mardi 23 novembre 2010

23 novembre 2010 - New York vol.34



L'enchantement de la publicité ciblée. Il y a quelques mois, je discutais avec mes amis : de décor, de ce que j'aimerais faire, etc. J'ai finis par leur dire que la construction d'un décor pour un univers steampunk devait être génial. J'ai regardé leur tête s'allonger et, mieux que des mots des images, ai tapé “steampunk” sur Google images.

Quelques semaines plus tard, parmi les publicités de Facebook, je trouve cette annonce “steampunk event, à New York, le 21 novembre”. C'est ainsi que tout commence.


Avant-hier, donc, j'étais au Webster Hall pour ce fameux “Steampunk event”.


En supposant que mes lecteurs ne soient pas tous geeks, nantais, et ne jouent pas tous à Bioshock, je vais essayer d'expliquer ce qu'est l'univers steampunk. On appelle ça le rétrofuturisme, parfois. C'est une sorte d'univers parallèle inventé par, disons, des historiens fous londoniens. Imaginez le futur tel qu'auraient pu le voir les hommes à l'époque de De Vinci, de la machine à vapeur, des débuts bègues de l'aviation. Imaginez ce que la machinerie, la mécanique, avait de stupéfiant. Maintenant supposez que jamais le monde depuis n'a connu l'électricité, ou a fortiori internet. Au lieu de cela, il s'est développé sur des mécanismes compliqués de bois, de cuir et de métal. Vous devriez être proches des Machines de l'île (à Nantes), et si vous ne l'êtes pas… Approchez-vous.


Bien, maintenant que vous avez compris l'essence de ce monde imaginaire, comprenez ce qu'on en fait : on le célèbre. Des objets sont créés (le cuivre est le maître des matières dans l'univers steampunk), des vêtements sont portés, comme mode vestimentaire ou bien comme déguisement, des livres sont écrits, des films, des jeux… Cette mode me plaît car elle ne se réfère pas à des “règles” comme la plupart des univers (les vampires ne peuvent pas sortir la nuit, les elfes deviennent mortels s'ils se donnent à des humains, l'anneau c'est pas cool, etc.) mais à une esthétique. Elle, et elle seule.


Me voici donc dans le Webster Hall, me fendant un chemin entre les ailes de métal d'un aviateur ailé et les dix monocles à quatre épaisseurs, jusqu'à la première scène. Des femmes en crinoline riaient sur leur premier verre d'absinthe, pendant que le lapin d'Alice, bardé de montres à gousset, buvait le premier thé d'une longue série, puisque le thé était gratuit et à volonté (ai-je dit que Londres et son brouillard incessant est la ville steampunk par excellence ?). Sur la première scène, un accordéoniste à moustache retroussée jouait en observant de ses lunettes rondes une contorsionniste de 80 ans, laquelle n'avait plus de dents, se plier sur elle même à l'infini. A l'étage, les corsets les plus étranges s'amourachaient d'un champ de chapeaux haut-de-forme à fière allure. Quelques énormes pistolets de fer, de bois et de cuivre travaillés protégeaient les ventes de bijoux et de babioles curieuses : des hippocampes d'un centimètre dans des bouteilles de deux centimètres, des colliers de petits os, des montres à gousset dont la mécanique, bien sûr, est apparente…


Sur la scène, une longue et belle blonde jouait un violon couplé d'une oreille de cuivre, à la fois instrument et phonographe, dont le son était agréable. Un commandant et un aristocrate tout de blanc vêtus écoutaient patiemment un troubadour leur donner des conseils sur les différentes façons de boire de l'absinthe. Une jeune fille portait un masque à gaz en cuir et un panneau “free hugs” ce qui me faisait beaucoup rire. Et des centaines d'autres apparaissaient, disparaissaient derrière le comptoir d'absinthe. Un cirque de l'étrange donnait représentation devant cette cours des miracles bizarre, avec des tours de foire ancestrale : celle qui marche sur des sabres aiguisés, le forain qui plante un clou dans sa narine, la planche à clou, la danseuse du ventre avec un serpent pour collier, l'homme qui se libère de ses chaînes et d'une camisole de force en quelques instants, une strip- teaseuse en perruque… Aucun de ces tours -si je les avais vu en ville, dans une fête, ou même dans un cirque- ne m'aurait paru ni beau ni poétique. C'est de l'art de barbare, c'est le dernier souffle suffoquant de la foire aux monstres et des montreurs d'ours. Alors ces spectacles qui n'ont plus leur temps dans le nôtre le trouvent ici, dans ce temps déformé, étiré. Ils ont leur place devant ces Toulouse-Lautrec distordus. Et je les regardais, un cocktail étrange à la main (lequel s'appelle “anachronisme”, du fait de la rencontre inopportune de l'absinthe et de la vodka sur un lit de crème fraîche et de sucre), avec un certain plaisir cynique. Une pièce de théâtre se jouait dans l'autre salle, dont l'étrangeté n'avait d'égal que sa mauvaise interprétation. Deux strip-teases se sont déroulés pendant la soirée. L'un par un chap en nœud papillon et porte-chaussettes (ai-je parlé de Londres ?), et l'autre par une femme. Entre-temps, plusieurs petits concerts, ainsi qu'une cantatrice d'opéra qui ne cessait de répéter que c'était son jour de congé. Et puis un défilé de vêtements steampunk, à vendre bien sûr, hors de prix bien sûr, que je regardais d'un œil en louchant de l'autre côté de la pièce sur d'incroyables corsets rigides dont la finesse et la beauté narguaient tous les portes feuilles. Je dis bien tous, car il en aurait fallu trois pour approcher l'un de ces corsets.


Et pendant toute la soirée, une murder party se tramait, obligeant les gens à venir discuter les uns avec autres en demandant élégamment, en résumé, s'ils n'auraient pas eu le mauvais goût d'assassiner quelqu'un ce soir.
L'ensemble me plaisait énormément : pas de fautes de goût, si ce n'est celles qui s'assument, beaucoup d'idées, d'inventions, de rire, une salle steampunk décorée de bois et de cuir.


J'en suis sortie, j'ai acheté un hamburger au mexicain du coin de la rue en jugeant tout le monde rustre et sans saveur. A peine sortie, je voulais déjà rentrer à nouveau dans cette machine à voyager dans le temps. Mais il était 2h du matin, et j'avais du travail le lendemain pour écrire un texte pour mon prochain cours dont le thème est “écrivez une histoire qui se passe dans le futur ou dans un monde parallèle”. Bizarrement, j'ai quelques idées…





vendredi 19 novembre 2010

19 novembre 2010 - New York vol.33

Il y a deux semaines, lorsque j'ai accepté de faire le décor de ce fameux tournage, j'ai demandé à la jeune réalisatrice quel était son budget pour la partie décor. “$500, mais moins ce serait génial”. J'ai acquiescé, me disant que $500 pour trois décors différents en intérieur (et deux en extérieur, mais là il n'y a rien à dépenser), c'était pas du luxe, mais que j'allais voir ce que je pouvais faire.





Je lui ai donc envoyé un budget que j'avais fièrement limité à $300, à supposer que j'arrivais à trouver les oiseaux et leur cage gratuitement.


Il y a quelques heures, elle devait donc me donner l'argent, d'avance. Je l'ai vu s'avancer vers moi et me dire “Marie, il faut qu'on parle, à propos du budget… il est vraiment très serré tu sais… il faut vraiment que la plupart des choses que tu dépenses, tu puisses les ramener ensuite et te les faire rembourser… Je peux dépenser pour de vrai $20 en tout mais pas plus, tu vois.”


Je l'ai regardé. Mon esprit tournait très très vite. Et là, tout d'un coup, j'ai eu envie de l'appeler “Sweety”. “Sweety”, c'est le surnom qu'une femme peut donner à une femme le plus condescendant et cynique que je connaisse. “Bien sûr Sweety… Tout ce que tu veux Sweety… Mais tu me prends pour qui ?! J'accepte seule un travail qui devrait être pour trois, de faire en deux semaines ce qui devrait être fait en un mois, de trouver deux putain d'oiseaux identiques gratuitement alors qu'il n'y a qu'une seule race qui connaisse à la fois des oiseaux bleus et des oiseaux noirs -et ils ne sont même pas noirs ils sont gris- et ils coûtent $200 l'unité, et tu veux deux lits pour gamins dans une chambre où il n'y en a qu'un alors qu'on est dans une ville où on ne peut rien récupérer dans la rue à cause des bestioles des matelas qui te donnent d'énormes plaques rouges, et tu veux des dizaines et des dizaines de jouets dans une baraque où il n'y a pas d'enfants, et deux vieilles horloges, un diamant, un sac à main, des fruits et légumes, un panneau que tu voulais joli et maintenant tu le veux en lettres noires typographiées -juste au moment où je te montre la photo de mon travail terminé- tu veux un ballon de football et des tableaux au mur, tu veux des tapis au sol et des photos des acteurs développées, un service à thé dans les bonnes couleurs, des torchons et des serviettes, des fausses fleurs, des couvertures, et tout ça, tout ça tu le veux pour $20 ? Avec un scénario de merde où deux gamins vont voir leurs grands-parents morts qui trouvent rien d'autre à dire que ‘à chaque fois que vous pensez à nous c'est comme si on revivait un peu’, t'as raison ouais pour une morale pareille je donnerais pas trois cents ! Et comme je me suis engagée, et comme je ne suis pas du genre à faire un boulot à moitié, tu me lâches ça maintenant comme une fleur et je peux rien faire contre ça, liée par ma propre faute ! Mais tu crois quoi, YOU BITCH !?”.


Et pendant que la fumée de ma cigarette déblatérait tout ça au vent, ma bouche, elle, n'a rien trouvé de mieux que de se parer d'un doux sourire humble et rassurant et de dire “très bien”…






mercredi 17 novembre 2010

17 novembre 2010 - New York vol.32




La recherche de l'oiseau bleu…


Je suis décoratrice sur un nouveau tournage, entièrement mexicain cette fois. Un conte pour enfant. Deux enfants vont à la recherche d'un oiseau bleu dans les univers du passé, de l'avenir, du non-temps… Le scénario est ce qu'il est. Mais au cours de leur recherche, ils en trouvent des oiseaux bleus. Mauvaise nouvelle : ils deviennent vite noir.


L'ironie de la chose fait que de part mon rôle de décoratrice, je me retrouve à la recherche de l'oiseau bleu (et de l'oiseau noir), afin qu'ils viennent tenir leur place dans ce film. Quels univers traverserai-je au cours de ma quête ? Manhattan, Brooklyn, et un brin de Long Island où se fait le tournage. Là-bas, les arbres sont embrasés de feuilles rouges, le soleil absent y a trouvé son successeur. Ici, les dalles grises trempées d'eau reflètent les néons magiques de toute la ville, les cassant au passage de lignes irrégulières, en diamants de lumière. Un diamant, voilà encore quelque chose qu'il faut que je trouve pour ce tournage. Inutile de préciser que je n'ai pas d'argent à ma disposition. Toujours le même tour étudiant : remplacer des centaines de dollars par des centaines d'heures de travail.


Je fabrique un panneau de proprié “Land of Memory” (Territoire de la Mémoire) de peinture verte et marron, avec de minuscules points oranges et dorés. La Mémoire sera donc sous le signe de l'automne, c'est ainsi que j'en ai décidé. Et en me penchant sur mes tout petits points je redécouvre Novembre, ici et ailleurs. Je plonge dans les branches dorées. Quand les feuilles tomberont, peut-être dévoileront-elles un petit oiseau bleu, qui avant de s'envoler me laissera le poser, tout doucement, devant l'inélégante caméra.


Le petit oiseau noir, le mal-aimé, où le trouverai-je ? Et où le lit d'enfant ?
la vieille horloge ?
la vaisselle en terre ?


Il pleut dehors, mauvais temps pour les chevaliers et leur quête. Je me sens l'héroïne moderne d'un conte ancien. Et quand j'ouvrirai les yeux, réveillée par le chant de mon oiseau multicolore, les objets que j'aurai cherché seront là, entassés tout autour de moi dans ma chambre de petite fille. Je dirai à qui veut bien entendre que j'ai fait un rêve étrange où j’étais grande dans une grande ville, apprenant un grand métier, et personne ne me croira, mais moi je saurai que tout ça, c’était pour de vrai.






mercredi 10 novembre 2010

10 novembre 2010 - New York vol.31

Deux soirées…





Hier encore une fois, après les cours, j'ai marché sur les pas de l'allemande jusqu'à un café de Brooklyn qui n'est pas loin encore de se faire avaler par les deux diners en métal qui l'encadrent. Chaque table était éclairée à la bougie, et cette raison m'a suffi pour commander un Kir plutôt que la consensuelle bière, qui de toute façon sonnait froid dans ma tête. Un groupe s'est installé, mon amie était là pour eux et j'étais là pour elle, rien qui ne soit arrivé déjà un million de fois : sinon l'apéritif et les chandelles, c'était une soirée de jeunes sur une terre de jeunes.
La première note lancée par le bassiste a manqué de m'arracher le tympan. Envolées la douceur du Kir, des bougies, de la pénombre, de mon amie à côté de moi qui traçait son chemin au travers de son accent allemand pour faire sa commande… Même pas une note, même pas un pincement de corde : juste du bruit à m'en faire jeter mon verre, s'il n'était resté sur la table à vibrer à toute supposée note comme à chaque pas d'un T-rex s'approchant d'une bagnole.
Oh, voilà que les choses promettaient d'être difficiles ! Je me suis protégé les oreilles, et j'ai repris mon verre de Kir semblant qu'à chaque gorgée je ne sentais pas la vibration des basses remonter dans la même gorge que le liquide descendait. J'essayais d'être à la hauteur de la prestance de mon verre de Kir, d'avoir juste assez de contenance pour ne pas être insultante. Ils étaient ses amis, après tout, et même si ce Kurt Cobain homosexuel allait jusqu'à nous tourner le dos pour ne pas qu'on voit ce qu'il pouvait bien trafiquer sur sa pauvre guitare, je leur devait du respect… Et puis quand j'ai vu mon amie enfoncer des serviettes dans ses oreilles et se tourner vers moi en hurlant des mots insaisissables dont je ne percevais que la forme : “This. Concert. Is. Horrible.”, les choses tout à coup se sont détendues. Je ne retenais presque plus mon rire devant le ridicule de la chose : deux hommes devant 10 personnes avec assez de son pour une salle de 6000, détruisant les tympans de ceux qui n'ont pas encore fini leur verre, et donc ne se décident pas à partir. Quand il chantait, mon souffle était coupé comme s'il me donnait des coups dans le ventre, et je n'arrivais pas à retenir la grimace de pitié que de toute façon je lisais sur tous les visages.
Il fallait juste que je finisse mon verre de Kir, juste ça. Maudit Kir, je n'aurais pas pu prendre une pauvre bière comme tout le monde ? Non, maintenant il faut que je reste là et sirote mon apéritif à 9$ devant le remake sonore d'une explosion nucléaire…
Je buvais un peu vite, mais le duo braillait plus vite encore, et ils sont arrivés à la fin de leur court spectacle sans que j'ai eu l'occasion de reconnaître une chanson d'une autre (sinon quand les paroles passaient de “reste près de moi” à “je ne veux pas que tu t'en ailles”… véridique).
Quand ils ont terminé leur spectacle et qu'on m'a dégagé du costume de plomb des basses, je me suis rendue compte que j'avais oublié un léger détail : l'allemande était leur amie… Ils sont donc venu déguster leur apéritif en notre compagnie, et je chancelais entre l'envie de leur exploser à la figure, de me marrer ou de m'excuser platement. Toujours est-il que le chanteur-batteur-guitariste ne semblait pas me porter dans son cœur. Et de mon côté j'essayais d'avoir pour l'homme le respect que je n'avais pas pour le musicien, et de retenir la grimace qu'en véritable chien de Pavloff j'arborais à chacun de ses mots.


Aujourd'hui je cherchais un endroit où dîner qui ne serait à base ni de sushi ni d'Hamburger, et resterait sur le chemin de la maison. Je suis entrée dans une pizzeria (qui sont assez rares à New York) sans vraiment y penser. J'ai porté toute la journée un bonnet des plus bizarre qui, si je ne peut pas dire qu'il soit d'une beauté raffinée, a le double mérite d'être extrêmement chaud, et la moins discrète des choses que quelqu'un puisse porter sur sa tête. Cela a son importance. Je rentrais donc dans la pizzeria avec cette coiffe qui ferait pâlir Jamiroquaï de jalousie, sans vraiment prêter attention à l'espace que je pénétrais. Quand j'ai levé les yeux, tout le régiment des policiers à l'entraînement dans la rue d'à côté étaient là. Tous parfaitement identiques dans leurs uniformes, les mêmes matraques accrochées aux mêmes sacs, les mêmes coiffes et le même repas. J'ai été stoppée net par cette vision, mais je ne sais pas lequel de nous trente était le plus étonné. Trop drôle pour faire demi-tour, j'ai fait mon passage entre les matraques jusqu'au comptoir, ai été servie, et suis partie avec un sourire incrédule. J'ai embarqué ma part de pizza dans le métro avec la ferme intention de l'y dévorer. Je me suis donc assise entre deux grosses dames, mais une vision a détourné mon attention de mon ventre bruyant :en face de moi six personnes très différentes au demeurant, pianotaient chacune sur son Iphone sans se rendre compte de l'unité de l'ensemble. J'étais estomaqué. Certains devaient jouer, d'autres écrire un message, d'autres choisir la musique transmise à leurs écouteurs, mais d'apparence ils n'était que les duplicata colorisés d'une même image. L'un d'eux a seulement levé la tête un instant, attiré par la forme rocambolesque de mon bonnet, m'a fait un signe indécis, et s'est replongé dans son appareil.


Pizza enfin avalée, je suis sortie du métro quelques minutes plus tard pour voir une bande de jeune punks débarquer à la vitesse des gens sur d'eux. Deux butches vieille mode, des jean trop courts et des cheveux sculptés, des bisoux de plumes de babioles, je me fondais parmi eux comme rien.
A chacun son uniforme…





lundi 8 novembre 2010

8 novembre 2010 - New York vol.30

Je suis sous terre à Manhattan, Brooklyn de l'autre côté du pont m'appelle de son silence de vieux quartier, le métro accélère, il tangue, il gémit encore et sans pitié je me marre, parce qu'un jeune barbu me raconte des histoires de photographe, et je me marre parce que je m'en fous, parce que je l'aime bien, parce que je rentre chez moi.





Je suis à Brooklyn, mes doigts glacés se jettent sur le col de mon manteau, je me bat contre le vent qui me lance ses milliers de pics de glace, je me bat contre le vide de ce quartier industriel. Pas une âme, pas un moteur vibrant, pas un chat. Un lampadaire pitoyable qui n'éclaire pas plus que son propre globe, des vieilles usines de monde en déroute, un clochard endormi sur ses marches, dans une niche de vieux machins poussiéreux, qui boit le goudron à grandes lapées de misère, et puis le vent hurlant sur les dalles de béton et le fer barbelé.


Comme il siffle sur le silence ! Il me raconte la fin du monde : c'était il y a vingt ans, trente, peut- être plus. Il n'est plus resté que ces murs de brique fatiguée, ce clochard et le vent. Les noms de rues sont fatigués, blanchis et effacés par le souffle incessant. Ce matin, l'un des panneaux avait disparu, volé ou envolé. Ce qu'il reste d'ici se désintègre, les bourrasques portent les limbes sur ce morceau de pas-grand-chose.


Je distingue le bruit léger des mocassins d'une petite chatte en veste de jean, elle me dépasse en trottinant, clés à la main, et disparaît vite dans quelque immeuble en miaulant contre le vent.


J'attrape mes clés, c'est tôt encore, mais j'ai envie d'un flingue pour tirer dans le vide comme les vrais désespérés quand leur monde est terminé, mais je n'ai que mes clés, je les chope du bout du doigt dans la profonde poche, et je les attire sans les sentir, mes doigts aussi froids qu'elles, et je ne sais plus de ma main ce qui est moi et ce qui est elles.


Je rase trop un mur, il m'écorche la main, je ne sens rien, un tout petit peu du sang chaud qui affleure, insecte fidèle sous ma peau.


Les usines s'écrasent en tas de poussière autour de moi, et j'arrive à la mienne, d'usine, la clé est déjà prête, je tire la porte à moi avec l'épaule, car mes doigts ne peuvent plus rien, le couloir est plus froid encore que le vent dehors. J'ai dû maugréer quelque chose, car les murs noircis de vandalisme me renvoient leur réponse. L'escalier en métal sonne sous mes pas la chanson de l'hiver, et du dernier être vivant sur terre. Ma porte est là, minable, je la passe, je ne regarde même pas autour de moi le couloir immense du Loft où nous sommes sept à vivre sans presque jamais nous croiser. Très vite je passe devant les gueules de chien qui dépassent de la sculpture de mon colocataire sculpteur. Très vite devant les yeux de cette femme peinte par mon colocataire peintre. Très vite devant la photographie géante de fourmis minuscules de mon colocataire photographe. Au fond tout au fond, du rouge des dernières chaleurs, ma chambre m'attend. Je rentre, et j'allume le petit chauffage électrique. Les mains me crient la douleur de cette chaleur soudaine, et je les regarde crier avec perversité, je sens la chaleur revenir, et tant mieux si elle fait mal, je la sens dans mes doigts, et le reste de mon corps se détend du bien être facile. Alors je lève les yeux sur ma chambre. Une petite maisonnette en bois trône au milieu, avec ses volets multicolores qui s'ouvrent sur ma chambre elle- même, et le gros canapé bouffi, et les grosses couettes de chat, et les deux bureaux, et de l'espace, de l'espace à ne plus savoir qu'en faire entre ces quatre murs rouges, jaunes et bleus. Et entre eux le monde renaît. Des centaines de bouquins empilés sur le sol, que j'ai dépoussiéré un à un, découvrant des Neruda, des Zweig, des Dostoïevski, des Hemingway et même, juste pour le clin d'oeil complice, deux Philip Roth que j'ai embarqués dans ma chambre, me vient la présence des vieilles pages. La télévision, fixée sur deux jambes de mannequin et qui, c'est un comble, ne marche pas, joue avec moi à 1-2-3 soleil. Et gagne systématiquement. Une dizaine de vinyles de chants de noël ringard font de l'œil à l'hiver, mais surtout ce sont toutes ces couleurs qui me rappellent à la vie : mes feutres fluorescents sur l'un des bureaux, ma guirlande lumineuse sur l'escalier, mes fils de couleurs bien rangés dans leur petite boîte transparente. J'entends ma voisine rire, comme chaque soir à cette heure-ci. Et enfin, en regardant par ma fenêtre sale le vent dehors qui se bat contre rien et pour rien, je me venge en mettant de la musique vivante, dansante, vibrante, Rawhide !, pour couvrir le hurlement incessant.


Maintenant, dans mon grand nid tout de bois vêtu, qui ferait sourire même les soldats d'acier de Buckingham, il ne me reste plus qu'à danser jusqu'à la salle de bain et puis me jeter en désordre sous les énormes couvertures.





mercredi 3 novembre 2010

3 novembre 2010 - New York vol.29

Il y a un mois, une petite coréenne répondant au prénom adorable de Mimi a fait appel à mes services en tant qu’“art director”, un des nombreux métiers américains que les français regroupent sous le nom et en la personne du “décorateur”. En l'occurrence, le studio était déjà en place, et il y avait peu de choses à faire, sinon une recherche d'accessoires et l'installation de petits objets de la vie quotidienne dans un décor de sitcom. Pas que ce travail en particulier m'intéresse outre mesure dans la décoration, mais c'était une bonne occasion de me retrouver sur un tournage à New York (un autre, j'ai été sondière au début du mois sur un tournage dans le New Jersey), donc j'ai accepté.
Et je me suis retrouvée dans une équipe composée entièrement de coréens, et dont seule l'actrice était israélienne. Pas un seul américain, donc, mais j'étais en réalité la seule étrangère dans la mesure où ils étaient tous à New York depuis plus de deux ans, et moi depuis moins de deux mois.





J'étais donc une étrangère au milieu d'étrangers, étrangère comme eux, étrangère plus qu'eux, étrangère parmi eux. Et mon travail consistait principalement en de la pré-production, donc j'avais des heures et des heures de loisirs à seulement les regarder faire. Mimi est minuscule. Un petit bout au visage tout rond qui passe son temps à sourire et à plisser les yeux, et quand une asiatique sourit en plissant les yeux, ça donne envie de lui faire des câlins. Ou de s'écrier un petit “Ooooh !” d'attendrissement. Mais ici elle était entourée de coréens très grands, très musclés aussi, un peu fiers et arrogants, tous des hommes. Alors Mimi s'est transformée du tout au tout, elle est devenu sèche et franche, décidée. A part bien sûr quand elle parlait à son actrice, car la hiérarchie est établie et indémodable : l'équipe est au service du réalisateur, le réalisateur est au service de l'acteur. Un bon réalisateur est quelqu'un qui réussit à faire croire à son acteur qu'il lui est subordonné, tout en tirant du comédien ce qui lui est nécessaire. Un jeu périlleux, ridicule, et pourtant avéré. Donc tout-doux- tout-miel avec son actrice, elle imposait sa volonté avec la force des enfants intraitables avec son équipe.


De l'autre côté, ces grands coréens avaient l'arrogance des professionnels du cinéma. Je ne sais pas quand il a été décidé que les chefs opérateur avaient le droit de se considérer supérieur à tous, mais il est souvent assez drôle de le voir sur un plateau accepter les ordres du réalisateur avec la tête haute de “celui qui ne reçoit pas d'ordre”, ou pire avec force roulement d'yeux, juste pour se donner la contenance du grand manitou quand ils ne sont que des pions comme les autres, et que c'est déjà largement suffisant. Y a-t-il quelque chose que les directeurs de la photographie savent que le commun des mortels de sait pas ? Ont-ils la recette définitive du “chef d'oeuvre cinématographique” à ne pas partager avec les naïfs réalisateurs ? Bien sûr, je force le trait. Mais il y a quelque chose, vraiment, dans l'aspect technique de ce métier, qui donne une surface stable sur laquelle le chef opérateur peut s'appuyer, tandis que les réalisateurs semblent toujours se noyer dans les sables mouvants de “ce-que-c'est-que-l'art”. Bref, chef op’ et électros s'occupaient de leurs lumières et caméras, détruisant au passage sans sourciller tout le travail de décoration que j'avais pu faire jusque là. J'avais l'impression d'être la jardinière nunuche qui regarde les gros godillots patauds du plombier saccager son parterre de fleurs et qui pince ses lèvres en murmurant “vaurien”, mais qui attend le départ du Godzilla pour remettre de l'ordre dans ses marguerites.


Ils étaient grand, tous musclés. L'un d'eux particulièrement massif regardait l'actrice comme un homme préhistorique a dû découvrir la beauté des fleurs, l'autre, fin, bel asiatique androgyne tel que la mode les aime en ce moment, minaudait derrière son script, et les autres étaient encore trop occupés pour laisser transparaître autre chose que la nécessité du professionnalisme. On est tous passés par là un million de fois : on sait qu'on va finir tard, qu'on va être fatigué, qu'on va avoir faim, qu'on va continuer à travailler et qu'on ne se plaindra pas, et que si quelqu'un craque et se plaint, c'est la fin de la quiétude du tournage, et la la guerre commence. On se prépare à la guerre. On regarde le planning où il est écrit : fin de tournage, 23h, et on se demande juste si on aura fini avant que le soleil se lève. Quand on a le temps, on pense qu'un seul étudiant en cinéma abat plus de travail sur un tournage que 4 professionnels (fait avéré et calculé -sur une base de 35h par semaines pour un professionnel- lors de mon dernier tournage), et que ça gagnerait à être connu. Bref, tout ça était dans leurs têtes, évidemment, pendant qu'ils déroulaient les câbles ou sécurisaient les lampes avec leurs élingues. Mais quand même, la première fois que j'ai vu le travail d'un directeur de la photographie, je n'étais pas encore étudiante en cinéma, et j'ai entendu l'électro dire “et là, derrière la fenêtre, on met la lune”. Quelques minutes plus tard, il y avait la lune derrière la fenêtre, et je me suis dit qu'il y avait des magiciens partout.


Le premier jour de tournage, bien sûr, s'est terminé à 5h du matin, les sourires s'étaient évanouis, l'ambiance était neutre, la réalisatrice portait les cernes de celle qui ne pourra plus faire de choix, et le chef opérateur allait bientôt craquer, bientôt se plaindre, on sentait dans sa voix, derrière ses paroles en Coréen le début d'un cynisme, et quelques minutes de plus, la ligne aurait été franchie.


Donc nous nous sommes donnés rendez-vous le lendemain. Je n'étais pas là lors de la première partie de la journée, mais quand ils sont arrivés sur le deuxième lieu de tournage où j'avais déjà commencé à travailler depuis quelques minutes, l'ambiance générale avait évoluée. C'était le deuxième jour, chacun avait testé l'autre, chacun avait trouvé sa place attribuée, et les choses pouvaient commencer à se décontracter. Et comme sur tous les tournages, le repas a encore aidé. Nous avons mangé des dumplings. Aïe. De la pâte, de la viande, et de l'huile, le tout à des doses égales… Ils avalaient ça trois par trois, et j'avais ce regard de dégoût mêlé de fascination qui les faisait rire. Sans doute pour souligner mon air de colon regardant des tribus africaines manger des insectes, le jeune coréen m'a dit d'un air sournois que traditionnellement les dumplings coréens étaient fourrés de chair humaine. Ça a réveillé mon sens de garçonne prête à tout, et en fourrant difficilement la deuxième moitié de mon premier dumpling dans la bouche, j'ai répondu “et nous on les fourre à l'escargot”, ce qui était une très mauvaise blague en l'occurrence parce qu'il a fallu ensuite que j'explique que non, le dumpling n'est pas un repas français traditionnellement, que oui les escargots en sont, et qu'on ne les fourre pas dans quoique ce soit. Mais la conversation était lancée : les coréens de faire fièrement la longue liste des choses qu'ils sont capables d'avaler : chien, cheval, serpents… Et moi de me défendre avec tout ce que je pouvais trouver de visqueux et de puant dans la gastronomie française (et aussi en leur disant que je doutais que le cheval soit un plat typiquement coréen, mais l'histoire des plats n'était notre fort ni à eux ni à moi). A point nommé, l'israélienne nous explique comment dans son pays on ne peut pas manger de fruits de mer ni de porc, raison pour laquelle, bien sûr, son plat préféré était les huîtres. C'en est suivi un débat décomplexé sur les étranges manies religieuses de ne pas avaler telle ou telle chose, à partir d'histoire de contaminations de peuples, de séparation de pattes en deux ou de noblesse ou non- noblesse de l'animal. Le tout nous a amené à la fin du plat de dumplings, et je pensais à mon ami ici qui a l'excellente idée d'être allergique aux noix ET végétalien, ce qui me paraît être une hérésie, même si j'avoue être quasiment devenue végétarienne dans un pays où la viande est immonde et les légumes et fruits nombreux, variés et peu chers (une fois qu'on les a trouvé, ce qui est enfin mon cas).


J'ai repris mon travail, les électros le leur, puis et venu le tournage d'une scène dans la salle de bain, minuscule, déjà presque trop petite pour contenir l'actrice, la réalisatrice, le chef opérateur (caméraman) et le sondier. Nous sommes donc restés hors de la salle de bain pour discuter. C'était amusant car la discussion s'est faite en pointillé, toujours entre les “Coupé !” et les “Action !” que la réalisatrice nous hurlait en coréen (je ne parle pas coréen, mais tous les réalisateurs du monde ont la même intonation pour dire “action” et “coupé”. Ils m'ont donc posés des questions sur ce célèbre footballer français qui est en ce moment dans l'équipe de New York. Je leur ai répondu que je ne connaissais rien en football, mais que si vraiment il était dans l'équipe de New York, il ne devait pas être si bon que ça. Ça ne les a pas fait rire…


L'assistant réa m'a dit qu'il adorerait découvrir la France parce que là-bas les français peuvent fumer dans les Starbucks et les trains… Pendant un instant j'ai pensé le laisser à cette jolie image de la France rebelle et dépravée (bien que les français fument réellement bien plus que les américains), mais ma conscience m'a rappelée à l'ordre. Non seulement il a fallu admettre que la loi d'interdiction de fumer dans les lieux publics était passée en France aussi, mais encore il a fallu que je précise que seuls les Parisiens ont l'honneur de connaître Starbucks (ce qui à mon avis justifierait à soi seul -et uniquement- le regard de pitié qu'ils nous portent, à nous, pauvres provinciaux).


Je leur ai parlé rugby. Ah oui, c'est le football américain où les gars ne portent pas de protection et où du coup ils ont de sales têtes ? … oui, c'est ça…
L'un d'eux avait appris le français il y a des années. De temps à autre, totalement à l'improviste, il me jetait une expression en français, que la plupart du temps je ne comprenais pas, avant de se replonger tête la première dans ses souvenirs. Après trois ou quatre de ces expressions, je lui ai fait remarquer qu'on leur apprenait le français de manière vraiment étrange là-bas. J'avais eu droit à “mon bon tonton”, “mais ou et donc or ni car” (mais où est donc Orinicar ?) et “la rivière verte”. Il m'a dit que “mon bon tonton” était le nom d'un cookie en coréen, et “la rivière verte” une pâtisserie, je crois. Il n'avait donc retenu de ses cours que les versions françaises des noms de pâtisseries coréennes, et une suite mnémotechnique de mots. Bien, bien… Cela me le rendait doux et naïf, et quand plus tard on s'est retrouvé sur Facebook, son premier commentaire a été “hey let’s get some french food later like fuagra, snail, or corean food” (hey allons manger un repas français un de ces quatre comme du fuagra, des escargots ou des plats coréens). Je vous laisse deviner ce que le “fuagra” peut être. Et comme la gourmandise est le péché des gentils, je l'aimais bien.


Mon préféré bien sûr était le molosse silencieux amoureux de l'actrice. Toujours attentionné, attentif, curieux et patient (d'autant plus quand j'essayais de prononcer les noms de chacun d'entre eux, ce qui ne s'avère pas si difficile une fois qu'on les a à l'écrit sous les yeux), j'aimais le prendre en photo à cause de son immobilité générale mais tendue, prête à décoller à tout moment pour prêter main forte. Il aurait été la version jeune et Coréenne de One, le personnage de la Cité des Enfants Perdus… Même le nom était similaire : lui s'appelait Sane. Comme le fleuve dans Paris, m'a-t-il dit (et moi de m'en vouloir de ne pas me rappeler exactement à quoi ressemblait la Corée…).


Le tournage est arrivé à sa fin, l'un d'eux a fini par me demander à combien de kilomètres Canne était de Paris (et j'étais déjà impressionnée que Paris ne soit pas pour lui la seule ville en France), je lui ai répondu en heure de train (l'évaluation des distances m'est quelque chose d'étranger), et il m'a dit en riant “ah, la France, c'est plus grand que ce que je pensais”. Et Sane de lui répondre en souriant “non mais t'as vu la gueule de notre pays ?”


C'était donc culturellement amusant, décontracté, parfois déjanté, et à revoir les photos de ce film, et les litres de sang que j'ai été amenée à déverser sur le décor de ce drame intrinsèque, je me suis dit que, film étudiant ou pas, c'est à un vrai film coréen que j'ai participé.





mardi 2 novembre 2010

2 novembre 2010 - New York vol.28

New York, l'espace d'un week-end, est devenue folle. Folle à lier. C'était Halloween.
Il y a de tout dans cette fête, et ils s'y plongent avec tant de… eh bien de bonheur ! Ils aiment cette fête, tout simplement, de façon aussi génuine que les enfants aiment noël, mais ici, Halloween, ce n'est pas que pour les enfants.





La fête dure 3 jours, et avant cela, toutes les maisons de New York, du taudis à l'hôtel de luxe, sortent squelettes et toiles d'araignées du placard et se parent d'un orange de circonstance. Mention spéciale d'ailleurs pour le New Jersey, où les mignonnes petites maison sagement alignées prennent des airs de canailles avec des décorations volumineuses, de véritables mises en scènes de films d'horreur, orchestrée le plus souvent par des squelettes ou des fantômes. Ailleurs, cependant, comme on pouvait s'en douter, la discrétion des décorations est inversement proportionnelle au revenu. Mais en France, il y aurait quelque chose comme de l'honneur en jeu. Noël est en France une fête noble et Halloween une fête de prolétaires : vous voyez des sapins enluminés même chez Sonia Rikiel, vous ne voyez des citrouilles qu'à Auchan. Oh mais que je sache, le conservatisme des classes aisées n'est pas que politique, et qu'il s'agisse de langage, de fêtes ou d'habitudes de vie, on n'y est pas prompt à l'adaptation. Mais on finit par s'y rendre, malgré tout.


Quoiqu'il en soit pendant la journée, des gamins à peine sortis de leur poussette viennent de porte en porte avec des sauts ou des marmites les remplir d'assez de sucreries pour leur donner une crise de foie par jour pendant le reste de la semaine. Ils ont les yeux qui brillent, rendus pantelants par le million de possibilités, le million de portes cachant des bonbons de toutes les couleurs, tout autour d'eux. Imaginez des enfants que vous connaissez et dites-leur que le père noël les attend avec des cadeaux pour eux derrière toutes les portes, vous n'obtiendrez pas une réaction différente. Mais là, en prime, ils sont fiers. Fiers de leurs costumes ! C'est que les américains, certes, ne conçoivent pas Halloween comme on conçoit le carnaval, avec des costumes faits de bric et de broc. C'est sans doute un peu triste, je l'admets, mais je l'admets aussi avec mon regard d'européenne pour qui consommation est ennemie de créativité, et créativité synonyme de bonheur. Ici, a priori, pour avoir un beau costume il faut y mettre le prix. Alors bien sûr dans Harlem les enfants sont déguisés en Superman, en citrouilles, en policiers et en cow-boys, tandis que dans Manhattan ils ont des costumes plus raffinés, de plusieurs pièces : le pirate porte corset, tricorne et montre à gousset, la galante une robe à crinoline et un large chapeau sur une perruque bouclée… Mais s'il y en a qui s'en balancent royalement, c'est bien eux !


Vers 10h, les tout-petits rentrent chez eux, les plus grand prennent la relève, plus discrets et se cachant un peu de ce plaisir coupable : ils sont grands maintenant, ils s'en foutent, hein, des bonbons… hum…


Mais pendant ce temps, à partir de 7h le jour d'Halloween, (et les deux autres jours un peu partout dans Manhattan et principalement à Times Square), ce sont les jeunes qui s'y mettent. Le jour d'Halloween, le malin se rendra au Village (quartier du sud de Manhattan), et l'encore plus malin l'évitera. La parade, avec chars et animations, m'est un peu passée sous le nez sans que j'ai pu en découvrir grand chose, parce que mon mètre soixante n'est pas monté sur ressort : il y a autant de monde que lors d'une fête de la musique à Toulouse. Je sais, je trouve ça insupportable à Toulouse. mais ici il y a quand même deux différences de taille : comme il est interdit de boire, cette jeune masse est sobre, hallelujah, mais surtout ils sont tous déguisés. Oui, oui, vous vous en doutiez. Moquez-vous. Qu'ils soient fabriqués ou achetés (avec à mon avis une légère avance pour ceux fabriqués, on ne se refait pas), ces costumes sont fabuleux. Et surtout ils en portent tous ! Pendant 3 jours j'ai pris le métro avec des sctroumpfs, des choux, des chats, des militaires, des soldats en plastique géant, des bébés, des Gandalf, des tout-ce-que-vous-voulez-ils-l'ont. Mais le jour d'Halloween, il est temps de sortir le grand jeu. Deux hommes s'étaient déguisés en feux pour piéton : les feux pour piéton ici sont en deux parties : une main rouge pour s'arrêter, un bonhomme blanc qui marche pour traverser, le tout lumineux. Donc l'un des hommes était encastré dans une immense main entièrement recouvertes d'ampoules rouges, tandis que l'autre avait fait les contours de sa silhouette avec des ampoules blanches. Ils ne pouvaient pas avancer de dix mètres sans que quelqu'un les prenne en photo. Des monstres fabuleux, plantés sur des échasses, des idées saugrenues, ou drôles, ou inquiétante, et tant de choses à regarder au mètre carré que ça en donne le tournis. Tout le monde regarde tout le monde, et quand on aime le costume de quelqu'un, on le lui fait savoir par un signe ou par une photo dans le vacarme ambiant (cependant modéré la plupart du temps).




Seul regret, cette mode désagréable du déguisement pour femme “sexy”. Sexy-chat, sexy- infirmière, sexy-Alice au Pays des Merveilles, Sexy-autruche, sexy-sexy et j'en passe, tout est prétexte à porter des portes-jarretelles apparentes et des chaussures à talons très haut. La plupart du temps, ça ne me serait pas désagréable à voir, si je ne trouvais pas ça un peu triste qu'Halloween soit un prétexte aussi commun pour se trouver sexy. On ne peut pas dire que j'avais joué la même carte, puisque j'étais habillée de façon normale, mais que je m'étais fabriquée et avait peint méticuleusement (ou presque) un masque à crête de monstre marin aux énormes dents sanguinolentes, ainsi que des palmes pour les mains et une autre crête sur le dos. J'avais contourné le tout de lignes phosphorescentes.
Il était aussi amusant de voir les costumes de ceux qui n'ont pas d'inspiration : j'ai vu un million de chapeliers fou, en plus des indémodables vampires et autres zombies). Les films ont vraiment un impact très fort sur les costumes d'Halloween. par exemple, j'ai aussi vu un nombre incalculable de maximonstres, de qualités diverses. Et ceux qui sont à court d'idée à un point ridicule semblent ressortir les costumes des années précédentes : j'ai ainsi vu un sacré paquet de masques de V pour Vendetta, ainsi qu'un Morpheus tellement crédible que je me suis demandée un moment si ce n'était pas l'acteur lui-même qui s'était pris au jeu de mettre son propre déguisement.
Cependant je me suis plus attardée sur la bande de Playmobiles (Playmobile Frankestein, Playmobile Princesse Leïa, etc) me demandant lequel d'entre eux avait eu l'idée géniale de se déguiser en quelque chose déguisé en quelque chose, et comment il avait fait pour convaincre ses camarades que ça marcherait. Je repensais à une exposition de photo que j'étais allée voir de Sophie Calle, je crois, mais je peux me tromper du tout au tout, où la jeune artiste s'était déguisée en clown déguisé en autre chose. Gêne garantie.


Mes amis ont fini par me rejoindre et nous sommes entrés dans un restaurant à chocolat, dont le chocolat chaud coule dans des tuyaux qui traversent anarchiquement la pièce. J'y ai pris un Chai au chocolat blanc. L'idée paraît étrange, mais certainement pas autant que ce que nous avons commandé avec (nous avons attaqué à trois une part faite pour une personne, ce qui s'est avéré être une idée de génie) : une pizza au chocolat au lait, beurre de cacahète, marshmallows et banane. Vous ne me croirez pas, mais c'est en réalité moins lourd que ça ne semble, et surtout très bon. L'eau me revient à la bouche en écrivant ces mots.


Ce fut la fin d'un week-end plein de folie.


J'ai oublié de raconter mon dernier tournage. C'est qu'il est difficile d'écrire quand on vit des choses, et c'est là pourtant qu'elles sont le plus intéressantes à écrire. Je n'oublierai pas d'en parler un peu… Ainsi que de mon nouvel appartement.







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