vendredi 31 décembre 2010

31 décembre 2010 - San Francisco vol.1 San Francisco vol.1

31 décembre, jour de fête, je passe ma première journée à San Francisco, fermement décidée à trouver les Beatniks ou leurs fantômes en dehors des murs de ma sympathique -et peuplée- auberge de jeunesse. Une journée passée comme la houle.


En creux : regarder ma solitude et mon énervement, regarder mon avenir mais il n'y a rien devant parce que l'année se termine, et les rires sont déjà des insultes. Quoi tu es seule ? Tout ce que tu vois est vain petite, car tout ce que tu vois tu ne peux le faire voir. Et tu écris ! Pauvrette ! On n'écrit pas ce qui se vit, ce que tu vis tu le vis seule, et c'est comme si jamais ce n'était arrivé. Regarde ceux qui savent vivre, et ferme-la, trouve-toi une coquille et restes-y. Ils ont bien raison ceux qui aiment leur chez-eux plutôt que le monde. Quand on n'a pas sa maison sur le dos on l'a sur le cœur, et c'est lourd et ça fait mal. Allons belette, trouve-toi un terrier. Cache-toi, regarde la terre d'en-dessous elle y est sans épines.


En crête : fanfaronner. Seule et conquérante, moi contre le monde et moi pour lui, sur un bateau voir Alcatraz, le golden gate bridge, les lions de mer et les requins… J'ai vu le nord mes amis, j'ai vu le sud aussi, moi, moi et moi, et seule encore ! Ayez le courage, dites-moi donc que jamais vous ne l'auriez fait, les yeux pleins d'envie et d'ignorance ! Plus fort, je ne vous entend pas de ce côté du continent ! Dites-moi encore combien il faut avoir de ressources pour partir seule et découvrir, et puis après écrire, et dire que ce que j'ai vu, vous ne le verrez jamais comme moi dans la clarté du sujet seul, de l'être solitaire. Regardez ces touristes ! Ce qu'ils sont gras et bêtes. Nous avons les mêmes appareils, mais des yeux différents pour regarder dedans. Ce qu'ils regardent est aussitôt changé en plastique, en toc. Ah la vilaine Médusa ! Mais moi, mes braves, j'ai le bouclier ! Gravée par l'aventure, poli par le courage ! Oui, oui, voyons, ce début d'année ne ressemblera à aucun autre !


En creux : moi, différente d'eux, vraiment ? Me voilà pourtant au Pier 39, où je passe ma journée. Un Alcatraz à touristes. Vous y entrez, vous êtes piégés : des objets souvenirs à en vomir des mugs, des photos sur fond vert pour la forme, des restaurants sans âme (j'ai choisi un Hard Rock Café, pour la forme, sans y croire, il y avait là la guitare basse de George Harrisson, et son trop plein d'âme zen ne suffisait pas à réchauffer le lieu), et puis des attractions qui ont été l'Histoire. Je monte sur le bateau qui longe la côte en balançant nonchalamment, blasé du trajet -avec pour commentaire la voix du soit-disant Capitaine Némo, ils nous auront tout fait ! Jusqu'à la musique de conquistador quand on passe sous le pont. Ça fait pleurer les artistes. Et mourir le passé.



En crête : il y a le brouillard menaçant sur le pont et autour d'Alcatraz. Un air de fantômes, je vois bien. C'est parce qu'Alcatraz est si vide et abandonnée qu'on ressent la présence de ses vieux résidents. L'image suicidaire des flots sur les rochers. La fin du monde sur une île. Un beau pont aussi, et sur la côte San Francisco à travers la brume, toute en verdure et en vallons, souriante et légère, câline et frivole, derrière son voile blanc de mariée.



En creux : je pense à New York la sincère, où rien n'est jamais faux, où tout vient droit du cœur et de la chair. A « Frisco » comme ils l'appellent tout est séduction de bas étage, beaucoup d'alcool et de saleté, de la saleté jusque dans le sourire des gens qui ne veut plus rien dire. Je suis sur Pier 39, ici le sourire est une question d'argent, une affaire.



En crête : le tramway qui n'a pas vieilli, et je veux dire par là qu'il n'a pas rajeuni, et le conducteur rigolo qui ne veut même pas voir mon ticket. Ce soir, les tramways sont gratuits, « seulement si vous buvez », qu'il dit le contrôleur, « seulement si vous êtes soûl ». C'est dans l'air d'ici, l'alcool est de toutes les fortunes. Peut-être que là sont les Beatniks ?



En creux : je ne crois pas, ici on boit pour la luxure, pour la faim, on trinque avec la bêtise et rit avec elle. Les beatniks je crois buvaient pour l'énergie : écrire, parler, fêter, jouer, séduire, croire trouver l'élégance dans l'obscénité des haleines fétides.



En crête : je passe ma soirée dans une salle de concert hippie, un vieux lieu réticent à accueillir l'avenir. Où l'on chante Janis Joplin, les Doors, Jefferson Airplane, Santana. En essayant de leur ressembler.



En creux : ce concert aussi sonne faux. A l'heure où on ne croit plus avec passion à la paix et à l'amour, c'est misérable de les chanter. Laissons le passé chanter les chansons du passé, appliquons nous à écrire celles du futur. D'ailleurs voyons les beats sont morts ! Ils ont laissé des livres, et deux-trois conneries dans la tête des gens. Alexander Supertramp, lui aussi il est mort, “into the wild”. Enfin ils sont battus, les beats ! Pour de vrai ! Une bande de crevés qu'est-ce que ça peut bien nous apporter ? Pas mieux que ce sosie de Jim Morrisson qui se roule par terre devant un public sage, voire un brin ennuyé. Ou que cette fausse Janis Joplin derrière ses lunettes violettes. Alors même pour les beaux yeux d'un fabuleux printemps où je me suis trouvée avec, dans les mains, les Clochards Célestes, ça vaut plus le coup. D'ailleurs j'ai même perdu le bouquin.


En crête : 6 asiatiques derrière mon dos qui remuent la tête en cadence pendant toute la durée du concert, dans un exact même mouvement qu'on croirait orchestré pour faire rire.



En creux : aucun de mes amis ne me souhaite une bonne année, je dois être trop loin des heures. Ceux que j'aime dorment. Je traverse dégoutée, dans chaque rue, des foules de très belles filles en jupe si courtes qu'on croirait des ceintures, au bras d'hommes fiers et arrogants, machistes et vulgaires. Les plus ivres d'entre eux me souhaitent la bonne année, les moins ivres d'entre elles me jettent des regards en biais.


En crête : pour répondre à une promesse faite à moi-même, je me retrouve les pieds dans le sable pour fêter le passage à l'année nouvelle. Je n'ai pas eu à marcher longtemps, San Francisco a gardé ses petites plages pour les vieux romantiques, à peine sorti de la ville et les voilà. Je pense à l'Italie, où il fallait marcher pendant des heures pour trouver une plage qui ne soit pas privée. Des heures de marche dans la nuit après des journées d'autostop. Gênes surtout. A en devenir fou. Et puis sur les conseils d'un vieil italien, la plus belle crique d'Italie, enfin. On s'y endors sans mal bercé par le son des vagues, on se réveille sous la chaleur du matin, entouré de vieux italiens vrais de vrais. Un croissant, je saute à l'eau, elle est limpide. Il est 7h du matin. C'est à cela que je pense, et aux gens qui me manquent, surtout -que font-ils à dormir ?!- les pieds dans le sable, en regardant les ponts illuminées et les vallées de lumières.


Comme la houle donc j'avance, un peu fatiguée, un peu mal sur la mer, peu confiante en ce qui me vient et me viendra, peu décidée de mes choix, à peine reposée dans l'écriture. La voix sèche mais les yeux brillants, ce sera la fin de l'année 2010.





dimanche 26 décembre 2010

26 décembre 2010 - New York vol.39

Cotton Club, c'est le club de jazz par excellence. Au cœur de Harlem, le même quartier que j'habitais il y a moins de trois mois, il a été créé par un gangster pendant la prohibition. Et parce qu'on y entend ces deux termes “gangster” et “prohibition”, qui par leur célébrité ont traversé la frontière ténue entre réalité historique et fantasy rétro, Martin Scorcese en a fait un film… Cotton Club.





C'est donc là que j'étais ce matin, pendant que des jazz-men en nœuds-pap’s et trois grosses femmes noires débarrassées de leurs fourrures chantaient leurs prières en gospel. Autour de nous des parisiens, et qu'eux ou presque, venus profiter comme nous du jazz avec un sourcil levé, parvenant comme seuls savent le faire les français à être arrogants et bruyants à la fois. Mais dans un club de jazz, personne n'a rien à y redire. La prohibition n'était pas une époque d'ivrogne, et le jazz pas une musique de prolos que diable ! Ou bien… ?


Oui il y avait sans doute une petite note sur-jouée dans cette orchestration de club de jazz classieux où on paie son brunch plus cher qu'un repas complet de noël. C'est difficile de faire vivre le passé, de le faire passer pour du présent, tout en rappelant à tous à quel point il est lointain. Il faut choisir, il faut se débarrasser du sépia des cartes postales, il faut juste en garder l'essence muette, celle que tout le monde reconnait sans savoir pourquoi, une once de véritable. Malgré la qualité du tout, il manquait de cela, de la chaleur indéfinissable du “vrai”.


Mais c'était bien, quand même. Grâce à la musique, et à ce petit club cozy bien droit sous la tempête de neige qui hurle dehors. C'est des noëls comme on n'en a pas cent. Dehors on peut toujours essayer de prendre en photo la neige qui tombe, ce n'est pas facile, ou on peut faire de la luge sur les trottoirs, ou se jeter chez soi pour compléter ce brunch à volonté par ce qui lui manque réellement : un chocolat chaud.






vendredi 24 décembre 2010

24 décembre 2010 - New York vol.38

Il était temps que je découvre un nouveau New York. Avant d'embarquer pour San Francisco, avant de suivre timidement les traces des Beatniks, il fallait que je les guette ici, dans la grosse pomme. A Brooklyn, les jeunes leur rendent hommage constamment, leur réservent un bout de leur vie, sans doute non-assez dissolue. On a peut-être perdu l'habitude d'être fou, ou peut-être on le fait sous cape, les poésies d'ivrognes et de battus au milieu des batailles de la vie dure.





Alors les Beatniks vrais de vrais, ce qui reste de leurs squelettes, s'ils ne sont pas sur les routes gelées de Noël, où sont-ils ?
Dans les clubs ils faut croire, là où résonne encore le jazz, dans les caves millénaires où l'on trouve la bonne bière et la mauvaise chaleur. Alors j'essaie les comptoirs, un à un. Kettle of Fish, une grande cave où l'on peut jouer aux fléchettes ou discuter sur des canapés géants pendant que le jazz et -époque oblige- les chants de noël nous la jouent intello, une petite cheminée dans un coin et des bouquins autour, pas les bons, mais qu'importe, il y a assez pour se rappeler, assez pour imaginer les jeunes entassés sur ces coussins moelleux pour parler de combien c'est con un monde, et passionnant aussi. Nous on parlait de la France, du retour, et puis d'écologie. Et d'un joyeux anniversaire, un anniversaire d'enfant de la Lune.


Le lendemain soir, par hasard, me revoilà bouteille en main, et cette fois c'est à Bitter End, où Bob Dylan et Woody Allen auraient fait leurs débuts. Quelques tables en bois, un chanteur-guitariste et un bassiste sur une petite scène craquante. C'est tout, c'est timide, c'est un peu de l'histoire.


Alors demain je remets le couvert dans un petit club de jazz millénaire, on va dire, Cotton Club, où je compte écouter un gospel et déguster ces fameux brunch dont les new-yorkais sont friands, le tout à la fois, comme lorsqu'au-dessus de mes repas lisboètes de jeunes artistes venaient jeter leurs larmes chaque jour nouvelles dans des fados grimaçants. Il y a parfois quelque chose de comestible, dans la musique, c'est à croire.


Joyeux Noël, c'est con un monde. Mais passionnant aussi.






mardi 14 décembre 2010

14 décembre 2010 - New York vol. 37





La suite du tournage s'est avéré plus difficile que la première. Entre temps la réalisatrice s'est rendu compte qu'elle n'avait plus d'argent, et voilà que tout d'un coup nous étions nourris au pop-corn. Les gamins en avaient assez, rien n'était parfaitement organisé et nous avons terminé tard. Je n'aime pas ce film, c'est un problème. D'autant plus qu'entre temps j'ai lu la pièce dont est tiré le scénario, une pièce de Maeterlinck, et j'ai été dégoutée par l'idée que d'une oeuvre cynique, un peu dure mais très poétique, telle que les enfants aiment et dont les adultes se souviennent, on ait pu faire ce joyeux téléfilm où des fées parfaites apparaissent dans un rayon de lune pour montrer aux enfants que… que quoi ?


Bref, j'aurais aimé en avoir terminé mais voilà que la réalisatrice a encore mille choses impossibles à me demander…


Mais quoi, qu'importe après tout, c'est Noël ! Le froid a envahi la ville, la neige s'est abattue, la patinoire du Rockefeller ne désemplit pas, surveillée par ce haut sapin illuminé de 20 000 petites ampoules… non, il n'y a pas de doute. Curieusement, le plaisir que je ressens ces dernières années à l'approche de Noël n'est pas de même nature que celui que je ressentais étant enfant. C'est aujourd'hui que je perçois ce qu'on appelle communément “la magie de noël”, c'est aujourd'hui que je l'aime, alors que durant mon enfance cela restait une fête parmi d'autres, peut-être plus étrange, parce que les familles sont de drôles de choses dont je ne suis même pas sûre aujourd'hui de comprendre le mécanisme compliqué. Mais aujourd'hui, la simplicité de ce bonheur partagé me touche beaucoup plus. Et au cœur spirituel des Etats-Unis, dont je ne cesse de dire qu'ils sont de grands enfants, ce plaisir est décuplé. Ils aiment aimer. Ils adorent ça. Les maisons sont bourrées de lumières, et de décorations invraisemblables. Même les chants de noël, insupportables à toute autre heure, me paraissent bienvenus en cette période de l'année. C'est guimauve ? Tant mieux. On a le droit d'en rire, c'est fait pour.


Et tant que ce plaisir de petite fille devant un magasin de bonbon s'élève, une partie de moi s'attriste, un peu. Comme lorsqu'en revenant de la patinoire j'ai vu ce SDF qui semblait avoir fondu à l'intérieur de sa doudoune, comme s'il ne restait plus que des vêtements avachis sur eux-mêmes, dans le froid résonnant du métro. Voilà comment mes sentiments se mélangent à tout va, le plaisir prenant facilement le pas sur la tristesse, parce que, je ne sais pas… Parce que c'est maintenant et que maintenant est propice au plaisir.


J'ai terminé deux cours aujourd'hui, et c'était trop court. New York est une ville où je pourrais vivre un peu, pour de vrai. Parce qu'elle regorge de belles choses et de possibilités.
Heureusement, en sortant de classe, la neige tombait à petit flocons légers, parce que dans chaque fin d'année il y a une promesse d'avenir.






jeudi 9 décembre 2010

9 décembre 2010 - New York vol.36


Le même cookie géant dans une minuscule cave ; les mêmes Falafels sur la 72ème, le même cinéma aux fresques kitchissimes, le même pont de Brooklyn, les mêmes amis, les mêmes cours, les mêmes américains, les mêmes merveilles mais cette fois tout a d'autres couleurs. Mes dialogues imaginaires, mes compagnies de solitude se sont envolées pour laisser place à mon homme.

Alors tout est plus facile. Moins grandiose, moins envahissant peut-être car le pont de discours entre nous deux rend tout le reste étranger. Les immeubles qui pénétraient ma solitude nous regardent désormais, impuissant. Tout semble fait de joies simples et d'humour, et c'est encore un autre New York que je découvre, le dernier peut-être.


Le dernier. Mes dernières classes sont la semaine prochaine, j'ai des devoirs en avalanche, des billets d'avion à acheter, mon école en France à contacter, ça sent la fin, déjà, et comme toujours je ne comprends rien, pourquoi le temps passé parait toujours si court et le temps à venir si long ? Quand on naît il nous reste cent ans à vivre, et quand on meurt on a vécu 10 ans. C'est de l'anti- fatalité. Qu'importe, j'en suis là maintenant.


Je travaille toujours sur le projet de cette mexicaine, l'oiseau bleu. Le premier week-end de tournage s'est passé sans encombre. Jamais un tournage ne ressemble à un autre, jamais je n'en ressors avec la sensation d'avoir vécu quelque chose de banal. Les tournages sont toujours étranges, étrangers, et même le plus organisé paraît toujours tordu et mal foutu. Mais les différences culturelles jouent aussi dans la chose. Après un tournage entièrement composé de Coréen, me voici sur un autre entièrement composé de Mexicain. Dois-je préciser que tout est différent ?


Me voici propulsé sur un tournage ou “God bless you” (Dieu te bénisse) sert de “merci” et où mon travail est essentiellement de remplacer des portraits du Christ par des jouets d'enfants. Soit. J'ai trouvé deux oiseaux, qui piaillent derrière moi en ce moment même, mécontents que la lumière du matin les ai sortis de leur torpeur de petit animal. J'ai trouvé dans le New Jersey (loin, très loin) un site de location d'accessoires appelé “Anything but Costumes” (tout, sauf des costumes), dont je n'ai pas besoin d'expliquer ce qu'ils ont en location. A des prix défiant toute concurrence. Pour une poignée de dollars on peut y remplir un camion et le garder 28 jours. Un pays des merveilles du décorateur. J'ai donc pris mon homme sous le bras, c'est toujours utile, et nous avons embarqué dans un camion conduit par un américain vrai de vrai (19 ans il en faisait 30, car les américains sont massifs) pour un périple ridicule : aller tout à l'est du New Jersey chercher les accessoires, puis tout à l'ouest dans Long Island les déposer sur le lieu de tournage du lendemain, le tout à l'heure de pointe. Nous avons passé 7h30 sur la route, l'un de nous obligé de s'asseoir à l'arrière du camion sur le matériel ou sur les accessoires, accroché à la grille. J'ai trouvé ça drôle. Pressés par le temps -qui n'a pas ralenti en notre honneur- nous sommes arrivés sur le site juste avant la fermeture. Dans un hangar gigantesque trois grandes femmes rustres luttaient contre le froid dans d'énormes manteaux, et parlaient d'une voix de femme des cavernes. Je suis entrée avec les yeux qui brillent. Jamais je n'avais vu ça et croyez-moi, jamais vous ne l'avez vu. Du sol au plafond, sur des parquets grinçants, un bric-à-brac d'objets de toutes époques, entassés sans soin et sans ordre apparent sur des étagères rustres. Certains, souvent loués, ont gardé de leur lustre, d'autres s'évanouissent sous la poussière. Et ici les jouets, ici les lits, ici les lampes, et les paniers, les tableaux, les pots à cookie, les horloges, les portes, les fours à bois, les sacs, les… je ne sais même plus. Tout. Même ce à quoi vous ne pensez pas.


Le lendemain, sur le tournage, les choses sont allées vite. Deux gamins jouaient leur rôle à merveille. La petite fille me laissait pantoise. une véritable enfant moderne. Mignonne, bien sûr, 8 ans, sûre d'elle-même, impertinente, fatigante. Je la détestais déjà 3 minutes après son arrivée. J'ai appris à l'apprécier au cours de la journée. Elle parlait et savait tout mieux que personne, et regardait les gens de haut même et surtout quand ça lui était physiquement impossible. Une Dakota Fanning, une vraie. Mais surtout, elle était intelligente. Un peu trop pour son âge parfois. Ses parents étaient allemands, elle allait dans un lycée français, elle apprenait l'espagnol. Elle a donc passé la journée à parler aux uns en Espagnol, aux autres en anglais, à moi en Français et à sa mère en allemand à une vitesse qui défie l'entendement. Son français était même d'un registre de langage légèrement trop élevé, sans aucun accent et sans aucune faute, de sorte que son arrogance de petite blonde utilisait sa langue comme un jouet de plus. Mais au fond, elle était meilleure réalisatrice que la réalisatrice elle même, et son expérience d'enfant s'élevait déjà à de nombreux films. C'était parfois drôle, parfois triste, en tous points américains.


Mais au fond si la petite fille avait connu déjà de nombreux tournages sans que l'on sache très bien qui d'elle ou de sa mère en était le plus fière, je sentais le plaisir que cette môme avait d'être là, et c'est donc le petit garçon qui m'attristait un peu parfois. C'était un enfant, avec tout ce que cela peut signifier dans ses difficultés d'attention, et il était certainement moins bonne acteur que celle qui jouait sa petite sœur, mais il n'était jamais faux, toujours sincère. Or mon travail pour toute une moitié de la journée a été d'empêcher le père d'aller faire le manager de son fiston : “Je trouve que dans cette scène tu ne paraissait pas assez fatigué. Ressaisis-toi ! Qu'est-ce qu'on a dit la dernière fois ?”. Ce qui d'ailleurs était véritablement un cri d'appel à l'aide. l'envie d'avoir l'air de comprendre, de savoir, de maîtriser son fils tandis que hors du plateau il expliquait à quel point il n'avait plus aucun ascendant sur son autre fils de 14 ans. Il me semblait qu'il aimait l'idée que son plus jeune fils soit acteur parce qu'il lui semblait alors modelable, contrôlable. Il discutait seul avec l'actrice qui jouait la mère, laquelle avait dans la réalité deux enfants, de 13 et 16 ans. Le père parlait des siens, elle parlait des siens, et je prenait des photos. Il semblait triste et hagard et puis tout d'un coup “vous avez l'air d'être une femme très bien, et d'après ce que je vois vos enfants doivent être très bien aussi, mais est-ce que par hasard les vôtres seraient devenus comme les miens de sales connards ? ("fucking assholes” dans le texte)“. Le sourire imperturbable de l'actrice s'est imperceptiblement figé. Et tout d'un coup je l'ai vu ôter son costume d'égal pour enfiler celui de mère. Elle le rassurait, lui parlait de l'avenir, il regardait ses pieds. Ce sont des choses que mes photos ne seront pas montrer. Je les ai laissés.


Le soir, la fin du tournage approchant, les gamins fatigués et excités sont devenus fous. Ce qui me laissait un gros travail : refaire les lits, remettre les jouets à leur place, réparer le camion de pompier, les empêcher d'envoyer les oiseaux valdinguer à coup de ballons de foot… Mon décor, dont j'étais par ailleurs assez contente, semblait devenir un terrain de bataille.


Le tournage est arrivé à sa fin, il n'était pas très tard, et après avoir passé une heure ou deux à remettre tout exactement dans son état d'origine (il s'agit surtout de ne pas déplacer Jésus dans la forêt de plus de 4 centimètre, ou comment le christianisme devient du Feng-shui), nous nous sommes entassées dans une voiture, 7 dans une voiture pour 5, 5 mexicains et moi, conduits par un américain et alors l'ingénieure son a lancé "c'est fou ce qu'on a l'air mexicains dans cette situation !”. Nous avons tous explosé de rire. Et samedi, c'est reparti pour un tour.





mercredi 1 décembre 2010

1er décembre 2010 - New York vol.35

La vie est le scenario le plus improbable qui soit. Je n'invente rien, ce n'est pas une illumination du jour, c'est de la morale remâchée, et alors ? “Le premier à avoir comparé la femme a une rose…” : je sais, je sais.
Mais voilà, hier, ma professeur de travail d'acteur nous a accompagnées au siège de ce club New- Yorkais TRÈS privé de comédiens. Il a été fondé à la fin du XIXème (nous sommes a New York, le XIXème c'est déjà l'Histoire, avec un grand H) par un comédien célèbre que, tout célèbre qu'il est, je ne connais pas. Tout ce que j'en sais, c'est qu'il est le frère de l'homme qui a assassiné Lincoln. Et le mystique de la chose donne a ce club privé un peu plus de l'atmosphère que j'aimais lui donner, d'aristocrates criminels aux gants blancs : un Agatha Christie s'y trame lentement depuis un siècle et demi.





Pour les aristocrates, j'étais servie. Les dos plus droit que les épées exposées, mimes des portraits de toile qui s'étalaient sur tous les murs, spectateurs et acteurs se confondaient sur un ton posé et des sourires entendus. Le club n'est ouvert aux femmes que depuis 70 ans à peine, je suppose que la moustache y est encore de mise pour ceux qui peuvent la porter, du moins c'est l'impression que me donnaient ces messieurs. Les pièces étaient de bois sombre, presque vermillon, habillées de larges fauteuils et de chandeliers, chaque marche du large escalier verni ramenant un peu plus de comédiens du passé sur la scène du présent.


Et puisque “le monde est une scène”, ce soir-là Shakespeare était a l'honneur, encore. Je me suis assise devant le verre de vin qu'un élégant jeune homme venait de me glisser entre les mains -je ne bois pas de vin- et un autre homme est venu nous chuchoter : aujourd'hui le spectacle ne se déroule pas sur scène mais au milieu des spectateurs, entre les tables. Une jeune femme à coté de moi s'est exclamé quelque chose comme “how peculiar! (comme c'est original !)”, et à entendre cela je me suis tournée vers elle avec un sourire nonchalant, le seul qui pouvait traverser les siècles vers sa personne. Elle devait avoir fait de la danse, car je voyais en cette non-encore-vieille femme la silhouette de ma grand-tante, toute en droiture et en grâce : on perçoit la sensualité dans cette tenue d'argile comme l'on reconnait la rose dans la fleur séchée. Elle aussi souriait, mais le sien battait le mien et mangeait mon cynisme. Elle paraissait naïve. 65 ans peut-être et toujours une enfant, seule ce soir mais à sa table trois jeunes filles étranges, mexicaine, allemande et française, une photographe, une spécialiste d'effets spéciaux et une cinéaste, parlant avec ou sans accent de serveurs, processeurs et logiciel. “How peculiar” en effet, c'était le ton juste. Elle était enchantée par les possibilités infinies des effets numériques aujourd'hui “j'ai moi même étudié la peinture il y a bien des années, aujourd'hui j'aimerais reprendre quelque chose dans l'art, pourquoi pas quelque chose sur ordinateur ?”. Nous pensions que tant que ce sera “quelque chose sur ordinateur”, cela ne voudra absolument rien dire. Mais ce n'est pas ce que nous avons répondu. Mes amies lui parlaient de Photoshop et de ses possibilités infinies et tout en acquiesçant d'un air expert je cherchais à trouver dans cette femme le moindre signe qu'un jour elle avait travaillé. Qu'un jour elle avait touché le vrai monde de ses doigts. Mais c'est-à-croire qu'elle les avait plongés directement de la richesse dans l'art, et répondait de son ignorance abyssale par un sourire à désarmer les brutes.


Tout d'un coup elle s'est penché vers moi et a demandé de quelle façon j'avais obtenue cette si “peculiar” teinte de rouge dans mes cheveux. J'ai vaguement répondu, habituée maintenant à ce que toute marque d'originalité soit prétexte à une conversation (chose que j'adore), avant de me rendre compte à son regard en suspend que son intérêt était véritablement dans la couleur. Je me suis efforcée d'être plus précise, me perdant dans les méandres du langage, ayant perdu le mot “coiffeur”, cherchant la version anglaise en même temps que le moyen de le contourner, si bien qu'à suivre deux lapins j'en revenais bredouille, mais dieu merci elle souriait toujours.
Mon bric-à-brac rendu, mes mains encore en l'air quelque part qui continuaient à parler quand ma langue ne bougeait plus (il y a un petit bout d'Italie qui n'est pas resté à Bergame), elle s'est penché vers moi, a posé sa main sur mon bras et m'a dit qu'elle lisait un livre en ce moment, et que si elle devait un jour en faire un film, elle me choisirait pour un personnage en particulier. J'écoutais : du fait de sa stature j'attendais du Dostoïevski, du fait de la mienne du Barbery. Et bien sûr c'était “The girl with a Dragon Tattoo” (littéralement “La fille au tatouage de Dragon”, mais dans la version française “Les hommes qui n'aimaient pas les femmes”). Je n'ai pas lu la série Millenium, mais le personnage en question, avec ses anneaux aux narines, me parait légèrement plus trash, ou punk que je ne le suis. Mais il suffit parfois de cheveux rouges.


Le spectacle a commencé. Un medley de Shakespeare donc, de quoi se préparer au pire. On joue des medleys de Shakespeare depuis que les gens ne vont plus au théâtre que pour voir Shakespeare, mais sont pourtant fatigués de ne plus voir que lui. Et puis parce que 10 mauvais acteurs sur 10 pièces de puzzle ne seront jamais aussi ridicules que sur un seul chef d'œuvre. Deux mauvaises raisons donc, qui se manifestent en général par une rafale de mauvais choix, lesquels se sont effectivement révélés durant cette pièce : le besoin irrépressible de moderniser les pièces à grand coup de casquettes à l'envers et de coiffures de punk, le tout pour prouver à quel point Shakespeare est indémodable, ce qui me paraît pourtant le seul moyen de le rendre anachronique. La nécessité de rajouter de la musique ou du chant, sans très bien savoir si le but est de créer un chœur antique, un rock anachronique ou un folk de situation. La tentation de faire répondre les pièces entre elles de sorte que de deux scène tragiques que nous connaissons sur le bout des doigts en naît une troisième aberrante, rigolote, facile à oublier.
Ajoutez que je ne comprenais rien. L'anglais ancien est déjà difficile quand il n'est pas réduit en pièce, imaginez haché menu.


Et pourtant, perçant mon cynisme et la barrière du langage, passé deux-trois scènes sans importance, un grand homme s'élevant ce soir-là au nom de Macbeth, rien de moins, réussissait en une main levée ou un œil baissé à appeler en moi une émotion que je ne comprenais pas. Je sentais la pièce dont je ne savais rien, et il aurait pu rester des heures à parler… chinois pourquoi pas, j'aurais continué d'admirer en lui le roi terrorisé, battu, d'une Angleterre en déclin.
Des acteurs ont ensuite succédé à des acteurs, nombreux -aucun n'était mauvais- parlant, criant, chantant, bougeant les chaises et tapant du pied, devant nos yeux ou dans notre dos, disparaissant, réapparaissant, Roméo, Juliette et tous les autres, souvent trop vieux ou trop jeunes, et puis Hamlet, ah, Hamlet, qui parle à sa mère mais je ne sais ce qu'il raconte, qui tue quelqu'un mais je ne sais qui, qui voit ce qui n'est pas ou ce qui n'est plus, entend des voix qui ne résonnent plus et pourtant moi de mon siège, dans son énervement et sa peine, je perçois ces sons et ces images qu'on ne croit que pour lui. On applaudit bien fort, l'acte I d'une pièce sans acte est fini.


Derrière moi, la femme la plus grande et imposante du monde rit à gorge déployée. A m'entendre vous pourriez ne pas me croire, et pourtant je n'invente ni ne déforme rien : si cette femme ne mesurait pas 1m90, c'est qu'elle était plus grande. Sa carrure était celle d'un bucheron, mais de sa poitrine il y avait de quoi allaiter tous les miséreux de la terre, au moins. Entre l'envie irrésistible de la regarder encore pendant des heures et mon empressement poli de ne pas lui jeter un regard, je prenais en photo murs et gens, jetant les unes après les autres mes horribles photos. Me voyant faire elle est alors venu me voir, m'a posé la main sur l'épaule avec autant de bonhommie dans son geste que la femme à côté de moi y avait mis de grâce empruntée quelques temps plus tôt, et m'a demandé, je n'invente rien “si je ne pouvais pas la prendre en photo avec la grande dame (big lady) là-bas”. Le tout en m'appelant “Honey” à chaque fin de phrase. Mes lèvres brulaient de lui répondre qu'il n'y avait certainement pas de plus grande dame qu'elle là-bas, ni même ailleurs à des kilomètres à la ronde, mais en suivant son regard le mien est tombé sur le portrait géant de quelque aristocrate. Si ce n'est leur taille, je ne pouvais pas voir une seule chose que ces deux femmes pouvaient avoir en commun. Ce que c'est qu'une femme, je l'ignore, mais puisqu'elles l'étaient toutes deux, les possibilités entres elles me paraissent infinies. J'ai pris la photo, puis une autre, puis une autre encore, mais sur aucune de ces photos le visage de la peinture apparaît correctement. J'étais très déçue de ne pas pouvoir donner à cette femme ce qui lui tenait tant à cœur (“c'est Lady Macbeth, me disait-elle, cette belle femme c'est Lady Macbeth”) mais lorsque je me suis rendue et lui ai montré les photos en questions, son visage s'est illuminé encore : “c'est tellement drôle ! C'est le seul tableau de la salle pour lequel ça fait ça ! Ça doit être un signe, hein ?!” et tout en elle montrait que, bien sûr, elle n'y croyait pas, mais qu'au fond elle aimait bien y croire, que Lady Macbeth lui parlait tout en lumière, et à elle seule.


Le second acte a couru bien vite, les filles étaient belles et les hommes beaux, les spectateurs un peu fatigués dodelinaient vaguement au-dessus de leurs verres vides, et quelques secondes plus tard -c'était mon impression- les acteurs nous ont salués entre les rangées de table. Oh oui, le monde est une scène. Oh oui.





3 août 2023 : Summer Camp au Mont Dore

Aujourd'hui j'ai vu le vent danser. La littérature ne s'en lasse pas : les feuilles qui dansent sur les arbres, les fichus sur l...