jugeant tout le monde rustre et sans saveur. A peine sortie, je voulais déjà rentrer à nouveau dans cette machine à voyager dans le temps. Mais il était 2h du matin, et j'avais du travail le lendemain pour écrire un texte pour mon prochain cours dont le thème est “écrivez une histoire qui se passe dans le futur ou dans un monde parallèle”. Bizarrement, j'ai quelques idées…





vendredi 19 novembre 2010

19 novembre 2010 - New York vol.33

Il y a deux semaines, lorsque j'ai accepté de faire le décor de ce fameux tournage, j'ai demandé à la jeune réalisatrice quel était son budget pour la partie décor. “$500, mais moins ce serait génial”. J'ai acquiescé, me disant que $500 pour trois décors différents en intérieur (et deux en extérieur, mais là il n'y a rien à dépenser), c'était pas du luxe, mais que j'allais voir ce que je pouvais faire.





Je lui ai donc envoyé un budget que j'avais fièrement limité à $300, à supposer que j'arrivais à trouver les oiseaux et leur cage gratuitement.


Il y a quelques heures, elle devait donc me donner l'argent, d'avance. Je l'ai vu s'avancer vers moi et me dire “Marie, il faut qu'on parle, à propos du budget… il est vraiment très serré tu sais… il faut vraiment que la plupart des choses que tu dépenses, tu puisses les ramener ensuite et te les faire rembourser… Je peux dépenser pour de vrai $20 en tout mais pas plus, tu vois.”


Je l'ai regardé. Mon esprit tournait très très vite. Et là, tout d'un coup, j'ai eu envie de l'appeler “Sweety”. “Sweety”, c'est le surnom qu'une femme peut donner à une femme le plus condescendant et cynique que je connaisse. “Bien sûr Sweety… Tout ce que tu veux Sweety… Mais tu me prends pour qui ?! J'accepte seule un travail qui devrait être pour trois, de faire en deux semaines ce qui devrait être fait en un mois, de trouver deux putain d'oiseaux identiques gratuitement alors qu'il n'y a qu'une seule race qui connaisse à la fois des oiseaux bleus et des oiseaux noirs -et ils ne sont même pas noirs ils sont gris- et ils coûtent $200 l'unité, et tu veux deux lits pour gamins dans une chambre où il n'y en a qu'un alors qu'on est dans une ville où on ne peut rien récupérer dans la rue à cause des bestioles des matelas qui te donnent d'énormes plaques rouges, et tu veux des dizaines et des dizaines de jouets dans une baraque où il n'y a pas d'enfants, et deux vieilles horloges, un diamant, un sac à main, des fruits et légumes, un panneau que tu voulais joli et maintenant tu le veux en lettres noires typographiées -juste au moment où je te montre la photo de mon travail terminé- tu veux un ballon de football et des tableaux au mur, tu veux des tapis au sol et des photos des acteurs développées, un service à thé dans les bonnes couleurs, des torchons et des serviettes, des fausses fleurs, des couvertures, et tout ça, tout ça tu le veux pour $20 ? Avec un scénario de merde où deux gamins vont voir leurs grands-parents morts qui trouvent rien d'autre à dire que ‘à chaque fois que vous pensez à nous c'est comme si on revivait un peu’, t'as raison ouais pour une morale pareille je donnerais pas trois cents ! Et comme je me suis engagée, et comme je ne suis pas du genre à faire un boulot à moitié, tu me lâches ça maintenant comme une fleur et je peux rien faire contre ça, liée par ma propre faute ! Mais tu crois quoi, YOU BITCH !?”.


Et pendant que la fumée de ma cigarette déblatérait tout ça au vent, ma bouche, elle, n'a rien trouvé de mieux que de se parer d'un doux sourire humble et rassurant et de dire “très bien”…






mercredi 17 novembre 2010

17 novembre 2010 - New York vol.32




La recherche de l'oiseau bleu…


Je suis décoratrice sur un nouveau tournage, entièrement mexicain cette fois. Un conte pour enfant. Deux enfants vont à la recherche d'un oiseau bleu dans les univers du passé, de l'avenir, du non-temps… Le scénario est ce qu'il est. Mais au cours de leur recherche, ils en trouvent des oiseaux bleus. Mauvaise nouvelle : ils deviennent vite noir.


L'ironie de la chose fait que de part mon rôle de décoratrice, je me retrouve à la recherche de l'oiseau bleu (et de l'oiseau noir), afin qu'ils viennent tenir leur place dans ce film. Quels univers traverserai-je au cours de ma quête ? Manhattan, Brooklyn, et un brin de Long Island où se fait le tournage. Là-bas, les arbres sont embrasés de feuilles rouges, le soleil absent y a trouvé son successeur. Ici, les dalles grises trempées d'eau reflètent les néons magiques de toute la ville, les cassant au passage de lignes irrégulières, en diamants de lumière. Un diamant, voilà encore quelque chose qu'il faut que je trouve pour ce tournage. Inutile de préciser que je n'ai pas d'argent à ma disposition. Toujours le même tour étudiant : remplacer des centaines de dollars par des centaines d'heures de travail.


Je fabrique un panneau de proprié “Land of Memory” (Territoire de la Mémoire) de peinture verte et marron, avec de minuscules points oranges et dorés. La Mémoire sera donc sous le signe de l'automne, c'est ainsi que j'en ai décidé. Et en me penchant sur mes tout petits points je redécouvre Novembre, ici et ailleurs. Je plonge dans les branches dorées. Quand les feuilles tomberont, peut-être dévoileront-elles un petit oiseau bleu, qui avant de s'envoler me laissera le poser, tout doucement, devant l'inélégante caméra.


Le petit oiseau noir, le mal-aimé, où le trouverai-je ? Et où le lit d'enfant ?
la vieille horloge ?
la vaisselle en terre ?


Il pleut dehors, mauvais temps pour les chevaliers et leur quête. Je me sens l'héroïne moderne d'un conte ancien. Et quand j'ouvrirai les yeux, réveillée par le chant de mon oiseau multicolore, les objets que j'aurai cherché seront là, entassés tout autour de moi dans ma chambre de petite fille. Je dirai à qui veut bien entendre que j'ai fait un rêve étrange où j’étais grande dans une grande ville, apprenant un grand métier, et personne ne me croira, mais moi je saurai que tout ça, c’était pour de vrai.






mercredi 10 novembre 2010

10 novembre 2010 - New York vol.31

Deux soirées…





Hier encore une fois, après les cours, j'ai marché sur les pas de l'allemande jusqu'à un café de Brooklyn qui n'est pas loin encore de se faire avaler par les deux diners en métal qui l'encadrent. Chaque table était éclairée à la bougie, et cette raison m'a suffi pour commander un Kir plutôt que la consensuelle bière, qui de toute façon sonnait froid dans ma tête. Un groupe s'est installé, mon amie était là pour eux et j'étais là pour elle, rien qui ne soit arrivé déjà un million de fois : sinon l'apéritif et les chandelles, c'était une soirée de jeunes sur une terre de jeunes.
La première note lancée par le bassiste a manqué de m'arracher le tympan. Envolées la douceur du Kir, des bougies, de la pénombre, de mon amie à côté de moi qui traçait son chemin au travers de son accent allemand pour faire sa commande… Même pas une note, même pas un pincement de corde : juste du bruit à m'en faire jeter mon verre, s'il n'était resté sur la table à vibrer à toute supposée note comme à chaque pas d'un T-rex s'approchant d'une bagnole.
Oh, voilà que les choses promettaient d'être difficiles ! Je me suis protégé les oreilles, et j'ai repris mon verre de Kir semblant qu'à chaque gorgée je ne sentais pas la vibration des basses remonter dans la même gorge que le liquide descendait. J'essayais d'être à la hauteur de la prestance de mon verre de Kir, d'avoir juste assez de contenance pour ne pas être insultante. Ils étaient ses amis, après tout, et même si ce Kurt Cobain homosexuel allait jusqu'à nous tourner le dos pour ne pas qu'on voit ce qu'il pouvait bien trafiquer sur sa pauvre guitare, je leur devait du respect… Et puis quand j'ai vu mon amie enfoncer des serviettes dans ses oreilles et se tourner vers moi en hurlant des mots insaisissables dont je ne percevais que la forme : “This. Concert. Is. Horrible.”, les choses tout à coup se sont détendues. Je ne retenais presque plus mon rire devant le ridicule de la chose : deux hommes devant 10 personnes avec assez de son pour une salle de 6000, détruisant les tympans de ceux qui n'ont pas encore fini leur verre, et donc ne se décident pas à partir. Quand il chantait, mon souffle était coupé comme s'il me donnait des coups dans le ventre, et je n'arrivais pas à retenir la grimace de pitié que de toute façon je lisais sur tous les visages.
Il fallait juste que je finisse mon verre de Kir, juste ça. Maudit Kir, je n'aurais pas pu prendre une pauvre bière comme tout le monde ? Non, maintenant il faut que je reste là et sirote mon apéritif à 9$ devant le remake sonore d'une explosion nucléaire…
Je buvais un peu vite, mais le duo braillait plus vite encore, et ils sont arrivés à la fin de leur court spectacle sans que j'ai eu l'occasion de reconnaître une chanson d'une autre (sinon quand les paroles passaient de “reste près de moi” à “je ne veux pas que tu t'en ailles”… véridique).
Quand ils ont terminé leur spectacle et qu'on m'a dégagé du costume de plomb des basses, je me suis rendue compte que j'avais oublié un léger détail : l'allemande était leur amie… Ils sont donc venu déguster leur apéritif en notre compagnie, et je chancelais entre l'envie de leur exploser à la figure, de me marrer ou de m'excuser platement. Toujours est-il que le chanteur-batteur-guitariste ne semblait pas me porter dans son cœur. Et de mon côté j'essayais d'avoir pour l'homme le respect que je n'avais pas pour le musicien, et de retenir la grimace qu'en véritable chien de Pavloff j'arborais à chacun de ses mots.


Aujourd'hui je cherchais un endroit où dîner qui ne serait à base ni de sushi ni d'Hamburger, et resterait sur le chemin de la maison. Je suis entrée dans une pizzeria (qui sont assez rares à New York) sans vraiment y penser. J'ai porté toute la journée un bonnet des plus bizarre qui, si je ne peut pas dire qu'il soit d'une beauté raffinée, a le double mérite d'être extrêmement chaud, et la moins discrète des choses que quelqu'un puisse porter sur sa tête. Cela a son importance. Je rentrais donc dans la pizzeria avec cette coiffe qui ferait pâlir Jamiroquaï de jalousie, sans vraiment prêter attention à l'espace que je pénétrais. Quand j'ai levé les yeux, tout le régiment des policiers à l'entraînement dans la rue d'à côté étaient là. Tous parfaitement identiques dans leurs uniformes, les mêmes matraques accrochées aux mêmes sacs, les mêmes coiffes et le même repas. J'ai été stoppée net par cette vision, mais je ne sais pas lequel de nous trente était le plus étonné. Trop drôle pour faire demi-tour, j'ai fait mon passage entre les matraques jusqu'au comptoir, ai été servie, et suis partie avec un sourire incrédule. J'ai embarqué ma part de pizza dans le métro avec la ferme intention de l'y dévorer. Je me suis donc assise entre deux grosses dames, mais une vision a détourné mon attention de mon ventre bruyant :en face de moi six personnes très différentes au demeurant, pianotaient chacune sur son Iphone sans se rendre compte de l'unité de l'ensemble. J'étais estomaqué. Certains devaient jouer, d'autres écrire un message, d'autres choisir la musique transmise à leurs écouteurs, mais d'apparence ils n'était que les duplicata colorisés d'une même image. L'un d'eux a seulement levé la tête un instant, attiré par la forme rocambolesque de mon bonnet, m'a fait un signe indécis, et s'est replongé dans son appareil.


Pizza enfin avalée, je suis sortie du métro quelques minutes plus tard pour voir une bande de jeune punks débarquer à la vitesse des gens sur d'eux. Deux butches vieille mode, des jean trop courts et des cheveux sculptés, des bisoux de plumes de babioles, je me fondais parmi eux comme rien.
A chacun son uniforme…





lundi 8 novembre 2010

8 novembre 2010 - New York vol.30

Je suis sous terre à Manhattan, Brooklyn de l'autre côté du pont m'appelle de son silence de vieux quartier, le métro accélère, il tangue, il gémit encore et sans pitié je me marre, parce qu'un jeune barbu me raconte des histoires de photographe, et je me marre parce que je m'en fous, parce que je l'aime bien, parce que je rentre chez moi.





Je suis à Brooklyn, mes doigts glacés se jettent sur le col de mon manteau, je me bat contre le vent qui me lance ses milliers de pics de glace, je me bat contre le vide de ce quartier industriel. Pas une âme, pas un moteur vibrant, pas un chat. Un lampadaire pitoyable qui n'éclaire pas plus que son propre globe, des vieilles usines de monde en déroute, un clochard endormi sur ses marches, dans une niche de vieux machins poussiéreux, qui boit le goudron à grandes lapées de misère, et puis le vent hurlant sur les dalles de béton et le fer barbelé.


Comme il siffle sur le silence ! Il me raconte la fin du monde : c'était il y a vingt ans, trente, peut- être plus. Il n'est plus resté que ces murs de brique fatiguée, ce clochard et le vent. Les noms de rues sont fatigués, blanchis et effacés par le souffle incessant. Ce matin, l'un des panneaux avait disparu, volé ou envolé. Ce qu'il reste d'ici se désintègre, les bourrasques portent les limbes sur ce morceau de pas-grand-chose.


Je distingue le bruit léger des mocassins d'une petite chatte en veste de jean, elle me dépasse en trottinant, clés à la main, et disparaît vite dans quelque immeuble en miaulant contre le vent.


J'attrape mes clés, c'est tôt encore, mais j'ai envie d'un flingue pour tirer dans le vide comme les vrais désespérés quand leur monde est terminé, mais je n'ai que mes clés, je les chope du bout du doigt dans la profonde poche, et je les attire sans les sentir, mes doigts aussi froids qu'elles, et je ne sais plus de ma main ce qui est moi et ce qui est elles.


Je rase trop un mur, il m'écorche la main, je ne sens rien, un tout petit peu du sang chaud qui affleure, insecte fidèle sous ma peau.


Les usines s'écrasent en tas de poussière autour de moi, et j'arrive à la mienne, d'usine, la clé est déjà prête, je tire la porte à moi avec l'épaule, car mes doigts ne peuvent plus rien, le couloir est plus froid encore que le vent dehors. J'ai dû maugréer quelque chose, car les murs noircis de vandalisme me renvoient leur réponse. L'escalier en métal sonne sous mes pas la chanson de l'hiver, et du dernier être vivant sur terre. Ma porte est là, minable, je la passe, je ne regarde même pas autour de moi le couloir immense du Loft où nous sommes sept à vivre sans presque jamais nous croiser. Très vite je passe devant les gueules de chien qui dépassent de la sculpture de mon colocataire sculpteur. Très vite devant les yeux de cette femme peinte par mon colocataire peintre. Très vite devant la photographie géante de fourmis minuscules de mon colocataire photographe. Au fond tout au fond, du rouge des dernières chaleurs, ma chambre m'attend. Je rentre, et j'allume le petit chauffage électrique. Les mains me crient la douleur de cette chaleur soudaine, et je les regarde crier avec perversité, je sens la chaleur revenir, et tant mieux si elle fait mal, je la sens dans mes doigts, et le reste de mon corps se détend du bien être facile. Alors je lève les yeux sur ma chambre. Une petite maisonnette en bois trône au milieu, avec ses volets multicolores qui s'ouvrent sur ma chambre elle- même, et le gros canapé bouffi, et les grosses couettes de chat, et les deux bureaux, et de l'espace, de l'espace à ne plus savoir qu'en faire entre ces quatre murs rouges, jaunes et bleus. Et entre eux le monde renaît. Des centaines de bouquins empilés sur le sol, que j'ai dépoussiéré un à un, découvrant des Neruda, des Zweig, des Dostoïevski, des Hemingway et même, juste pour le clin d'oeil complice, deux Philip Roth que j'ai embarqués dans ma chambre, me vient la présence des vieilles pages. La télévision, fixée sur deux jambes de mannequin et qui, c'est un comble, ne marche pas, joue avec moi à 1-2-3 soleil. Et gagne systématiquement. Une dizaine de vinyles de chants de noël ringard font de l'œil à l'hiver, mais surtout ce sont toutes ces couleurs qui me rappellent à la vie : mes feutres fluorescents sur l'un des bureaux, ma guirlande lumineuse sur l'escalier, mes fils de couleurs bien rangés dans leur petite boîte transparente. J'entends ma voisine rire, comme chaque soir à cette heure-ci. Et enfin, en regardant par ma fenêtre sale le vent dehors qui se bat contre rien et pour rien, je me venge en mettant de la musique vivante, dansante, vibrante, Rawhide !, pour couvrir le hurlement incessant.


Maintenant, dans mon grand nid tout de bois vêtu, qui ferait sourire même les soldats d'acier de Buckingham, il ne me reste plus qu'à danser jusqu'à la salle de bain et puis me jeter en désordre sous les énormes couvertures.





mercredi 3 novembre 2010

3 novembre 2010 - New York vol.29

Il y a un mois, une petite coréenne répondant au prénom adorable de Mimi a fait appel à mes services en tant qu’“art director”, un des nombreux métiers américains que les français regroupent sous le nom et en la personne du “décorateur”. En l'occurrence, le studio était déjà en place, et il y avait peu de choses à faire, sinon une recherche d'accessoires et l'installation de petits objets de la vie quotidienne dans un décor de sitcom. Pas que ce travail en particulier m'intéresse outre mesure dans la décoration, mais c'était une bonne occasion de me retrouver sur un tournage à New York (un autre, j'ai été sondière au début du mois sur un tournage dans le New Jersey), donc j'ai accepté.
Et je me suis retrouvée dans une équipe composée entièrement de coréens, et dont seule l'actrice était israélienne. Pas un seul américain, donc, mais j'étais en réalité la seule étrangère dans la mesure où ils étaient tous à New York depuis plus de deux ans, et moi depuis moins de deux mois.





J'étais donc une étrangère au milieu d'étrangers, étrangère comme eux, étrangère plus qu'eux, étrangère parmi eux. Et mon travail consistait principalement en de la pré-production, donc j'avais des heures et des heures de loisirs à seulement les regarder faire. Mimi est minuscule. Un petit bout au visage tout rond qui passe son temps à sourire et à plisser les yeux, et quand une asiatique sourit en plissant les yeux, ça donne envie de lui faire des câlins. Ou de s'écrier un petit “Ooooh !” d'attendrissement. Mais ici elle était entourée de coréens très grands, très musclés aussi, un peu fiers et arrogants, tous des hommes. Alors Mimi s'est transformée du tout au tout, elle est devenu sèche et franche, décidée. A part bien sûr quand elle parlait à son actrice, car la hiérarchie est établie et indémodable : l'équipe est au service du réalisateur, le réalisateur est au service de l'acteur. Un bon réalisateur est quelqu'un qui réussit à faire croire à son acteur qu'il lui est subordonné, tout en tirant du comédien ce qui lui est nécessaire. Un jeu périlleux, ridicule, et pourtant avéré. Donc tout-doux- tout-miel avec son actrice, elle imposait sa volonté avec la force des enfants intraitables avec son équipe.


De l'autre côté, ces grands coréens avaient l'arrogance des professionnels du cinéma. Je ne sais pas quand il a été décidé que les chefs opérateur avaient le droit de se considérer supérieur à tous, mais il est souvent assez drôle de le voir sur un plateau accepter les ordres du réalisateur avec la tête haute de “celui qui ne reçoit pas d'ordre”, ou pire avec force roulement d'yeux, juste pour se donner la contenance du grand manitou quand ils ne sont que des pions comme les autres, et que c'est déjà largement suffisant. Y a-t-il quelque chose que les directeurs de la photographie savent que le commun des mortels de sait pas ? Ont-ils la recette définitive du “chef d'oeuvre cinématographique” à ne pas partager avec les naïfs réalisateurs ? Bien sûr, je force le trait. Mais il y a quelque chose, vraiment, dans l'aspect technique de ce métier, qui donne une surface stable sur laquelle le chef opérateur peut s'appuyer, tandis que les réalisateurs semblent toujours se noyer dans les sables mouvants de “ce-que-c'est-que-l'art”. Bref, chef op’ et électros s'occupaient de leurs lumières et caméras, détruisant au passage sans sourciller tout le travail de décoration que j'avais pu faire jusque là. J'avais l'impression d'être la jardinière nunuche qui regarde les gros godillots patauds du plombier saccager son parterre de fleurs et qui pince ses lèvres en murmurant “vaurien”, mais qui attend le départ du Godzilla pour remettre de l'ordre dans ses marguerites.


Ils étaient grand, tous musclés. L'un d'eux particulièrement massif regardait l'actrice comme un homme préhistorique a dû découvrir la beauté des fleurs, l'autre, fin, bel asiatique androgyne tel que la mode les aime en ce moment, minaudait derrière son script, et les autres étaient encore trop occupés pour laisser transparaître autre chose que la nécessité du professionnalisme. On est tous passés par là un million de fois : on sait qu'on va finir tard, qu'on va être fatigué, qu'on va avoir faim, qu'on va continuer à travailler et qu'on ne se plaindra pas, et que si quelqu'un craque et se plaint, c'est la fin de la quiétude du tournage, et la la guerre commence. On se prépare à la guerre. On regarde le planning où il est écrit : fin de tournage, 23h, et on se demande juste si on aura fini avant que le soleil se lève. Quand on a le temps, on pense qu'un seul étudiant en cinéma abat plus de travail sur un tournage que 4 professionnels (fait avéré et calculé -sur une base de 35h par semaines pour un professionnel- lors de mon dernier tournage), et que ça gagnerait à être connu. Bref, tout ça était dans leurs têtes, évidemment, pendant qu'ils déroulaient les câbles ou sécurisaient les lampes avec leurs élingues. Mais quand même, la première fois que j'ai vu le travail d'un directeur de la photographie, je n'étais pas encore étudiante en cinéma, et j'ai entendu l'électro dire “et là, derrière la fenêtre, on met la lune”. Quelques minutes plus tard, il y avait la lune derrière la fenêtre, et je me suis dit qu'il y avait des magiciens partout.


Le premier jour de tournage, bien sûr, s'est terminé à 5h du matin, les sourires s'étaient évanouis, l'ambiance était neutre, la réalisatrice portait les cernes de celle qui ne pourra plus faire de choix, et le chef opérateur allait bientôt craquer, bientôt se plaindre, on sentait dans sa voix, derrière ses paroles en Coréen le début d'un cynisme, et quelques minutes de plus, la ligne aurait été franchie.


Donc nous nous sommes donnés rendez-vous le lendemain. Je n'étais pas là lors de la première partie de la journée, mais quand ils sont arrivés sur le deuxième lieu de tournage où j'avais déjà commencé à travailler depuis quelques minutes, l'ambiance générale avait évoluée. C'était le deuxième jour, chacun avait testé l'autre, chacun avait trouvé sa place attribuée, et les choses pouvaient commencer à se décontracter. Et comme sur tous les tournages, le repas a encore aidé. Nous avons mangé des dumplings. Aïe. De la pâte, de la viande, et de l'huile, le tout à des doses égales… Ils avalaient ça trois par trois, et j'avais ce regard de dégoût mêlé de fascination qui les faisait rire. Sans doute pour souligner mon air de colon regardant des tribus africaines manger des insectes, le jeune coréen m'a dit d'un air sournois que traditionnellement les dumplings coréens étaient fourrés de chair humaine. Ça a réveillé mon sens de garçonne prête à tout, et en fourrant difficilement la deuxième moitié de mon premier dumpling dans la bouche, j'ai répondu “et nous on les fourre à l'escargot”, ce qui était une très mauvaise blague en l'occurrence parce qu'il a fallu ensuite que j'explique que non, le dumpling n'est pas un repas français traditionnellement, que oui les escargots en sont, et qu'on ne les fourre pas dans quoique ce soit. Mais la conversation était lancée : les coréens de faire fièrement la longue liste des choses qu'ils sont capables d'avaler : chien, cheval, serpents… Et moi de me défendre avec tout ce que je pouvais trouver de visqueux et de puant dans la gastronomie française (et aussi en leur disant que je doutais que le cheval soit un plat typiquement coréen, mais l'histoire des plats n'était notre fort ni à eux ni à moi). A point nommé, l'israélienne nous explique comment dans son pays on ne peut pas manger de fruits de mer ni de porc, raison pour laquelle, bien sûr, son plat préféré était les huîtres. C'en est suivi un débat décomplexé sur les étranges manies religieuses de ne pas avaler telle ou telle chose, à partir d'histoire de contaminations de peuples, de séparation de pattes en deux ou de noblesse ou non- noblesse de l'animal. Le tout nous a amené à la fin du plat de dumplings, et je pensais à mon ami ici qui a l'excellente idée d'être allergique aux noix ET végétalien, ce qui me paraît être une hérésie, même si j'avoue être quasiment devenue végétarienne dans un pays où la viande est immonde et les légumes et fruits nombreux, variés et peu chers (une fois qu'on les a trouvé, ce qui est enfin mon cas).


J'ai repris mon travail, les électros le leur, puis et venu le tournage d'une scène dans la salle de bain, minuscule, déjà presque trop petite pour contenir l'actrice, la réalisatrice, le chef opérateur (caméraman) et le sondier. Nous sommes donc restés hors de la salle de bain pour discuter. C'était amusant car la discussion s'est faite en pointillé, toujours entre les “Coupé !” et les “Action !” que la réalisatrice nous hurlait en coréen (je ne parle pas coréen, mais tous les réalisateurs du monde ont la même intonation pour dire “action” et “coupé”. Ils m'ont donc posés des questions sur ce célèbre footballer français qui est en ce moment dans l'équipe de New York. Je leur ai répondu que je ne connaissais rien en football, mais que si vraiment il était dans l'équipe de New York, il ne devait pas être si bon que ça. Ça ne les a pas fait rire…


L'assistant réa m'a dit qu'il adorerait découvrir la France parce que là-bas les français peuvent fumer dans les Starbucks et les trains… Pendant un instant j'ai pensé le laisser à cette jolie image de la France rebelle et dépravée (bien que les français fument réellement bien plus que les américains), mais ma conscience m'a rappelée à l'ordre. Non seulement il a fallu admettre que la loi d'interdiction de fumer dans les lieux publics était passée en France aussi, mais encore il a fallu que je précise que seuls les Parisiens ont l'honneur de connaître Starbucks (ce qui à mon avis justifierait à soi seul -et uniquement- le regard de pitié qu'ils nous portent, à nous, pauvres provinciaux).


Je leur ai parlé rugby. Ah oui, c'est le football américain où les gars ne portent pas de protection et où du coup ils ont de sales têtes ? … oui, c'est ça…
L'un d'eux avait appris le français il y a des années. De temps à autre, totalement à l'improviste, il me jetait une expression en français, que la plupart du temps je ne comprenais pas, avant de se replonger tête la première dans ses souvenirs. Après trois ou quatre de ces expressions, je lui ai fait remarquer qu'on leur apprenait le français de manière vraiment étrange là-bas. J'avais eu droit à “mon bon tonton”, “mais ou et donc or ni car” (mais où est donc Orinicar ?) et “la rivière verte”. Il m'a dit que “mon bon tonton” était le nom d'un cookie en coréen, et “la rivière verte” une pâtisserie, je crois. Il n'avait donc retenu de ses cours que les versions françaises des noms de pâtisseries coréennes, et une suite mnémotechnique de mots. Bien, bien… Cela me le rendait doux et naïf, et quand plus tard on s'est retrouvé sur Facebook, son premier commentaire a été “hey let’s get some french food later like fuagra, snail, or corean food” (hey allons manger un repas français un de ces quatre comme du fuagra, des escargots ou des plats coréens). Je vous laisse deviner ce que le “fuagra” peut être. Et comme la gourmandise est le péché des gentils, je l'aimais bien.


Mon préféré bien sûr était le molosse silencieux amoureux de l'actrice. Toujours attentionné, attentif, curieux et patient (d'autant plus quand j'essayais de prononcer les noms de chacun d'entre eux, ce qui ne s'avère pas si difficile une fois qu'on les a à l'écrit sous les yeux), j'aimais le prendre en photo à cause de son immobilité générale mais tendue, prête à décoller à tout moment pour prêter main forte. Il aurait été la version jeune et Coréenne de One, le personnage de la Cité des Enfants Perdus… Même le nom était similaire : lui s'appelait Sane. Comme le fleuve dans Paris, m'a-t-il dit (et moi de m'en vouloir de ne pas me rappeler exactement à quoi ressemblait la Corée…).


Le tournage est arrivé à sa fin, l'un d'eux a fini par me demander à combien de kilomètres Canne était de Paris (et j'étais déjà impressionnée que Paris ne soit pas pour lui la seule ville en France), je lui ai répondu en heure de train (l'évaluation des distances m'est quelque chose d'étranger), et il m'a dit en riant “ah, la France, c'est plus grand que ce que je pensais”. Et Sane de lui répondre en souriant “non mais t'as vu la gueule de notre pays ?”


C'était donc culturellement amusant, décontracté, parfois déjanté, et à revoir les photos de ce film, et les litres de sang que j'ai été amenée à déverser sur le décor de ce drame intrinsèque, je me suis dit que, film étudiant ou pas, c'est à un vrai film coréen que j'ai participé.





mardi 2 novembre 2010

2 novembre 2010 - New York vol.28

New York, l'espace d'un week-end, est devenue folle. Folle à lier. C'était Halloween.
Il y a de tout dans cette fête, et ils s'y plongent avec tant de… eh bien de bonheur ! Ils aiment cette fête, tout simplement, de façon aussi génuine que les enfants aiment noël, mais ici, Halloween, ce n'est pas que pour les enfants.





La fête dure 3 jours, et avant cela, toutes les maisons de New York, du taudis à l'hôtel de luxe, sortent squelettes et toiles d'araignées du placard et se parent d'un orange de circonstance. Mention spéciale d'ailleurs pour le New Jersey, où les mignonnes petites maison sagement alignées prennent des airs de canailles avec des décorations volumineuses, de véritables mises en scènes de films d'horreur, orchestrée le plus souvent par des squelettes ou des fantômes. Ailleurs, cependant, comme on pouvait s'en douter, la discrétion des décorations est inversement proportionnelle au revenu. Mais en France, il y aurait quelque chose comme de l'honneur en jeu. Noël est en France une fête noble et Halloween une fête de prolétaires : vous voyez des sapins enluminés même chez Sonia Rikiel, vous ne voyez des citrouilles qu'à Auchan. Oh mais que je sache, le conservatisme des classes aisées n'est pas que politique, et qu'il s'agisse de langage, de fêtes ou d'habitudes de vie, on n'y est pas prompt à l'adaptation. Mais on finit par s'y rendre, malgré tout.


Quoiqu'il en soit pendant la journée, des gamins à peine sortis de leur poussette viennent de porte en porte avec des sauts ou des marmites les remplir d'assez de sucreries pour leur donner une crise de foie par jour pendant le reste de la semaine. Ils ont les yeux qui brillent, rendus pantelants par le million de possibilités, le million de portes cachant des bonbons de toutes les couleurs, tout autour d'eux. Imaginez des enfants que vous connaissez et dites-leur que le père noël les attend avec des cadeaux pour eux derrière toutes les portes, vous n'obtiendrez pas une réaction différente. Mais là, en prime, ils sont fiers. Fiers de leurs costumes ! C'est que les américains, certes, ne conçoivent pas Halloween comme on conçoit le carnaval, avec des costumes faits de bric et de broc. C'est sans doute un peu triste, je l'admets, mais je l'admets aussi avec mon regard d'européenne pour qui consommation est ennemie de créativité, et créativité synonyme de bonheur. Ici, a priori, pour avoir un beau costume il faut y mettre le prix. Alors bien sûr dans Harlem les enfants sont déguisés en Superman, en citrouilles, en policiers et en cow-boys, tandis que dans Manhattan ils ont des costumes plus raffinés, de plusieurs pièces : le pirate porte corset, tricorne et montre à gousset, la galante une robe à crinoline et un large chapeau sur une perruque bouclée… Mais s'il y en a qui s'en balancent royalement, c'est bien eux !


Vers 10h, les tout-petits rentrent chez eux, les plus grand prennent la relève, plus discrets et se cachant un peu de ce plaisir coupable : ils sont grands maintenant, ils s'en foutent, hein, des bonbons… hum…


Mais pendant ce temps, à partir de 7h le jour d'Halloween, (et les deux autres jours un peu partout dans Manhattan et principalement à Times Square), ce sont les jeunes qui s'y mettent. Le jour d'Halloween, le malin se rendra au Village (quartier du sud de Manhattan), et l'encore plus malin l'évitera. La parade, avec chars et animations, m'est un peu passée sous le nez sans que j'ai pu en découvrir grand chose, parce que mon mètre soixante n'est pas monté sur ressort : il y a autant de monde que lors d'une fête de la musique à Toulouse. Je sais, je trouve ça insupportable à Toulouse. mais ici il y a quand même deux différences de taille : comme il est interdit de boire, cette jeune masse est sobre, hallelujah, mais surtout ils sont tous déguisés. Oui, oui, vous vous en doutiez. Moquez-vous. Qu'ils soient fabriqués ou achetés (avec à mon avis une légère avance pour ceux fabriqués, on ne se refait pas), ces costumes sont fabuleux. Et surtout ils en portent tous ! Pendant 3 jours j'ai pris le métro avec des sctroumpfs, des choux, des chats, des militaires, des soldats en plastique géant, des bébés, des Gandalf, des tout-ce-que-vous-voulez-ils-l'ont. Mais le jour d'Halloween, il est temps de sortir le grand jeu. Deux hommes s'étaient déguisés en feux pour piéton : les feux pour piéton ici sont en deux parties : une main rouge pour s'arrêter, un bonhomme blanc qui marche pour traverser, le tout lumineux. Donc l'un des hommes était encastré dans une immense main entièrement recouvertes d'ampoules rouges, tandis que l'autre avait fait les contours de sa silhouette avec des ampoules blanches. Ils ne pouvaient pas avancer de dix mètres sans que quelqu'un les prenne en photo. Des monstres fabuleux, plantés sur des échasses, des idées saugrenues, ou drôles, ou inquiétante, et tant de choses à regarder au mètre carré que ça en donne le tournis. Tout le monde regarde tout le monde, et quand on aime le costume de quelqu'un, on le lui fait savoir par un signe ou par une photo dans le vacarme ambiant (cependant modéré la plupart du temps).




Seul regret, cette mode désagréable du déguisement pour femme “sexy”. Sexy-chat, sexy- infirmière, sexy-Alice au Pays des Merveilles, Sexy-autruche, sexy-sexy et j'en passe, tout est prétexte à porter des portes-jarretelles apparentes et des chaussures à talons très haut. La plupart du temps, ça ne me serait pas désagréable à voir, si je ne trouvais pas ça un peu triste qu'Halloween soit un prétexte aussi commun pour se trouver sexy. On ne peut pas dire que j'avais joué la même carte, puisque j'étais habillée de façon normale, mais que je m'étais fabriquée et avait peint méticuleusement (ou presque) un masque à crête de monstre marin aux énormes dents sanguinolentes, ainsi que des palmes pour les mains et une autre crête sur le dos. J'avais contourné le tout de lignes phosphorescentes.
Il était aussi amusant de voir les costumes de ceux qui n'ont pas d'inspiration : j'ai vu un million de chapeliers fou, en plus des indémodables vampires et autres zombies). Les films ont vraiment un impact très fort sur les costumes d'Halloween. par exemple, j'ai aussi vu un nombre incalculable de maximonstres, de qualités diverses. Et ceux qui sont à court d'idée à un point ridicule semblent ressortir les costumes des années précédentes : j'ai ainsi vu un sacré paquet de masques de V pour Vendetta, ainsi qu'un Morpheus tellement crédible que je me suis demandée un moment si ce n'était pas l'acteur lui-même qui s'était pris au jeu de mettre son propre déguisement.
Cependant je me suis plus attardée sur la bande de Playmobiles (Playmobile Frankestein, Playmobile Princesse Leïa, etc) me demandant lequel d'entre eux avait eu l'idée géniale de se déguiser en quelque chose déguisé en quelque chose, et comment il avait fait pour convaincre ses camarades que ça marcherait. Je repensais à une exposition de photo que j'étais allée voir de Sophie Calle, je crois, mais je peux me tromper du tout au tout, où la jeune artiste s'était déguisée en clown déguisé en autre chose. Gêne garantie.


Mes amis ont fini par me rejoindre et nous sommes entrés dans un restaurant à chocolat, dont le chocolat chaud coule dans des tuyaux qui traversent anarchiquement la pièce. J'y ai pris un Chai au chocolat blanc. L'idée paraît étrange, mais certainement pas autant que ce que nous avons commandé avec (nous avons attaqué à trois une part faite pour une personne, ce qui s'est avéré être une idée de génie) : une pizza au chocolat au lait, beurre de cacahète, marshmallows et banane. Vous ne me croirez pas, mais c'est en réalité moins lourd que ça ne semble, et surtout très bon. L'eau me revient à la bouche en écrivant ces mots.


Ce fut la fin d'un week-end plein de folie.


J'ai oublié de raconter mon dernier tournage. C'est qu'il est difficile d'écrire quand on vit des choses, et c'est là pourtant qu'elles sont le plus intéressantes à écrire. Je n'oublierai pas d'en parler un peu… Ainsi que de mon nouvel appartement.







mercredi 27 octobre 2010

27 octobre 2010 - New York vol. 27



La course au morceau de pomme a repris.

Je ne dis pas que je ne m'y attendais pas un peu. Mais je suis matérialiste, athée, voire incrédule. Alors bien sûr je m'efforce de cacher mes instincts dans un coin, car irraisonnés, car infondés, car ridicules. Et parfois, il faudrait juste suivre le chemin qu'ils nous indiquent.
Mais tout de même pour ce que ça m'a coûté (600$), me voici avec une jolie histoire. Je vous raconte l'histoire.


Très vite, je vous passe les indices : après avoir échangé la caution de 600$ (tout ce que j'avais pu retirer) contre les clés d'un joli studio, dont j'avais pu vérifier le fonctionnement sur les différentes portes, j'ai pu voir que la propriétaire de mon morceau de pomme avait re-posté son annonce juste après mon départ, puis j'ai essayé de la contacter par mail et sa boîte mail ne fonctionnait plus, et puis j'ai essayé de l'appeler, et… vous avez deviné la suite. Donc aujourd'hui j'étais avec une amie, et nous avons discuté un moment de comment il était possible de m'arnaquer alors que j'avais des clés en main. Bien sûr, il était possible qu'elle change la serrure de l'appartement, mais elle ne pourrait pas changer la serrure de l'immeuble, donc il aurait suffit que j'attende les visiteurs suivants et elle- même pour récupérer mon argent. Ou bien elle était simplement une junkie qui attendait son argent au plus vite, et donc louait son appartement au plus rapide pour avoir sa dose de crack, ce qui aurait expliqué son étrange comportement, son flot de paroles incessant, mais alors j'aurais eu l'appartement et qu'importe ce qu'elle était de son côté. Ou bien… Mais rien ne faisait sens. C'était une énigme aux nombreuses inconnues, mais les indices ne semblaient pas avoir de lien. Alors nous sommes allées à l'appartement, j'ai bien pu entrer dans le corridor, très bien, mais bien sûr la clé n'entrait plus dans la serrure de l'appartement lui-même. C'était fait. Le petit espoir timide qui avait encore persisté depuis une jour et demi de questionnements venait de s'envoler, et en réalité je n'en étais plus à m'en attrister. Une partie de moi voulait juste savoir COMMENT j'avais été arnaquée, puisqu'arnaque il y avait eu.


J'ai sonné chez la voisine, qui a juste pu me dire que de nombreuses personnes étaient venues visiter la veille et l'avant-veille, mais qu'elle n'en savait pas plus. Sur ce, alors que nous discutions de à quel point les arnaques étaient monnaie courante dans cette ville, et qu'elle me racontait celles qu'elle avait traversé (elle nous parlait jambes nues sous un T-shirt trop large de sport, jeune femme d'un film américain qui a peine réveillée enfile le vêtement de son homme pour aller répondre à la porte), un jeune homme a monté l'escalier, nous a regardé en souriant et nous a dit “vous êtes là pour l'appartement ?”. Il nous a invité à rentrer, ouvrant la porte sans forcer avec sa propre clé, nous proposant de nous asseoir, de faire… comme chez nous, en somme. Il nous a raconté une histoire.


Il était une fois, à Londres… Non, il n'y a pas d'erreur, il était une fois, à Londres, une mère et sa fille, deux blanches anglaises. La fille s'appelle Penny, la mère sera seulement “la mère”. Elles font partie de ces mères et filles très liées qui ne peuvent pas rester séparées trop longtemps. Elles sont aussi de classe très aisée. Penny, un jour, trouve un travail à New-York. New-York, c'est fabuleux ! Mais il serait un peu triste que la maman reste si loin de sa fille, donc Penny décide d'acheter un petit studio sans grand cachet mais très bien placé dans New-York pour que sa maman puisse venir la voir. La mère en question vient très régulièrement, plusieurs fois par mois souvent, parce qu'on ne se prive pas quand on a les moyens. Petit studio mignonnet, meublé, équipé… Petit studio qui a été mien pendant une heure.
Bien sûr, quand la mère n'est pas dans les pattes de sa fille à Manhattan, elle retourne à Londres, mais il serait trop difficile de rester loin de sa fille comme cela ! Qu'à cela ne tienne, la fille lui crée un compte internet, une boîte mail, et tout le barda, de sorte que les deux femmes ne se perdent jamais réellement de vue. Oui, tout cela a son importance.
Comme la mère va maintenant sur ses 75 ans, internet n'est pas vraiment une chose très évidente pour elle. Mais Penny, petite maline, lui a écrit sur un carnet l'adresse e-mail et le mot de passe de









sa propre boîte, de sorte que sa chère maman ne soit jamais prise au dépourvu. Bien.
Et donc il y a quelques semaines cette vieille dame atterri à l'aéroport de Londres avec son air de bourgeoise, sa valise de luxe et ses 75 ans, et un petit malin aguiché par l'opportunité, lui vole sa valise et s'enfuit.
Dans la valise, notre petit malin londonien trouve une clé d'appartement avec, écrit dessus, l'adresse de l'appartement en question à New York. Il trouve aussi une adresse mail et un mot de passe.
Ceci n'est que supposition, mais je ne crois pas m'éloigner de la vérité en disant que le petit voleur londonien aurait beaucoup aimé connaître quelqu'un à New-York. Peut-être qu'il connaissait cette personne, peut-être qu'il s'est débrouillé pour la connaître, mais la personne en question se fait appeler Patricia Carter. Si vous googlez “Pat Carter” sur internet, vous devriez atterrir comme moi sur trois pages de résultats divers sur un fameux joueur de football américain… qu'importe.
Ainsi le deal est fait. Pat Carter s'introduit dans la boîte aux lettres de la mère qui ne se doute de rien, et épie les correspondances des deux londoniennes. Là elle apprend que la mère reviendra à New York jeudi, et que la fille viendra mettre l'appartement en ordre mercredi. Mercredi, c'est aujourd'hui. Elle a donc quelques jours à sa disposition. Elle poste une annonce sur Craig’s list, demandant expressément aux gens de venir directement avec l'argent, qu'importe la somme, tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils peuvent : le premier-à-payer est le premier servi ! Bien sûr, elle parle vite et sans respirer, comme sous drogue parce que, simplement, elle est nerveuse. Et si la propriétaire arrivait ? Et si quelqu'un la retrouvait ? Et si… ? Les personnes ayant donné cette caution et qui se sont manifestées à cette heure sont : le jeune homme (qui a les mêmes plafonds de retraits que moi) à hauteur de 600$, moi-même à hauteur de 600$, un couple de japonais à hauteur de 1500$, un portugais d'une quarantaine d'année à hauteur de 1500$, et on en attend encore d'autres à la porte de ce petit appartement. La police supposait que la femme avait dû retirer plus de 8000$ de sa petite affaire.
Le dernier à donner l'argent a été ce jeune homme, qui s'est déplacé du New Jersey à 00h30 pour verser sa caution, mais qui pour sa part a insisté pour passer la nuit sur place. La jeune femme lui a fait visiter l'appartement pendant que ses propres enfants dormaient dans le lit. Elle a rembarqué son petit monde et ce sera la dernière fois que vous entendrez parler de Patricia Carter. Le jeune homme va s'acheter un café le lendemain, et quand il revient, une femme l'attend dans ce qu'il pense être sa chambre, avec des policiers. Il s'agit de Penny. Il raconte son histoire, Penny fait changer sa serrure, les policiers assurent qu'ils ne peuvent rien faire puisqu'il n'y a pas eu d'infraction et s'en vont. Penny, gênée et gentille, autorise le jeune homme à présent sans domicile à rester jusqu'au lendemain, puisque demain, si vous avez bien suivi l'histoire, sa mère reprendra la place qui lui est dû. Deux heures plus tard, les japonais viennent avec leurs valises, puis le quarantenaire portugais, et enfin mon amie et moi. Et bien sûr je mettrai ma main au feu que pendant plusieurs jours des gens vont venir, clés en main et lourdes valises, pour emménager dans leur nouveau petit studio…






mardi 26 octobre 2010

26 octobre 2010 - New York vol.26



Les américains ont-ils la moindre idée de ce qu'est le style ? Les aberrations vestimentaires courent les rues, donnant a chaque quartier un cachet d'aberration. Agréable, improbable. Voyez cette jeune fille : elle porte le foulard de musulmane bien serré autour de sa tête, avec le savoir faire des années de pratique, mais aussi des cuissardes en faux cuir qui ne m'inspirent malgré moi que l'image des prostituées. Et cet homme de la sécurité, énorme noir en costard noir, chemise blanche, cravate noire, et sur la tête une large casquette a l'américaine a l'effigie des Yankees. Des dizaines de garçons se la jouent Buddy Holly avec leurs épaisses lunettes à montures noires et leurs chemises a carreaux, le tout monté sur ces Vans indémodables que tout le monde portait quand j'étais au collège, et que je voulais absolument parce qu'aussi affreuses que ces chaussures puissent être, elles m'auraient assuré, chose évidente pour moi a l'époque, le succès que je n'ai pas eu.

Les pseudos pin-ups portent des mocassins, les filles propres sur elles les jupes les plus courtes, et ainsi vont les gens, sans se poser de questions. La liberté vestimentaire, ici, est un fait avéré.


Alors en me baladant dans les couloirs de mon école, coincée dans l'ascenseur avec ces deux garçons, un petit rond et un grand maigre discutant de comment la vie était difficile quand ils étaient deux nerds adolescents, ou en retenant la porte pour se groupe d'asiatique qui se parle en anglais, car, c'est toujours bon de le savoir, tous les asiatiques du monde ne parlent pas la même langue… il y a toujours quelque chose a regarder.
J'aime mon école. J'aimerais y rester encore le reste de l'année. Vrai, je ne m'étais pas autant intéressée a mes cours depuis, peut-être, ma première année de prépa. La deuxième, j'étais trop déprimée pour, comme ils disent, “give a damn” (m'y intéresser, mais c'est une expression je crois difficile a traduire), mon année de licence 3 a la fac était une vaste blague, et mon école de cinéma à Toulouse plus constructive pour ce qu'on y fait que pour ce qu'on y apprend.
Ici, tout demande investissement, passion, patience. Peut-être que c'est la bonne élève en moi qui est comblée, peut-être que c'est tout le reste de ma personne. Et puis je vois ces élèves passer avec des peintures étonnantes, d'autres d'immenses photographies, d'autres taguent les murs, il y a des annonces étranges dans les couloirs (“éléphant a vendre, certifie de provenance africaine” ; “combien seriez vous prêt a payer pour ce sac d'air soufflé par une jeune artiste sur Union Square ?” ; “Perdu : Joe, mon meilleur ami, il me manque beaucoup si vous le retrouvez veuillez composer le…” ; et ainsi de suite), d'autres étudiants créent des alphabets (il ne m'étais jamais apparu que le design des alphabets était un métier a part entière)… je n'en finis pas de découvrir les choses étranges et extraordinaires que les gens font quand on leur donne le droit, l'idée, les moyens, l'ambition.
Aujourd'hui ma professeur de théâtre m'a définie comme une élève charismatique. Charismatique, voyons. J'ai été perçue comme timide, ou arrogante (parfois les deux en même temps, c'est l'apanage des premiers de la classe), ou bizarre. Mais charismatique ? Oh, je prends !


Ma journée pourrait être considérée comme difficile, parce que j'avais ce texte a écrire dont le thème était “un personnage surprend quelqu'un qu'il adore faire quelque chose d'horrible”. Les trois exemples qui nous étaient donnés à lire, trois courtes pièces d'un livre appellé Bash, portaient sur : un père étouffant son propre bébé pour retrouver son job, un couple tabassant a mort un homosexuel dans des toilettes publiques, une jeune fille de 14 ans, enceinte de son professeur de littérature, qui 14 ans plus tard noie son fils dans la baignoire. Le cours a donc été empli de textes de meurtres, de pédophilie, de viols, de tortures… Et parce que l'investissement était si entier, j'en suis sortie avec cette légère nausée que nous procurent parfois les mauvais films violents.


Mais les idées y sont parfois stupéfiantes de naturel. Les élèves semblent tous avoir ce talent particulier, peut-être parce que j'y ai été rendue plus sensible avec les années, j'ai la même sensation dans ma classe en France. Mais aussi imaginez la professeur, notre âge, qui avec sa nonchalance de mâcheuse de chewing-gum nous donne des petites idées qui paraissent toujours si simples et si









jouissives, qui éclatent au jour comme si elles avaient toujours étaient là alors que, vraiment, personne n'y aurais pensé. Sa phrase favorite : “rise the stake” (élève l'enjeu). “Et si par exemple ce fou dont tu parles qui propose un morceau de gruyère a tout le monde, il ne leur présentait pas un morceau mais la tomme entière ? Visuellement, ce fou faisant rouler une tome de fromage pour en proposer aux passants, ne serait-il pas plus intéressant ?”. Rise the stake. Vous commencez a voir pourquoi le cinéma américain est si différent du cinéma français : chaque professeur vous dira l'un après l'autre : ce qui est important, ce n'est pas que ça paraisse réel, c'est que ce soit passionnant. Les mots de mon professeurs d'adaptation de roman ont été plus précisément : “en écrivant un dialogue ne vous demandez pas si vous, dans cette situation, diriez une chose pareille, mais si votre personnage fictif a une raison de le dire.” On peut ne pas être d'accord. Mais après avoir entendu mon oncle me répéter deux cent fois que dans les films français il ne comprend pas ce que les acteurs racontent parce que l'ingé son, dans un souci de réalisme, a voulu que le son des voitures dans la rue soit aussi puissant que les dialogues ; après avoir vu tant d'acteurs français regarder dans le vide depuis la fenêtre, parce qu'ils vont mourir et qu'ils sont tristes (or c'est ce que l'on fait sans doute quand on va mourir et qu'on est triste, mais peut-être qu'un personnage, après avoir regarde dans le vide, peut faire autre chose, sinon autant qu'il crève tout de suite), eh bien… J'ai plutôt la tentation d'en prendre de la graine.


Je prends ce qu'on me donne, c'est l'enjeu du voyage, des études et des vacances en même temps, et qui m'aident à me recentrer sur ce que je veux vraiment faire de ma vie. Et vraiment, je ne sais pas pourquoi j'ai aussi longtemps nié l'évidence de ce simple fait : depuis que je suis née, je veux devenir scénariste. Lire des livres, en faire des films, écrire à longueur de journée, avec la liberté d'être chez soi ou partout ailleurs, ouvrir sa sensibilité au maximum pour aller trouver celle des autres… Y a-t-il vraiment une seule chose au monde qui me rendrait plus heureuse ? Je ne prétends pas en avoir le talent, et surtout pas l'expérience, bien sûr, mais l'envie, elle me paraît aujourd'hui une évidence. Je ne veux pas abandonner le décor pour autant pour l'instant, au moins parce que ça m'amuse, que les gens en m'entendant me proclamer “décoratrice de film” penchent la tête comme des jeunes chiens avec ce même regard d'intérêt et d'incompréhension, et que je me dis qu'une activité qui laisse les gens pantois est une bonne activité. Plus sérieusement, j'aime la matière, sans doute parce qu'elle est ce qui n'est pas dans l'écriture. Bref, dans quelques jours je serai à la moitié de mon séjour à New York, déjà, et j'apprends chaque jour des choses essentielles à l'existence.


Oh, et depuis quelques jours, mes pensées sont en anglais. J'ai supposé que c'était bon signe…




3 août 2023 : Summer Camp au Mont Dore

Aujourd'hui j'ai vu le vent danser. La littérature ne s'en lasse pas : les feuilles qui dansent sur les arbres, les fichus sur l...