mercredi 12 janvier 2011

12 janvier 2011 : Los Angeles vol.1 : FIN DU VOYAGE

Mes dernières heures à Los Angeles sont là et, par conséquent, mes dernières heures sur le territoire américain.



C'est comment Los Angeles ? Je ne sais pas. Dépaysant, sans doute, pour voir les choses du bon côté. Grand, il n'y a pas à dire : la moindre « petite » rue a 6 voies et s'étale sur l'équivalent de trois villes différentes. Car il y a plusieurs villes à L.A. : Santa Monica, Universal City (non, vous ne rêvez pas, les studios universal sont si grands qu'ils ont leur propre police, leurs propres pompiers et leur propre code postal), et d'autres. La ville entière est folle. Je ne veux pas dire par là énergique ou vivante -loin s'en faut- mais décalée, hors du réel… toute la ville est touchée par ce fanatisme de la célébrité qui la rend vulgaire, vénale… Si New York est une grande enfant et San Francisco une hippie, alors Los Angeles doit être une prostituée.


Le mieux étant bien sûr que je raconte, mais après tout je n'y ai passé que deux jours…


De San Francisco à Los Angeles mon bus a traversé le désert. Des étendues plates et sans végétation si ce n'est de l'herbe sèche, que je pouvais imaginer salée par les vents de la marée. Parfois, hors de tout, quelques collines, mais certainement rien de ces rues penchées et de ces vallons de San Francisco. Sept heures donc, à regarder l'éternel recommencement de ces limbes plates dans le silence engloutissant de ce bus endormi. Parfois, un champ d'orangers, qui s'étale et s'étale avec ses boules de noël orange, et dont on ne vois pas la fin.

Et puis finalement, sans que rien ne semble le justifier, apparues de nulle part, une rue, des maisons, des lumières partout : vous voilà à Hollywood. C'est aussi simple que cela. Les palmiers gigantesques et extrêmement nombreux ne trompent pas, et quand bien même vous auriez encore des doutes, voici le bâtiment du Capitol Records et derrière -non, vos yeux ne vous trompent pas- les neufs lettres irrégulièrement posées les plus célèbres au monde : « Hollywood » (ceux qui pensent automatiquement « chewing-gum » à la suite : bienvenue dans l'univers affreux de la génération pub des années 90).

Mon auberge étant située sur une rue perpendiculaire à Hollywood Boulevard, et mes jambes me démangeant du manque de marche, je suis sortie avec mon appareil photo, et un anglais avec qui j'avais fait connaissance en 5 minutes montre en main, pour prendre des photos du boulevard, de ses étoiles avec les noms de stars, des empruntes de pas de mes acteurs favoris, du Chinese Theater où l'on célèbre les Oscars, etc.

Le résultat était piteux : un large boulevard bordé de Sex Shops et de boutiques à touristes, et des étoiles sur le sol à n'en plus finir : et bien qu'il ne faudrait pas faire un rapprochement trop évident avec les personnes qu'elles représentent -quoique- : « quand on en a vu une, on les a toutes vues » (et il faudrait être une fan absolue de Chantons sous la Pluie comme je le suis pour y voir une référence quelconque).

Seul moment de la soirée qui m'a fait éclater de rire (l'anglais m'a alors regardé avec un air incrédule) : j'ai croisé le magicien ! Le mécanisme à 25 cents du film « Big » !. Il était là, il donnait sur la rue, sur la devanture d'une boutique. Si j'étais sérieuse, je supposerais qu'il y en a plusieurs aux Etats-Unis, sans doute encore plus depuis le film, mais comme je ne le suis pas je pars simplement du principe que celui de San Francisco a été transporté jusqu'ici pour me donner une dernière chance de le voir. Je l'ai pris en photo. C'est donc vraiment là que se termine l'aventure « Zoltar », parce que c'est son nom.

Photo-photo-dodo, donc, aura été le signe de ma soirée.


Tous ceux qui étaient allée à Los Angeles avant moi m'avaient prévenus : Los Angeles, c'est sans intérêt. Ils m'avaient aussi dit qu'étant donné que j'étais étudiante en cinéma il fallait ABSOLUMENT que j'aille voir les studios Universal. Oui, oui, très bien ! Un petit détour à Capitol Records, un autre à Amoeba (qui étaient mes arrêts « musique ») et me voilà enfin devant Universal Studios, où à ma grande surprise j'apprends qu'il s'agit en réalité d'un parc d'attraction incluant la visite des studios. Le parc est atrocement cher, et parce que j'apprends aussi qu'il ferme à 17h (la vie est dure), je consens à payer encore plus pour un billet « Front of the Line », qui permet de ne pas faire la queue devant les attractions, et donc me permettrait en théorie de toutes les faire malgré le fait qu'il soit déjà 12h. Quelques $120 pour un parc d'attraction, donc, il avait intérêt à avoir des ressources ! Je n'ai pas pu tout faire, mais ce que j'ai fait valait le coup. Car il ne s'agit pas d'un Futuroscope au rabais, comme j'en avais l'impression au début : leurs activités sont tournées vers le studio auquel le parc est attenant. J'explique : passé un concert très très chouette des Blues Brothers (non pas les vrais, ils n'ont pas ressuscité le mort, encore que j'ai failli le croire), et un court-métrage exclusif de Shrek en 4D sans intérêt, je suis allée faire l'attraction « Studio Tour » : un tour du studio, donc, dans un petit train pour touriste. D'abord nous traversons les décors de Western les plus utilisés au monde (six rues dont chacune a son poste de shériff, son bar à double volet, son croque-mort et son bordel : on ne lésine pas sur les moyens ; puis le décor des Dents de la Mer qui n'a pas été transformé et qui sert encore à beaucoup de films (où le véritable requin qui a servi au film sort tout à coup de l'eau pour se jeter sur le train, s'arrêtant à quelques centimètres à peine) ; le décor de Psychose de Hitchcock, gardé consciencieusement en l'état, avec un petit plus : le personnage du film qui sort, met une blonde morte dans la malle de sa voiture et s'approche du train avec un long couteau avant d'attraper quelqu'un par le col, au moment où le train redémarre. Effet garanti.

Puis nous sommes passés devant les voitures mécanisées qui sont utilisées pour les scènes de carambolages, lesquelles nous ont donné un aperçu de leur utilité, avant de… danser. Oui, des voitures qui dansent. Pourquoi pas.

Puis une petite visite des décors de Desperate Housewives, où devant l'une des maisons une équipe se préparait.

Un passage dans le décor de Jurassic Park tout compris : voitures, jungle, barrières électriques… (si j'avais été un brin moins fière j'aurais sauté dans tous les sens, je vous jure), puis devant la grande cuve qui est utilisée pour faire les scènes-sous marine, puis devant le mur bleu le plus long du monde (quelques chefs op’ de ma connaissance baveraient déjà à l'heure qu'il est), puis dans le plateau complètement détruit de la Guerre des Mondes (version Spielberg) où un véritable avion a été explosé et désossé (mes velléités de décoratrices n'en revenaient pas), puis sur le lac qui a servi dans une vingtaine de film à représenter à l'heure qu'il est 5 mers et océans différents, dans la grotte où a été tourné « la Momie » (circulez, y'a rien à voir)… Nous voilà alors dans un décor de métro new yorkais entièrement mécanisé qu'on croit au premier abord tout a fait ordinaire quoi que parfaitement reconstitué. Voilà même le métro qui approche ! Et alors qu'il nous dépasse, tout explose : le métro déraille, s'ouvre en deux à 20 centimètres du train (ai-je dis qu'il n'y a aucune paroi à notre train sinon un sol et un plafond ?), des centaines de litres d'eau se déversent tandis que le sol s'ouvre et le plafond tombe, et les étincelles des fils électriques brisés et mouillés sont projetées en tout sens. Quelques secondes plus tard : plus rien : tout est sec (sèche-cheveux ultra-puissants), sols et plafond sont retournés à leur état d'origine, le métro se reconstitue par magie et rentre tranquillement au bercail. C'est quelque chose à rendre le cerveau malade.

Après ça nous passons au milieu des studios d'enregistrement son, que nous ne pourrons pas visiter aujourd'hui : ils sont tous utilisés, et nous nous retrouvons sur le décor du dernier King Kong, dans une caverne tapissée de squelettes et de vieilles pierres. Il commence à faire noir. Sacrément noir. Et là le petit train s'arrête. On nous donne des lunettes 3D, qu'on enfile sans trop comprendre, et s'ensuit l'activité la plus géniale au monde (j'en suis encore toute retournée… « l'envers vaut l'endroit ») : Peter Jackson, donc, le réalisateur de King Kong, a aussi conçu cette activité, que je vais avoir bien du mal à décrire : il y a des écrans tout autour de nous : nous sommes dans une sorte de sphère d'écran, sur laquelle est projeté en 3D un combat entre King Kong et un T-Rex, dont on a vraiment, mais alors vraiment la sensation qu'ils se battent au-dessus de nous : et ce d'autant plus que le train vibre et bouge et percute à chaque fois que l'une des deux énormes bêtes le touche. Il y a encore bien d'autres techniques utilisées lors de cette attraction, mais de toute façon le tout est du domaine de la sensation. Nous sortons de là excités, énervés et mouillés (oui, ça aussi), et continuons la visite. Celle-ci dure une heure. Encore des décors, des visites, des effets : la ville s'étend à l'infini avec ses noms de rues modernes à souhait (le carrefour de l'avenue Steven Spielberg et la rue Bob Marley m'a laissé un brin cynique).

Après quoi je ne savais pas très bien quelle activité faire : je savais avoir vu la partie la plus passionnante du parc, qui aura plu en moi autant à l'étudiante en cinéma qu'à la jeune fille en vadrouille. J'ai choisi au hasard une attraction portant sur les effets spéciaux, qui ne m'aura pas appris grand chose, mais il faut dire que pour ce qui est de la technique, les étudiants en cinéma sont un public très difficile. Et puis sans trop y croire mais parce que c'était la dernière attraction ouverte, je suis allée voir « les animaux du studio »… ce que je n'ai vraiment pas regretté. Il s'agit des animaux qui sont véritablement utilisés par les studios pour leurs scènes. Pas de lion, de tigres ou de girafes, seulement des singes, beaucoup d'oiseaux, des chats, des chiens, des porcs, etc. Et en réalité je crois que l'absence de bêtes par trop impressionnantes a rendu le tout beaucoup plus intéressant. Comment par exemple un réalisateur parvient-il à filmer un oiseau en vol ? Vous savez, cette scène où on est juste à côté de l'oiseau, qui comme par magie reste parfaitement au milieu de l'écran ? Eh bien explication avec un perroquet. Vas-y coco ! Coco (qui ne s'appelle pas Coco, je le précise, mais dans une volonté de vulgarisation je lui donne un nom qui vous aidera à garder à l'esprit qu'il s'agit d'un perroquet, ce qui n'a pourtant aucune importance)… Coco, donc, vole jusqu'à un énorme ventilateur, et à côté du ventilateur se trouve un écran vert (qui sera ensuite remplacé numériquement par le bleu du ciel, sait-on jamais que certains lecteurs ne sachent pas ce qu'est un écran vert). Coco vole contre le vent, sauf que -Hallelujah- le vent est trop fort, ce qui fait que Coco il a beau voler, il fait du sur-place. Tout bénef pour la caméra qui sans bouger d'un micro-centimètre a son coco volant eu centre de l'image devant un écran vert. C'est tellement évident que je n'y aurais jamais pensé.

Et puis après il y a les chats (impressionnant) et une petite dispute très drôle entre un coq et un porc sur le repas du jour (c'est très drôle et très bien fait mais je vous épargne les détails), un orang-outan (c'est toujours impressionnant : non seulement il fait ses tours, mais tout singe qu'il est on dirait qu'il « pense » ses tours, et cela rend l'animal particulièrement fascinant, d'aucun de ma connaissance diront « dérangeant ». Et puis bien sûr des chiens qui font tout un tas de choses mais c'est de la triche, eux ils sauteraient volontiers d'un avion sans parachute si on leur promettait un susucre. Il y a ensuite les pigeons, l'aigle, le faucon qui a été éduqué pour aller trouver la seule main du public qui tient un billet de banque plié pour le récupérer et le ramener au dresseur (pratique), un aigle, un cochon (il a fallu 48 porcs pour filmer Babe, les petits porcs grandissent trop vite), etc.

J'ai fini mon tour du parc, et ai pris le chemin de la sortie, certes pas mécontente de mon expérience, mais frustrée de l'heure de fermeture.

J'ai décidé parce qu'il était tôt de prendre le bus jusqu'à Primitive Sound, magasin d'instruments de musique où sont censés travailler le chanteur et le bassiste d'un groupe que j'adore. Il fallait environ 1/2h en voiture pour arriver là-bas d'après internet, je comptais une heure en bus, ce qui me laissait une heure pour voir environ de quoi il retournait et, peut-être, trouver un vinyle du groupe que j'aurais pu faire signer par « The Preacher » et « Sonic » (ceci étant censé donner une idée de la nature du groupe en question). Il m'a fallu 3h30 pour arriver à destination. Note à moi-même utile aux autres : Los Angeles, c'est la ville où les gens sont fiers d'une chose : leur bagnole. Si tu n'as pas de bagnole, t'es un guignol (ou un clodo, ce qui revient au même, on est en Californie), alors pourquoi diable envoyer des bus toutes les 10 minutes comme dans toutes les villes du monde ? Et à quoi servirait-il de faire en sorte que ces bus aient des correspondances faciles ? Et pourquoi est-ce qu'il y aurait des taxis alors que les riches ont des voitures et que les pauvres ne prennent pas le taxi ? Hum ? J'ai donc pris trois bus différents, que j'ai attendu 1h, 1h et 1/2h. Je ne pouvais même pas faire demi-tour et juste rentrer chez moi parce qu'il me fallait 5 autres bus si je retournais chez moi par Universal Studio, et seulement 2 si je passais par ce fichu magasin. Je suis arrivée là-bas à la nuit noire, dans cette rue déserte, devant le magasin fermé, sans bus à l'horizon, et sur cette énorme route à 8 voies qu'ils ont le culot d'appeler une « rue ».

Je me suis avancée pour prendre une photo du magasin qui avait fermé d'après la pancarte 1h30 avant, et j'ai vu une ombre bouger, et fermer la grille sentencieusement. Difficile de ne pas le reconnaître, il s'agissait de Sonic, donc, le bassiste du groupe. Je lui ai demandé où je pourrais trouver leurs vinyles : ils n'en ont plus en stock pour le moment, et nous avons échangé deux-trois mots sur son groupe et la France. Il est rentré dans son énorme voiture et est reparti. Je pourrai au moins dire que j'ai rencontré, en Californie, le bassiste d'un des premiers groupes que j'ai appris à aimer dans ma vie (je m'y suis pris tard, n.b.). Comme j'avais le sourire aux lèvres, la loi de Murphy m'a lâché les baskets, et je suis passée d'un bus à l'autre sans encombre, attendant entre un quart d'heure et une demie-heure l'arrivée de chacun des deux bus. Je suis arrivée à l'auberge un peu tard, mais il était assez tôt encore pour aller manger au Hard Rock Café de Los Angeles, parce que j'ai un esprit de collectionneuse qui fait que je ne pouvais pas résister, après avoir mangé au Hard Rock Café de Venise, de Lisbonne, de Barcelone, de New York et de San Francisco, à aller dans celui-ci. Ce qui a clos une journée étrange, où j'avais réalisé à quel point Los Angeles est une ville où je ne pourrais pas vivre.


Mais le lendemain, un programme tout autre m'attendait.


J'avais préparé un programme bizarre. Il faut imaginer que je n'ai pas de plan de la ville (tous les plans que j'ai pu trouver ressemblaient à s'y méprendre à des cartes routières, desquelles je ne comprends pas une ligne), pas de guide (ces deux dernières semaines je n'ai jamais tant regretté mon guide du routard adoré), et une simple feuille illisible donné par l'auberge pour aller aux principaux points intéressants de la ville à partir de l'auberge (mais pas entre eux). Donc j'ai fait confiance à mon semblant d'intelligence (et je parle là au sens basique de « inter » « ligere » à savoir « lier les choses entre elles ») pour retrouver à partir de ces indications quelles étaient les activités qui se trouvaient peu ou prou dans les mêmes zones et comment aller de l'une à l'autre. Je ne saurai jamais à quel point j'avais juste ou faux, puisque de toute façon les transports sont restés ce jour-là l'aberration qu'ils étaient la veille.

Tout d'abord, tôt le matin si l'on peut dire, je me suis retrouvée à El Pueblo et sur la rue attenante dont j'ai oublié le nom (que le dieu mexicain me pardonne, il a mille autres raisons de me bannir) : bref, c'est comme d'aller au Mexique. El pueblo, c'est une petite place mignonne devant l'ambassade du Mexique, et la rue en question est une rue tout ce qu'il y a de plus mexicaine, dans sa structure, son architecture, sa population, son ambiance, ses boutiques et son marché. Comme je ne savais pas à l'avance où j'allais mettre les pieds, me retrouver sur un autre territoire en moins de temps qu'il ne faut pour le dire m'a plutôt plu. L'ambiance était chouette, les couleurs éclatantes de tous ces objets et vêtements suffisaient à compenser la pesanteur des images religieuses qui fleurissaient un peu partout.

Après quoi j'ai décidé d'aller à Beverly Hills. Pourquoi pas après tout ? Non que je sois très attirée par les maisons de star, mais ça a l'air d'être un coin étrange et différent. Deux bonnes raisons, donc.

Un métro m'a mené à la place sur laquelle je devais prendre le bus 720. Ce chiffre m'est resté coincé dans la tête pendant deux heures et demie. 720, 720… non je ne vois pas. Je regarde sur la carte affichée au mur, et pourtant je crois savoir lire une carte, mais celle-ci était à s'arracher les cheveux. Je voyais bien le bus 720, mais impossible de deviner où il s'arrêtait. Alors je vais voir le Shériff (ça, j'adore) et je lui demande. « 720, 720… » Il ne sait pas, il va voir la carte, il ne comprend pas la carte, il me donne une indication (il a un gros ventre, un fort menton, des yeux bleus et un rire gras : il est tellement shériff comme devraient l'être tous les shériff que je lui aurais fait un bisou pour si peu) : l'indication est fausse. Quelqu'un m'arrête pour me draguer à base de « ouah les cheveux rouges ! Trop cool ! » je lui demande le bus 720. « 720, 720… » oui, il sait, « tu montes jusqu'à Grand Street, tu prends à droite et c'est là, sur Wilshire ». Je monte, je prends à droite, pas de Wilshire. Je croise une bande de jeunes qui chantent des cantiques derrière une affiche représentant Barack Obama avec la moustache d'Hitler, je n'ai pas le temps de leur cracher dessus, et de toute façon je suis trop énervée pour être cynique, j'arrête une petite bourgeoise (sûrement du coin, on est dans le quartier des affaires). « Wilshire ? C'est de l'autre côté ! » De l'autre côté, rien. J'arrête deux hommes en costard « c'est une impasse, Wilshire, tu ne peux la voir que de l'autre côté de la rue ». de l'autre côté de la rue : Wilshire. Pas de 720. Homme en costard : « 720 ? Attends je regarde sur mon Iphone… C'est sur la 7ème et Hope ». « Hope », ça veut dire espoir. On va dire que c'est bon présage. 7Ème et Hope, pas de 720. Une femme est là avec un sticker « ask me » (demandez-moi) alors je demande. « 720 ? C'est sur Wilshire, non ? ». Ben oui, peut-être, on m'a dit ça aussi mais Wilshire c'est aussi long que Los Angeles. « Attends je demande ». Elle sort son micro « 720 ? Sur Wilshire et Flower ? Ok » Ok, Wilshire et Flower, après Hope, ça fait trop hippie tout ça pour un quartier d'affaires. Je repasse devant les chanteurs de cantiques qui chantent toujours et ont l'air de huit crétins coincés dans un monde de série télé des années 50 « Honey I’m Hoooome », du coup ça me redonne un peu le sens de l'humour. Wilshire et Flower : pas de 720. Homme en costard : « je ne sais pas ». Autre homme en costard « prochain carrefour ». Pas de 720. Homme en costard : prochain carrefour ». Pas de 720. Un noir à vélo vient me voir : « 720 ? Deux carrefours plus haut ». Pas de 720. Tiens, un mexicain. J'ai dû quitter le quartier des affaires. Ça ressemble à rien ici. Un mexicain : « je ne sais pas ». Un clodo : « prochain carrefour ». Pas de 720. Un autre clodo : « je ne sais pas ». Un vieil homme « quoi ?! Quoi ?! 720 ? Je ne sais pas ». Un mexicain : « prochain carrefour ». Pas de 720. Une femme enceinte « no hablo inglés ». Un mexicain : « 720 ? Ah, tu vois le bus qui s'appelle 20 et qui s'arrête là ? ». Oui, j'en ai vu passer au moins deux cents depuis que je cherche. « Eh bien il fait exactement la même route que le 720, seulement il s'arrête plus souvent ».


C'EST UNE BLAGUE ?!!!




Bref, je suis arrivée à Beverly Hills beaucoup, beaucoup plus tard que prévu, et je n'avais vraiment pas envie de reprendre le bus après ça pour aller sur la plage comme prévu. Si je dois chercher un bus encore une fois je m'arrête en chemin pour acheter un flingue (j'ai vu des magasins qui en vendaient un peu partout le long de ma route) et je tire dans le tas. Californian way.

Et puis bon, c'est riche, hein, Beverly Hills, mais j'y fais quoi maintenant ? Y'a quoi à voir ?

Un homme avec une veste rouge et un chapeau haut-de-forme me hurle dans les oreilles « Hey ! D'où viens-tu, miss ? » -De France- « Bonnjur, commenn talé vu ? » Très bien, merci. Puis en américain à nouveau «Si tu as des questions, pose, je suis payé par la ville pour ça. Tu veux faire une visite ? $45 en bus, tu verras la maison des stars, l'ancienne maison de Brad Pitt et Jennifer Aniston et tutti quanti » Non merci. Et là il s'arrête de parler. Il me regarde trois secondes, c'est de toute la journée le plus long moment de silence auquel j'aurai eu droit avec lui et me dit « pourquoi est-ce que les français ne veulent jamais faire la visite ? » J'essayais de ne pas être snob (« parce que les français ne sont pas des groupies sans cervelles ») et ai simplement répondu vaguement : « on est peut-être plus pauvre que les autres ». Il m'a dit « Pourtant vous avez la sécurité sociale et l'université gratuite ». Que répondre à ça ? J'ai fait mon plus beau sourire et sans le savoir je me suis mis le vieil homme dans la poche. Il m'a dit « écoute, il y a Rod Stewart qui mange au resto dans la rue d'à côté avec sa copine, si tu veux on va le voir, je le connais, et ensuite je te fais faire un petit tour de la ville. Tu as prévu de faire quoi après ? » Je lui réponds, un peu dépassée par son flot de parole, il faut imaginer qu'il s'arrête toutes les trente secondes pour dire bonjour à des touristes, chaque fois dans la langue qui leur est dû : « je pensais aller à la plage mais… » « eh bien très bien, j'habite à Santa Monica, là où ils ont tourné la première saison d'Alerte à Malibu avant d'aller tourner à Malibu, si tu veux je t'amène en voiture, on s'arrête chez moi trois minutes pour que je me change, et ensuite on y va. Après ça je t'indiquerai quel bus prendre pour rentrer ». Ça, ça pourrait être une scène d'un livre « dont vous êtes le héros ». Choisissez votre réponse et lancez vos dés. Si c'est 6, il s'agit d'un sale pervers tueurs violeurs d'enfants, de jeunes filles et d'éléphants (je m'emporte), si c'est 1, c'est un milliardaire qui vous offrira une villa sur le bord de la mer juste pour vos beaux yeux, si c'est 2, 3, 4 ou 5, il fera juste ce qu'il vous dit qu'il fera, assurant en fonction de votre score une plus ou moins bonne journée. Ou alors répondez « non merci » et ne lancez pas les dés.

Mais on ne fait pas de l'auto-stop sans être joueur, et on ne fait pas un voyage seule sans être attentive, donc j'ai dit « oui », en attendant de voir. On a fait le tour du centre de Beverly Hills. J'ai réalisé alors que mon compagnon était une star… à sa manière. Bon, il est timbré à sa manière, aussi : depuis onze ans qu'il bosse à L.A. dans le quartier des stars, il semble que sa réalité se soit confronté à celle divergente du monde des fans et des groupies. Il est resté coincé dedans, mais il en a vu tous les paysages. Il sait parler 20 langues couramment, et sait dire bonjour dans 100, ce qui lui a valu ce poste de « concierge de la ville ». Il est plus couramment appelé « l'Ambassadeur de Beverly Hills » comme j'ai pu réaliser quand un bus de touriste est passé avec son micro en disant « et à votre droite vous pouvez voir, dans son costume rouge, le célèbre Ambassadeur de Beverly Hills » (Je vous le présente : http://greggdonovan.net/). L'ambassadeur donc, m'a mené dans l'hôtel de luxe où a été tourné Pretty Woman « Ils n'acceptent pas normalement qu'on prenne des photo, mais comme tu es avec moi, tu peux. ». Il a donc pris une photo de moi dans le hall d'entrée, m'a raconté une histoire croustillante sur Julia Roberts plantant la Ferrari (je crois) qu'elle conduit dans le film en plein dans la façade de l'hôtel. Elle n'était pas encore assez connue à l'époque pour que cela passe sans l'énervement et le cynisme du reste de l'équipe. Mais comme dit Gregg (l'ambassadeur), aujourd'hui elle peut planter autant de voitures qu'elle veut. Nous passons en trombe devant Rod Stewart. Je pense que l'ambassadeur allait vite pour ne pas avoir à réaliser qu'il ne connaissait pas plus Rod Stewart que Rod Stewart ne le connaissait : de vue, de nom, de réputation. Gregg passe en disant « Bonjour Rod ». Ledit « Rod » se retourne, sourit vaguement. Il était exactement comme j'imaginais qu'il serait. Gregg poursuit sans s'arrêter de marcher « je te présente Marie, elle est française ». Rod me fait un signe de la main. Cela aura été l'histoire passionnante de ma rencontre avec un rockeur dont je n'ai jamais écouté un album, amen.

Et hop la visite continue à la vitesse de l'éclair, pendant que mon compagnon me raconte toutes les stars qu'il a rencontré « Ma préféré c'est Yoko Ono. J'ai une photo avec mon bras autour de ses épaules, mais elle ne veut pas que je la mette sur mon blog ». C'est joli Beverly Hills. Plus chaleureux que je ne pensais. Il continue à dire bonjour à tout ce qui passe. Au bout d'un moment, sans demander leur origine, il balance quelque chose dans une langue inconnue à trois jeunes filles, ce à quoi elles répondent dans la même langue avec un grand sourire étonné. Il me dit « c'est de l'hébreu. Tu sais comment j'ai deviné ? » Non, vraiment pas. « Elles ont des jupes en-dessous du genou, les jeunes filles ne portent plus de jupes en-dessous du genou aujourd'hui, à part les juives très pratiquante ». Ah bon… Je passais à ce moment devant une affiche de la ville où l'on voyait Gregg, bras ouverts dans son costume rouge, offrir la bienvenue aux touristes. Visite terminée : nous sommes arrivés dans un parking : « devine laquelle est ma voiture » Je vous laisse deviner : j'avais le choix entre plusieurs voitures quelconques « GMC » (la marque la plus appréciée aux States), une Renault (qu'est-ce qu'elle foutait là, elle ?), une Chevrolet verte, une Jaguar grise et une Mercedes rouge. Roulement de tambour… C'est votre dernier mot ? Eh bien oui, c'était la Mercedes rouge ! C'est qu'un concierge aussi fier et aussi bienheureux, surtout s'il pose cette question, doit avoir une belle voiture, pas une GMC ou une Chevrolet (oui la Chevy est une marque banale aux states). Mais la jaguar, pour être une belle voiture, était magnifique et discrète, d'un gris lustré. Non, les vrais riches achètent des voitures grises, ils n'ont rien à prouver. Les pas-assez-riches qui voudraient avoir l'air de l'être les achètent rouges (ou noires), car c'est l'image de la richesse selon la télévision.

Quoiqu'il en soit j'avais pu vérifier tout d'abord qu'il était vraiment payé par la ville, mais aussi que malgré son grain certain, la plupart des employés des hôtels et restaurants le couvaient du regard comme un gentil timbré qu'il est. Il me faisait beaucoup penser à « Pompédup », que tous les Toulousains connaissent : il est le fou le plus célèbre de la ville, qui chante du James Brown à tue-tête et à qui rien ne fait plus plaisir que de s'entendre répondre « Pompédup » par des passants amusés. Il a aussi la manie de faire des High Five aux inconnus quand il est très content, et il l'est toujours.

Je rentre donc dans la Mercedes -heureuse comme tout de ne pas avoir à trouver le bus jusqu'à la plage-, on discute tout le long du trajet qui s'est avéré très long (j'ai dû dire quelque chose déjà sur Los Angeles étant effroyablement grande). Il continue à parler de star. Il a une énorme culture, mais en même temps je sens bien que la seule chose qui importe c'est que lui-même soit une star : « je suis le concierge le plus célèbre du monde, tu vois ! Pense un peu à ça… ». Il me racontait comment Robbie Williams avait été jaloux parce que Gregg prenait une photo avec des filles plus belles que les siennes, et comment Pénélope Cruz était allé le voir en disant « mais je sais qui vous êtes ! » alors que deux jeunes filles les avaient rejoint et, ne reconnaissant pas Pénélope Cruz, l'avaient reconnu, lui. Puis on a parlé tabac. « Tu vois les cigares que je fume ? Avec le bout en bois ? Tu sais qui fume ces cigares ? Elvis Presley, Kennedy et moi. » La formule m'est resté dans la tête tout le reste de l'après-midi. On est arrivé chez lui. Ça c'est le moment difficile, après tout est plus simple. J'ai demandé à rester dehors pendant qu'il allait se changer dans sa mignonne petite maisonnette. Il n'a pas insisté, c'était un bon point. Après ça nous n'avons jamais quitté des rues où des plages fréquentées (quoique peu).

Santa Monica n'est pas une belle plage. Le soleil couchant et l'absence de touristes la rendaient un peu bucolique, mais c'était tout. Pour le reste ça sentait ce que j'appelle -seulement les jours où je suis méchante- le touriste « rôti de porc » : à savoir des touristes blanc et rose dont les maillots sont réduits à l'état de ficelle trop petites (parce que le régime « perdez 25kg en 8h » du magasine de ce printemps n'a pas fonctionné) et qui s'aplatissent au soleil en espérant que ça donne de l'appétit à une âme charitable, de préférence David Hasselhof, de préférence jeune. Bref, il n'y avait rien de tout cela mais tout était réuni pour qu'aux premiers jours de grosses chaleurs les-dits touristes viennent s'agglutiner sagement. Mais au bout il y a le quai où Tom Hanks court dans Forrest Gump, alors ça vaudrait presque le coup.

Gregg, mine d'information, continuait à me faire la visite en ramenant autant que faire se peut toutes ses anecdotes à sa propre personne. Je pouvais voir qu'il n'était vraiment pas dangereux, et même pas si fou que ça d'après les critères de la ville. Mais il était terriblement seul. Un vieil homme seul, qui a joué dans une centaine de films (la plupart du temps son propre rôle, la plupart du temps quelques secondes, la plupart du temps dans de mauvais films tels que « Crocodile Dundee à Los Angeles », « entre chiens et chats » ou « le flic de Beverly Hills »), célèbre sans l'être, cultivé sans l'être, fou sans l'être et même, c'est la le fin mot : triste sans l'être.

Il racontait donc. « J'ai été concierge ici, puis là, c'est surtout ma faculté avec les langues qui m'a permis tout ça. Et puis j'ai été embauché par la mairie de Beverly Hills pour accueillir les touristes. Je suis payé pour parler eux gens et aux stars. C'est formidable comme métier. Et je suis le seul au monde à faire ce métier ». Et il montrait des photos de lui avec Cameron Diaz, et puis David Carradine (« avant qu'il meure. C'est vraiment trop humiliant la façon dont il est mort ». Je vous laisse chercher…), et une autre avec Arnold Schwarzanegger : « il est sympa. J'ai voté pour lui. Mais il n'est plus gouverneur depuis hier. Là il était venu me féliciter pour la façon dont je représentais Beverly Hills ». Je l'attends à l'arrière du bar, désert ou presque, pendant qu'il va commander les boissons en me laissant volontairement avec quelques prospectus et photos où il apparaît, toujours avec sa sacrée veste rouge et son chapeau haut-de-forme. Il est revenu avec un pichet de bière et un pichet de vin blanc.

L'alerte était lancé. Pourquoi faut-il que tous les hommes avec qui je discute veuillent me rendre ivre ? Alors j'ai enclenché le mode « retrait en douceur » que je n'aurai jamais autant utilisé qu'en Californie. Je me sers un verre, je lui dit que c'est le dernier, tout en sachant que ça ne le sera pas. Il dit oui, je bois mon verre. Je lui dis que je dois y aller, il veut me resservir de force. Je refuse, mais ce genre de refus a tendance à rendre les hommes seuls tristes (c'est-à-dire impuissants), donc j'accepte. Je me sers un petit verre, il est content de cette petite victoire, je finis mon verre, lui dis que je dois y aller, et je m'y tiens. Il a eu sa victoire, et il sait qu'il ne pourra pas gagner à tous les coups. Là en général en fonction de la fierté de l'homme en question ça retombe en enfance, tape du pied et boude (ou presque, mais avec Gregg c'était quasiment le cas), c'est le moment facile : le moment où tu te lèves, tu prends malgré tes 23 ans la voix de berceuse la plus maternelle possible et tu lui dis « voyons, je t'avais dit que je devrais y aller, non ? On a passé la moitié de l'après-midi ensemble, c'était très bien, maintenant je dois prendre mon bus ».

Il m'a indiqué l'arrêt de bus en ne sachant pas s'il devait bouder ou pas, et a finalement ôté son air d'enfant pour en revenir à ce qu'il faisait le mieux : il m'a dit au revoir en français, m'a fait la bise, ma dit quelque chose sur lui-même et Facebook, et m'a regardé partir.

Seul il ne semblait plus maintenant qu'un pauvre homme triste avec deux pichets d'alcool dans la cours arrière d'un bar de poivrots. C'est en attrapant le bus que j'ai réalisé que j'aurais dû lui demander une photo de lui. Ça lui aurait plu, pour sûr ! Et puis il n'est rien moins que le concierge le plus célèbre du monde !


Pensez un peu à ça.


Je vous passe les détails que vous connaissez maintenant parfaitement sur la galère que cela a été de rentrer jusqu'à chez moi (malgré le fait que les indications de Gregg aient été parfaitement justes). Mais je suis arrivée sur Hollywood Boulevard relativement tôt. J'avais aussi inscrit sur ma liste de la journée d'aller voir le panneau Hollywood de plus près, mais l'idée d'aller à la chasse au bus encore une fois me donnait la nausée. J'avais fait assez d'heure de route comme cela : chaque déplacement d'un endroit à l'autre, c'est au minimum 1h30 de transports. J'ai donc décidé de trouver quelque chose à faire sur Hollywood Boulevard. Je suis passée devant le Chinese Theater, où l'on fait depuis quelques années la remise des oscars. Le film qui y passait semblait assez mauvais (Nicolas Cage est en pleine crise du « père » : divin, spirituel, de famille) qui lui fait choisir des films de mauvais goût, et à la morale douteuse. Mais la place n'était pas très chère. Je suis entrée dans ce magnifique cinéma de carton-pâte comme je les aime, très grand, où j'étais quasiment seule. Le film était aussi mauvais qu'il promettait de l'être. Avec une mention spéciale pour la morale « vous savez les femmes qu'on traitait de sorcières et qu'on pendait à une époque ? Ben on a bien fait, c'était vraiment des sorcières. D'ailleurs toutes les femmes du film sont des sorcières et les héros, ben ce sont les croisés, parce que c'est bien connu les croisés c'était les gentils et tous les autres c'étaient les ennemis de Dieu ». Au passage, je remarque que ça fait le deuxième film en deux ans que je vois et dont le thème est « toutes les femmes sont des sorcières (je parle de Antichrist de lars Von Trier et de Season of the Witch) et ça commence à m'inquiéter sérieusement quant à la mentalité grandissante des réalisateurs (j'irai me consoler en allant voir le dernier le film de Sophia Coppola avec mon papa, parce que c'est l'histoire d'une jeune fille en vadrouille avec son père, apparemment).


Ceci dit j’‘aurai donc vu la salle des oscars, et aujourd'hui je repars vers San Francisco, que j'ai appris à aimer pendant ces deux semaines. Demain mon avion m'attend pour la France, j'aurai je pense un pincement au décollage, après 4 mois et demi aux Etats-Unis, mais comme on se dit toujours « j'y retournerai ». Puisqu'il faut bien finir une histoire en beauté, je laisse mes derniers mots imiter les scénario que j'ai appris à écrire au cours de mon voyage :


« The End ».




lundi 10 janvier 2011

10 janvier 2011 : San Francisco vol.9

Ai dompté le Golden Gate Bridge. Stop.

Bon, j'ai triché. Arrivé dans les méandres du parc j'avais peur de ne pas arriver au pont avant la nuit. J'ai donc, après maintes recherches (en réalité : un coup de chance) trouvé une ligne de bus qui y menait. Arrivée là-bas, la brume confondait le pont rouge (quelqu'un me souffle à l'oreillette qu'il est orange), orange, le pont orange, donc, avec le ciel. J'ai alors décidé, pour l'avoir fait, de traverser le pont dans un sens et dans l'autre, de rentrer dans la brume épaisse de ce pont et -peut-être- de me retrouver magiquement à Sausalito, pour la blague. Ma géographie s'est avérée lacunaire car il faut encore longer la côte quelques kilomètres pour mettre un pied dans Sausalito. Mais la longue traversée m'a rendue ivre de marche. Commencer à marcher c'est libérer ses pensées. Comme une caméra mes pensées se forment dans mon esprit : tant que la caméra tourne, il y a des choses à voir, quand elle s'arrête, tout s'arrête de la même façon. C'est pourquoi dans la journée j'ai marché quelques vingts kilomètres sans m'arrêter même une seconde. J'ai longé la côte, donc, tout ce temps, consciencieusement. Ma chance étant que la côte à cet endroit-là est entièrement occupée de parcs, de plages et de rochers, qui en ces jours de brouillard froid étaient quasiment déserts.
La nuit tombait au fur et à mesure, tout doucement, et le pont que le brouillard avait fini par engloutir presque totalement, luttait de tout le reste de son énorme structure contre l'obscurité grandissante. Je m'éloignais sans pitié, doucement. Je passais dans des forêts, sur des chemins de boue, sur le sable, sur les cailloux, dans l'eau, et je ne m'arrêtais pas une seconde. Je créais la vie que je n'ai pas tout en vivant le meilleur de celle que j'ai. Le ciel prenait des teintes roses et diffuses d'un horizon à l'autre. Des pêcheurs amoureux lançaient leurs fils dans l'eau de mer, derrière eux le pont imposant suffoquait toujours : ils ne le regardaient pas. Plus loin, beaucoup plus loin, des surfeurs se confrontaient aux vagues paisibles, maladroitement. Quand la vue de la plage ou du récif était dégagée, j'entendais le grondement des millions de grain de sable projetés par les vagues, ça faisait un tonnerre formidable auquel le phare, quelque part, répondait par une sirène grave et paisible, régulière.



Les ombres avaient maintenant englouti eaux et forêt. Je n'avançais plus que parce que mon chemin de terre blanche me renvoyait une très légère ombre blanche qui me guidait à travers les arbres. C'est un autre paysage que je découvrais alors : l'eau dont les vagues blanches étaient rendues fluorescentes par quelques rayons de lumière perdus, tout plus grand, plus mystérieux, plus chaleureux malgré le froid grandissant, car me voilà dans l'intimité de cette nature toujours changeante. J'étais seule encore, je suis passée d'un parc à l'autre, le décor changeant violemment pour ce qui était presque un décor de montagne. J'étais devenue autiste de tant de pensée, mais je savais qu'au bout, dans peu de temps maintenant, il y aurait les lumières, et que là je prendrai le bus, et que je rentrerai dans l'auberge où je discuterai comme si j'étais un être humain, alors que je n'en étais plus sûre, j'étais ce paysage, le bruit de l'eau était dans ma tête, les branches se tordaient au bout de mes bras pour s'abaisser jusqu'à la terre, mes pieds que je ne distinguais presque plus devaient être cette terre elle-même, et je n'avançais alors qu'à l'intérieur de moi-même.



Du fin fond de l'obscurité je me suis retournée : David venait de vaincre Goliath. Le brouillard et les ombres avaient libéré le pont, qui avait allumé ses lumières, ses lampadaires et ses phares, et fanfaronnait de ses couleurs dans le lointain, oubliant sans mal l'humiliation à laquelle je l'avais laissé.



Quelques temps plus tard, je suis sortie du parc, et plus tard encore suis parvenue à l'arrêt de bus où mécaniquement je me suis assise. Et dans un tremblement gigantesque de ma personne chaque aspect de moi-même, qui n'avait cessé de flotter autour de mon corps dans la plus grande liberté, m'a pénétré de nouveau.



J'ai rejoint l'auberge qui palpitait du battement des samedis soirs.




samedi 8 janvier 2011

8 janvier 2011 : San Francisco vol.8

Hier, je suis allée à l'ex-plo-ra-to-rium ! Oui, oui ! Et c'était gratuit ce jour-là (je crois, parce que je n'ai trouvé personne à l'accueil pour payer). Je pensais y passer deux heures, et puis faire un tour dans ce parc, puis aller au Golden Gate Bridge, et avoir fini pour 17h, heure à laquelle le soleil se couche.
De fait j'y suis resté 4h et c'est comme s'il ne s'était passé que trois minutes. Il y avait des tornades miniatures, des jeux d'aimants, des trucs pour tromper le cerveau et d'autres pour tromper les yeux, d'étranges machines qui font de l'électricité, d'autres qui reproduisent des comètes de poche, des mécanismes bizarres qui transforment le son, un ordinateur avec qui tu peux avoir (presque) une vraie conversation (Daisy, elle s'appelle, mais quand elle ne sait pas quoi répondre à ce que tu lui dis elle embraye illico sur l'intelligence des ordinateurs, on pourra dire qu'elle est égocentrique avant l'heure), des jeux pour te prouver que ta culture influe sur ta perception, des jeux pour comprendre la gravité, l'énergie, des hologrammes… Le royaume des gosses ! Les plus grands font semblant de comprendre comment ça marche (c'est expliqué, mais parfois il faut s'accrocher) tandis que les petits deviennent fou de toutes ces lumières et ces fumées et ces trucs qui bougent, et dont ils sont l'instigateur ! J'aurais adoré être là avec mes neveux, parfois excités, parfois intimidés, dans tous les cas émerveillés. Mais cela fait partie de ces merveilles devant lesquelles je ne connais pas d'homme qui ne devienne pas un enfant.
Le tout dans un énorme hangar en métal. Quand il a fermé, les voix se répondaient “The Exploratorium is now closed !”, “The Exploratorium is now closed !” mais personne ne voulait partir : “attendez il y a encore l'eau qui vole à droite ! Et les ombres qui restent scotchées au mur ! Et le truc qui pend, là c'est quoi ?!” .
“The Exploratorium is now closed !” - maintenant les voix n'étaient plus celles des employés, mais de jeunes, amusés par la rengaine, qui répondaient à leur manière en jetant cette phrase de l'un à l'autre, et en se dirigeant lentement, mais alors très lentement, vers la sortie.
“The Exploratorium is now closed !” - c'était cette fois une autre bande d'adolescent qui n'aurait pas voulu s'en aller sans avoir été de la partie - et qui prenait comme par hasard la direction opposée à la sortie “oh, on ne savait pas !”.
“The Exploratorium is now closed !” - c'était quelques gamins, 6 ans peut-être, qui jugeaient qu'au fond crier à tue-tête c'était aussi drôle qu'autre chose, et qui riaient “The Exploratorium is now closed” tout en restant récalcitrant à suivre leurs parents vers la sortie.

Le soleil commençait déjà à tomber quand je me suis décidée à passer la porte, avec encore cent choses que j'aurais voulu voir sans en avoir le temps.
Un peu téméraire, je voulais longer la côte jusqu'au Golden Gate Bridge. J'ai commencé le périple, avec comme point de mire le pont qui s'incendiait peu à peu. Les ombres autour de moi s'épaississaient, bientôt les chiens et leurs maîtres ne faisaient plus qu'un monstre à deux vitesses, les oiseaux se fondaient dans leurs reflets sur l'eau, et bientôt plus rien n'existait que le pont et moi, tête à tête fabuleux. Mais il jouait un jeu impertinent : à chaque pas que je faisais, il s'éloignait d'un pas, de sorte qu'après une demie-heure il était toujours à la même distance de moi. Il n'y a plus de bus à cet endroit-là de la côte, juste l'énorme parc derrière moi et le froid qui grince dans la brume. Je me suis arrêtée quelques secondes, ai regardé le pont d'un air de défi. Véridique, j'ai murmuré “Tu verras demain, quand il fera jour, tu ne m'échapperas pas”, ce qui a rendu un chien curieux. Il m'a suivi alors que je faisais demi-tour pour retrouver le bus, et, finalement, la chaleur réconfortante de l'auberge de jeunesse. J'y ai retrouvé un ami, français, et nous sommes allés fumer une narguilé avec un thé au bout de la rue. Nous y sommes arrivés à 20h à peine, sommes repartis à 2h du matin, ivre de paroles et de choses qu'il nous restait encore à raconter, et qu'on n'aurait pas le temps de se dire, la voix fatiguée et les yeux toujours vifs.
Mais il fallait que je sois en forme car aujourd'hui j'ai un défi à relever : le pont m'attend, et il sait qu'à son jeu, je vais gagner. J'y ai vaincu des montagnes et leurs centaines de faux-cols. Et je sais quelque chose : quand on marche longtemps, on arrive quelque part.


vendredi 7 janvier 2011

7 janvier 2011 : San Francisco vol.7

A San Francisco aussi il y a un MoMA, Musée d'Art moderne. Que pour la forme on appelle SFMoMA. Je m'y suis rendue, un peu comme sans avoir le choix. L'art moderne est quelque chose dont je sais rarement quoi penser. Le plus souvent, ce sont des blagues ou des jeux : les trois tableaux blancs dans une pièce qui s'appelent “trois tableaux blancs” et l'artiste qui sur un énorme plateau de cire a enfoncé non pas sa main mais son genou comme une marque d'identité. Et en effet que je les aime ou pas la moitié des œuvres de cette exposition, quelque en soit la magie par ailleurs, est avant tout sortie de l'œuf d'un concept, et uniquement d'un concept. Je n'invente rien en disant que l'art moderne est la philosophie de l'art, mais je me demande simplement alors où est l'art ? Peut-on réfléchir sur l'art par l'art sans en avoir du brut, peut-être même beau (je sais que cela fait dresser les poils des artistes modernes), sur lequel penser ? Et quoi alors quand l'art finira par étudier ses propres formes d'études ? Mais puisque les artistes, à l'instar des philosophes, aiment à s'observer, le musée s'en fait leur reflet : une salle est dédiée au musée lui-même, non pas son architecture mais son existence, et il y est traité comme une œuvre.
Beaucoup de photos dans ce musée aussi, ce qui n'était pas pour me déplaire.
Et bientôt voici l'exposition sur l'espionnage, c'est-à-dire l'idée de prendre une photo, ou bien à l'insu des gens, ou bien contre leur gré, ou bien dans une situation de puissante intimité. Mais j'étais déjà exaspérée après être passée devant des images violentes de trois artistes différents présentant le sexe comme une activité violente de rabaissement de soi (c'est-à-dire qu'il faut absolument que la photo soit laide, et le personnage un déchet), ce qui est censé les opposer à la pornographie (et ce en quoi je préfère encore la pornographie). On pourra toujours me faire remarquer que c'est moi qui assimile ces gens à des déchets, et que c'est moi qui juge la photo laide à partir du simple fait que le sexe est représenté crûment, et qu'ainsi c'est moi qui donne à la photo cette signification dont l'artiste est innocent. Je n'argumenterai pas là-dessus avec moi même (je suis trop prompt aux arguments ad hominem). Toujours dans la même exposition je suis entrée dans la salle des paparazzi, où une petite Jackie Onassis courait pour détourner l'attention de son paparazzi le plus craint de son enfant. J'étais énervée que l'artiste ait le culot de croire que l'art peut se faire au détriment de la vie d'un individu. La qualité de la photo me fait voir qu'il n'est pas un paparazzi de bas échelle dont on peut pardonner le comportement en leur supposant une bêtise et un manque de talent flagrant (mais peut-être que je mélange un peu trop les deux) : elle est très belle, et très forte… mais voir le désespoir d'une mère qui fuit son enfant juste pour permettre à celui-ci quelques années de plus de tranquillité, je me suis dit que les valeurs politiques, sociales et révolutionnaires des artistes étaient bien loin. Et ainsi de suite dans une exposition où très vite il s'avérait que je n'avais plus envie de voir. Paradoxe imbécile : je faisais semblant de voir sans voir ce que les artistes avaient vu en faisant semblant de ne pas le voir. Je ne comprend pas pourquoi ces situations “d'espionnage” doivent toujours être synonyme de complaisance. Je suis persuadée qu'il y a des instants de vie incroyablement puissants à voler chez une personne, qu'elle n'aurait pas été prête à livrer d'elle-même tout simplement parce qu'elle n'aurait pas vu ce moment comme digne d'art. C'est pourquoi l'œuvre de Sophie Calle, dans le même objectif, ne paraît infiniment supérieure à beaucoup de celles que j'ai vu ici, par sa naïveté à découvrir l'être humain (et elle-même) sous des formes inattendues.
De belles choses quand même à d'autres étages de ce musée, particulièrement dans l'exposition Cartier-Bresson, ou bien surtout “les sœurs Brown” : une série de photo représentant quatre soeurs, chaque années, dans la même disposition, et devant lesquelles j'ai passé une demi-heure à naviguer d'avant en arrière dans leurs existence, avec la sensation qu'elles pouvaient vieillir mais aussi rajeunir, en gardant ce même pouvoir de femmes et de sœurs.
En leur honneur, donc, en sortant du musée je suis entrée à la maison des femmes, dont les fresques extérieures sont impressionnantes (mais certes pas splendide : ils ont un attrait pour les fresques dans cette ville que je ne comprends pas), colorées, et censées représenter de façon quasi-mystique (ce qui m'exaspère) la femme à tous les âges. La fresque se terminant par une énorme forme qu'on peut difficilement ne pas reconnaître comme étant un vagin, formé à partir du dessin d'un squelette de cerf et de quelques orchidées (orchis signifie testicules, et je ne pense pas être la seule pour qui le cerf et ses bois est une figure virile, quant à pourquoi il fallait qu'il soit mort…), ce qui m'a laissé un instant pantoise. Le tout m'a bientôt fait traverser Clarion Alley, petite rue sombre avec des tags sur tous les murs, tous de haute qualité (les plus mauvais étant illico recouverts). Des tags pour la plupart politiques ou contestataires, avec beaucoup d'humour ou de tristesse. Beaucoup de femmes là-aussi, beaucoup de poésie, et pour un peu en traversant totalement l'allée on peut y voir une longue histoire psychédélique où les gens les plus forts rencontrent les gens les plus faibles, et se rendent compte alors que la faiblesse n'existe pas.


jeudi 6 janvier 2011

6 janvier 2011 : San Francisco vol. 6

C'est à l'envers que ma journée d'hier me revient. C'est que mon esprit à cette attraction naturelle pour l'île d'Alcatraz, que j'ai visitée le matin, et il me semble que rien ne peut venir après ça. Tout doit être avant, peut-être à la façon dont les prisonniers de l'île considéraient cette prison : le bout du bout, après lequel il n'est rien.

Donc tard le soir, j'ai discuté des heures durant avec un français de Grenoble qui étudie aujourd'hui au Québec, à propos de nos sentiments sur l'Amérique, sur New York et sur Vancouver, ce qui me le fait confondre aisément avec un autre français avec lequel j'avais parlé quelques heures auparavant, qui étudie quant à lui à Montréal. Mais alors que je me retrouvais embarquée, tôt le matin en réalité, dans deux longues discussions sur notre retour prochain en France et ce que ce sera pour nous, de retrouver la bonne nourriture et les administrations tentaculaires et inefficaces, je sentais que l'alcool montait doucement en moi. Il n'était pas violent, je n'étais pas ivre, mais les mots s'enchaînaient avec aisance, je riais facilement, la pièce était plus grande et laissait mes mouvements prendre de l'ampleur -et, de fait, de la prestance.


C'est que quelques heures plutôt, j'étais dans un pub du coin de la rue, traînée là par un anglais d'une trentaine d'année. Un homme adorable, policier, passionné d'art et de criquet, les joues rouges de bière, des cheveux roux sur un crâne énorme, il ne m'avait pas fallu 15 secondes à l'auberge pour comprendre qu'il était britannique. Et là il me parlait de son dernier voyage en Australie, en m'offrant bière sur bière. Il était bonhomme et enfantin, en même temps très cultivé, et ce mélange faisait de lui quelqu'un avec qui il était aisé de parler et de rire. Le barman nous regardait toujours avec de grands sourires, peut-être amusé par l'image de ce grand gaillard et de la souris qui riait à côté, mais je voyais aussi dans ce sourire une assurance : ivre ou non, il ferait attention à moi. Il nous parlait parfois, en manque de clients, d'où il venait et de pourquoi il aimait cette ville. Mais les barmens ne peuvent qu'aimer San Francisco, parce que San Francisco aime les barmens. J'aimais cette sensation de protection, mais elle était inutile : j'étais bien décidée à ne pas me laisser enivrer par un inconnu, même à San Francisco, d'autant que mon ami se faisait de plus en plus pressant en m'offrant ses verres. Quand il m'a offert de me servir un “Dirty Bird”, un shot de whisky d'après ce que j'ai pu comprendre, j'ai accepté. Il ne se doutait pas que cet acquiescement signifiait aussi mon départ. Je ne pouvais pas refuser pour des raisons stupides mais non moins réelles : j'étais la seule femme dans ce bar, et le barman me regardait, alors que ma réponse se faisait attendre, avec une curiosité grandissante que je ne voulais pas décevoir. Quand j'ai enfin accepté, le barman a offert le shot : “quand une lady boit un Dirty Bird, c'est pour la maison”. J'avais la sensation d'être dans un Western, mais tout cela me laissait présager une boisson au degré d'alcool très élevé. Il était donc question que je le boive, cul-sec comme il se doit, et que je parte avant que la boisson n'ait fait le moindre effet. Je me suis exécutée, encore parfaitement sobre. Le barman m'a adressé un grand sourire en sortant son torchon pour essuyer son comptoir en bois d'un air satisfait -image qu'il avait dû voler à je ne sais quel film de Clint Eastwood. Je leur ai dit au revoir, l'anglais m'a baisé la main ce qui en fait de geste élégant et suranné ne m'a paru que de la drague sèche et idiote, et je suis rentrée à l'auberge sans mal, où l'alcool n'a pointé le bout de son nez dans mon esprit qu'alors que je parlais avec le premier de ces français dans la cafétéria.


Chose amusante, j'aurais pu croiser chacune de ces personnes dans la journée, à Alcatraz. Toutes y étaient, parties à différentes heures, revenues de même.


Je suis partie quant à moi en fin de matinée, sans savoir exactement ce que j'allais voir. Pour moi il s'agissait seulement d'une prison, et je ne vous ferai pas l'affront de vous dire qu'Al “Scarface” Capone y a passé ses plus longues années, puisque je devais être la seule personne au monde à l'ignorer.
Alcatraz s'avère être aussi un parc, ainsi qu'une ville fantôme si l'on peut dire, puisque ont vécu sur l'île tous les gardiens, leurs femmes et enfants, lesquels avaient sur l'île un commerce de quartier, une petite école pour les tous petits (dès le primaires ils prenaient le bateau jusqu'à San Francisco), etc. Et bien sûr jamais ces familles ne fermaient leur porte à clef. Mais depuis la fermeture de la prison ces bâtiments se sont désagrégés : certains ont été détruits, et leurs restes sont restés là, sur l'île, en plan, mais la plupart sont debout, sans toit ni fenêtres : de grande carcasses vides à travers lesquelles on regarde l'océan et la côte.
La visite était parfaite. Grâce aux audio-guides (gratuits, c'est un plus), on peut entendre les témoignages enregistrés des prisonniers et des gardiens sur la vie dans cette prison, ponctuées d'anecdotes et de grandes histoires. Nul besoin de verser dans le sensationnalisme : tout dans cette prison est déjà sensationnel. La prison des prison, on vous dit : si vous ne respectez pas la loi, vous allez en prison, si vous ne respectez pas la loi des prisons, vous allez à Alcatraz.
Tout y est aujourd'hui en place, figé depuis 50 ans. A l'intérieur ça paraît n'être rien, 50 ans, quand on trouve encore les traces de la vie, de la mort, et des tentatives d'évasions dans toutes ces cages. Rien n'a vraiment changé depuis dans les prison américaines. La réinsertion est le mot d'ordre, certes, mais au fond les cellules, les couloirs, tout est resté étrangement le même. Le monde évolue, la prison pas, ce qui suffit à mon avis pour prouver que la prison en tant que telle est un système archaïque de punition ou de protection de la société. Je ne peux m'empêcher de penser que dans un siècle tout juste, en apprenant dans les bouquins d'Histoire ce que c'était qu'une prison, des centaines de gamins d'école seront béats : était-ce vraiment comme ça encore en 2010 ? Vraiment ? Étaient-ils encore si retardés ? Comment n'avaient-ils pas compris ?
Compris quoi, je ne sais pas, mais mettre un homme en cage paraît toujours légèrement aberrant, et en regardant ces grilles monstrueuses et ces plateau de fer, j'ai l'impression d'une torture antique : “et là on pouvait t'enfermer pendant 30 ans parfois, sans pouvoir voir le monde extérieur”. Mais au fond j'ai peut-être de tort de projeter dans le futur des solutions que je ne sais pas offrir maintenant : peut-être qu'il n'y en a pas. Ce dont je suis sûre, c'est qu'on a le droit de rire jaune quand des dizaines de San Franciscains gloussent devant un système pénitentiaire dur, violent, et légèrement archaïque, alors qu'ils appartiennent à l'État américain où il y a eu le plus d'exécutions depuis dix ans après le Texas (mais qui pourrait battre le triste record Texan au sein d'une démocratie ?), quand on voit les san franciscain s'attendrir un peu pour le psychopathe “homme aux oiseaux d'Alcatraz” qui, dit-on, a écrit plusieurs œuvres sur les différentes maladies des canaris une fois en prison, alors qu'il y a cinq ans tout juste Schwarzenegger, dans ce même Etat, a permis la mort de Tookie, dont les ouvrages pour enfants publiés depuis la prison ont évité à de nombreux gosses des rues d'entrer dans des gangs. Non, le passé que célèbre encore San Fancisco sur cette île a des relents de présent, et je ne sais pas bien si c'est nous qui nous moquons de lui, ou si c'est lui, caché derrière ses grilles d'un siècle, qui se moque de nous.
Dans la cantine, on nous raconte comment les autorités étaient tenues de servir des repas en quantité suffisante et qui aient du goût, ce qui les as amené à servir des spaghetti (bonnes, certes) plusieurs fois par semaine durant des mois. Un jour un prisonnier a marmonné “la prochaine fois qu'ils nous servent des spaghetti, on renverse les tables”. J'imagine bien l'impression de danger à dresser l'échine qui a dû se soulever parmi les gardiens quand 200 des hommes les plus craints du pays ont commencé la semaine suivante à balancer les tables en riant dans une cacophonie terrible. On compte plus d'une dizaine de meurtres à Alcatraz, alors se retrouver au réfectoire trois fois par jour, avec deux cents brutes armées de fourchettes et de couteaux, ce devait être quelque chose. Lesquelles brutes apprenaient pendant leur temps libre… à tricoter.
En salle de confinement, il fait noir, seulement noir. Pas de lit, juste des toilettes et un évier, qu'on ne peut pas voir. Un prisonnier raconte que là-bas il avait arraché un bouton de sa salopette. Il le prenait, et le jetait par terre. Ensuite, pendant des heures, à quatre pattes, il le cherchait sur le sol à tâtons. Quand il l'avait finalement trouvé, il recommençait. L'enfer lui même n'est pas trop différent.
Une allée de la prison est plus belle et plus ensoleillée que les autres. Les plus sages y étaient envoyés, mais certains refusaient : par la fenêtre, on peut avoir une vue splendide de la côte, et de San Francisco, charmeuse avec ses lumières et ses bruits. C'est une torture d'une autre sorte.
Parce que je pouvais, je suis alors sortie de la prison, attirée comme eux par cette magnifique vision de la côte sous un soleil rayonnant. Le spectacle paraissait insensé : La belle San Francisco, et juste devant, des ruines bétonnées. La verdure luxuriante rongeant les murs de la prison. L'océan paisible et les rochers secs et vertigineux. C'est se trouver sur un monde à part, où la justice est faite par la rencontre incessante du bien avec le mal, du beau avec le laid. En regardant l'océan au pied du roc, on a l'impression d'apercevoir un grand serpent glacé qui se tord autour des pierres en attendant qu'un jour, tu te décides à descendre, à tenter la traversée qui te rendra libre. La végétation splendide est touffue et impénétrable, de véritables murs de verdure adossés à ceux de béton. Dans ce qui a été la court de récréation, une épaisse herbe verte a recouvert une partie du béton : est-ce vraiment une marque d'espoir ? Ou est-ce que ce lieu n'est pas simplement rongé par le temps ? Est-ce que la nature ne va pas engloutir les éternels prisonniers d'Alcatraz, dont l'âme est restée là, puisqu'on entend leurs voix et l'on voit leur visage tout au long de la visite ? Je me suis allongée sur l'herbe ensoleillée et me suis endormie une demie heure, à regarder les oiseaux, nombreux, survoler l'île inconsciemment. Quel prisonnier l'avait fait ? S'allonger sur le béton et regarder le ciel ? Je sais bien que les criminels et les psychopathes versent rarement dans le romantisme mièvre, mais au fond a-t-on le choix ? Quand il n'y a plus rien à penser, notre esprit pense encore, et c'est là la vraie douleur, alors s'il y a des oiseaux, il faut penser aux oiseaux, et s'il y de la verdure, il faut penser à la verdure, s'il y a du béton, il faut penser au béton, et quand il n'y a rien, il faut lancer son bouton par terre et le chercher, pendant des heures.


mardi 4 janvier 2011

4 janvier (j'en reviens aux vraies dates) 2011 : San Francisco vol.5

Le petit conte de “Marie est entrée au Musée Mécanique” (plus connu sous le nom de “conte des trois M).
"J'avais un an en 1988. Est sorti un film sympathique, tout sauf phénoménal, où un tout jeune Tom Hanks faisait ses pas de jeune naïf (qui aboutiront un jour à Forrest Gump) : je parle de Big. Un petit film donc.
J'avais peut-être 7 ans quand je l'ai vu à la télévision. Parce que j'avais l'âge parfait pour ce film, il m'a plu. Moi aussi j'avais envie d'être grande. Et de danser sur des pianos musicaux. Mais pour cela il fallait que je me retrouve dans une foire, où aurait dû se trouver un vieux magicien en bois, laquelle machinerie m'aurait offert un voeu pour quelques cents. J'aurais demandé à être grande, et le vieil indien aurait exaucé mon vœu, que si l'on en croit le film j'aurais regretté. Mais voilà je n'allais jamais à la fête foraine, et quand j'en traversais une par hasard, je n'y trouvais que des jeux vidéos et des griffes de métal : le vieux magicien en bois enturbanné avait bel et bien disparu.


J'avais 22 ans bien tassés quand je suis venue à New York. J'ai alors lu sur mon guide que là, justement, à F.A.O. Schwartz, magasin de jouet, on pouvait trouver le piano de Big, et même danser dessus comme dans le film ! Occasion à ne pas manquer, je me suis exécutée. Ce qui a éveillé en moi l'envie de revoir ce film depuis longtemps oublié.
J'avais 23 ans tout juste lorsque je l'ai revu dans mon appartement de Brooklyn, et j'ai constaté qu'il avait vieilli, ce qui ma fois est logique puisqu'au fond c'était son souhait, qu'il l'ait regretté ou non. Et j'ai de nouveau rêvé de ce magicien enturbanné. Jeune j'en rêvais pour grandir, grande j'en rêvais pour revenir au temps j'en rêvais pour grandir. Simple comme bonjour ! Mais voilà les fêtes foraines étaient passées à l'Imax et je n'avais jamais été aussi loin de rencontrer le magicien.


Il y a trois jours, à San Francisco, je me baladais sur les quais et une étrange musique de vieille fête foraine a attiré mon attention. Je me suis retournée, et là, je me suis trouvée nez-à-nez avec le vieux magicien, en bois toujours avec sa barbichette et ses promesses d'avenir… si l'on peut dire. L'année allait sonner sa fin dans les deux heures, et il était là. Au-dessus de lui, un jeune homme fermait de grandes portes sur lesquelles était inscrit "Musée Mécanique de San Francisco”. The End"
Aujourd'hui donc j'y suis retournée, et sur le chemin j'ai croisé un vieil homme en costume en tweed, propre sur lui et très digne, qui tenait à la main un long fil. Son regard remontait souvent le long de ce fil avec précaution et émerveillement. J'ai suivi son regard et ai trouvé au bout du fil, un cerf-volant. Tout bleu, avec des grands yeux bêtes dessinés par dessus. L'homme a continué sa marche le long du quai avec une joie toute simple, m'abandonnant à mon propre sourire béat. Je n'ai pas même cherché à dissimuler le plaisir que j'avais à voir ce grand-père avec un cerf-volant. Je l'ai suivi du regard longtemps, avant de reprendre mon chemin. Mais au fond ce que je venais de voir était un prélude de ce que j'allais voir.


Dans le musée mécanique, se trouvent des centaines de machines à pièce en bois, d'époque. pour 25 cents on peut se faire lire son avenir par des automates, faire jouer un piano mécanique, faire une course de cheval, tester sa force ou regarder de petits films tels qu'ils étaient avant que les frères lumières n'aient l'idée de créer le cinéma tel que nous le connaissons aujourd'hui. Fait amusant, on peut y trouver un série de Zoetropes, dont Francis Ford Coppola est passionné et fait la collection. Son restaurant s'appelle “Zoetrope”, et ses menus sont décorés d'images de ces petites machines d'animation à l'ancienne. Bref, un bric-à-brac de machins bêtes et drôles, et surtout très vieux. A 11ans, le propriétaire de ces mécanismes a gagné un prix de valeur, qu'il a échangé contre une de ces machines. Cela a peu à peu fait de lui un collectionneur. Aujourd'hui il en a de fabuleuses, et écrit qu'il a toujours aimé lorsqu'il suffit de mettre une pièce pour qu'il se passe quelque chose. Alors le musée est gratuit. De sorte que tout ce qu'on a à faire, c'est de mettre des pièces dans tout ce qu'on peut, puisque de toute façon chaque machine ne coûte que 25 cents. Mais ma première rencontre a été avec un automate géant surnommée “Fat Lady” (“Grosse Dame”, officiellement “Laughing Lady”). Elle est énorme, elle a un grosse poitrine, des joues rouges et une dent en moins. Je la regardais un peu étonnée lorsqu'un homme est venu me voir. Il riait déjà. Il m'a dit “je la connais, elle ! Quand j'étais tout gamin elle était au-dessus des attractions du Parc ! Il a fermé maintenant. Mais on jouait et au-dessus elle était toujours là, à se tordre de rire. Elle fait que ça ! Attends, il faut que je te montre.”. Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu'il avait déjà mis une pièce, et la grosse dame s'est mis à rire en se tordant d'avant en arrière, d'un rire au son parfaitement naturel et surtout très communicatif de grosse dame. Mais elle était si grosse et laide ! Et elle riait, elle riait, et l'homme à côté de moi riait aussi, et puis moi aussi parce qu'elle ne s'arrêtait pas, et une femme qui venait d'entrer aussi parce qu'elle n'avait trouvé dans la salle que trois idiots dont une automate riant sans pouvoir s'arrêter. Toujours riant j'ai continué mes vadrouilles, regardé quelques zoetropes, quelques automates, utilisé mes pièces dans des pianos, et des vieilles machines, et des jeux idiots. Et puis pour finir ma balade dans ce passé de jeu et d'enfantillage, je me suis fait lire les lignes de la main par une machine automatique. laquelle m'a beaucoup fait rire : si l'on presse la main sur le tableau gelé en métal, en faisant glisser une pièce, des dizaines de petits pistons de métal en sortent et rentrent doucement, donnant l'impression de palper savamment la paume de celui qui s'y risque. A la fin de cette petite manœuvre, un petit bout de carton sort de la machine. Je m'attendais à une petite phrase mystérieuse comme on en trouve dans les cookies chinois, mais au lieu de cela je me suis vu offrir un texte extrêmement précis, pour ne pas dire ridiculement précis, qui valait bien mes 25 cents : “votre main indique qu'un grand changement se prépare dans votre vie avant la fin de l'année. Le plus tard ce changement sera remis, le plus profitable il sera. Votre chance ne va cesser d'augmenter. Un grand succès sera permis par un ami, aussi essayez d'être apprécié par tous. Votre bonheur ne dépendra pas seulement de votre argent. Pour avoir un porte-bonheur de poche, gardez la plus vieilles pièce que vous avez jusqu'à votre prochain anniversaire. Faites-la d'abord porter par votre meilleur ami pendant une journée.
Jours de chance : les samedis.
Les meilleurs jours : le 6, 10 et 21 de chaque mois sauf janvier.
N.B. Si vous voulez d'autres révélations secrètes, demandez la carte suivante.”
On ne pourra donc pas dire que la fortune a épargnée sa salive, et c'est toujours le sourire aux lèvres que je suis sortie, en passant à nouveau devant la Fat Lady, qui riait encore à gorge déployée, actionnée par une petite asiatique qui riait devant sans très bien savoir elle-même pourquoi.
Cependant, et là est le mystique de la chose, en retournant au musée cette fois-ci, le magicien au turban n'était plus présenté. Je suppose que la fortune d'un vœu ne se présente qu'une fois dans une vie…


J'ai pris le tramway. Le chauffeur s'est arrêté pour moi à un arrêt qui n'en était pas un, juste parce que je le regardais avec l'air d'avoir l'envie irrépressible de monter dedans. Il y a quelque chose de flottant dans la circulation à San Francisco. Il n'y a pas de feux pour piétons, et parfois pas de feux du tout, et alors les gens s'organisent d'eux-mêmes, sans bruit ni klaxon, le plus souvent aimablement. les bus s'arrêtent et repartent sans ordre particulier, juste parce que ici et maintenant, ça parait un bon choix. Parfois ils ouvrent leurs portes pour papoter avec le conducteur du bus d'à côté, au feu. Et ils repartent sans se presser. Cette fois-ci dans le tramway une très vieille chinoise grondait sans ménagement une autre chinoise que je supposais être sa fille, qui avait elle-même plus de 50 ans. Ça bataillait fort, dans une langue déjà puissante, et j'ai réalisé à ce moment-là que nous étions très peu comme moi dans le bus à ne pas savoir ce qui se racontait : tous ici étaient chinois. Il y a une proportion gigantesque de chinois à San Francisco. Ils ont eux-mêmes aidé à construire la ville, et fidèles à leurs traditions n'ont pas généré beaucoup de mixité, mais quasiment toutes les publicités de la ville sont en anglais et en chinois. J'étais en minorité, donc, ce qui m'a paru une raison suffisante pour descendre avec eux et me retrouver dans Chinatown. Des montagnes d'objets kitschissimes m'y attendaient, pourtant  de qualité remarquable par rapport à l'ensemble des objets chinois qu'on peut trouver en Europe ou dans le Chinatown New-Yorkais. Mais tant de couleurs, de théières et de bouddhas entassés, c'est trop pour moi. Je suis entrée dans un temple, ironiquement placé dans un immeuble étroit à l'américaine, au dernier étage, seul de tous les étages qui ait été aménagé à la chinoise, donnant à l'immeuble, à l'instar de tous ceux de la rue, une drôle de silhouette métissée. Là, donc, des centaines de lampions au plafond, quatre vieilles chinoises rabougries travaillant en m'ignorant royalement, et une décoration magnifique tout de rouge et d'encens. Des oranges étaient posées ici et là à travers la pièce. Les cierges que l'ont trouve dans les Eglises catholique, que l'on ne peut allumer qu'en faisant une donation, étaient ici remplacées par de l'encens. Je ne suis pas restée longtemps : ce lieu était un lieu de culte, je m'y sentais étrangère et bourrue, déplacée magiquement d'un décor à un autre, sans que j'ai quelque droit que ce soit à cela. D'ailleurs les quatre femmes riaient de plus belle, et ça, et les oranges, et les lampions, et l'encens, et les lettres chinoises, ça ne faisait aucun sens dans mon esprit, comme un enfant qui ne sait pas lire et regarde les lettres avec curiosité, espérant y voir magiquement ce qu'on est censé en faire.


Quelques boutiques plus tard, lesquelles m'avaient mené bien loin de Chinatown, je me suis posée à l'arrêt de bus, où le mien était annoncé pour dans 25 minutes. Un petit homme d'une cinquantaine d'années s'est assis un peu plus loin, a fait une remarque sur l'heure, je lui ai répondu en souriant. Je savais qu'il allait parler. il était de toute évidence de ces fous innocents, intarissables sur le monde parce qu'ils n'y comprennent rien, et que c'est en soit une raison suffisante d'en parler. J'en veux pour preuve cet article et tous les autres. Mais après tout puisque nous avions tous les deux 25 minutes devant nous, la folie c'est toujours une nouvelle façon de regarder la planète. On ne prend pas l'avion pour autre chose. Nous sortions tous les deux de la même boutiques de musique et films, avec tous les deux à nos pieds la même poche jaune. Il m'a demandé si j'étais française. Je portais une casquette de papi et un pull à rayure bleu marine, le tout épicé d'un accent aux couleurs latines : je n'avais pas de mal à voir comment il avait deviné. Il a alors repris “Je parle 16 langues couramment. Dont le français”. Il disait cela en anglais. “Grâce aux livre Berlitz. J'ai lu les livres Berlitz et maintenant je parle couramment”. Précautionneusement, pour ne pas le froisser mais ne pas le laisser passer avec ses douces aberrations sans les regarder de plus près, je lui ai fait remarquer que je ne pensais pas qu'on pouvait parler une langue couramment simplement en lisant un livre. Il a relevé sa casquette avec un grand sourire jusque dans ses petits yeux asiatiques et m'a lancé “moi si. J'ai une mémoire photographique”. Et après quelques secondes : “Q.I. très élevé”. Après quoi il m'a adressé une courte phrase en français. Du moins j'ai supposé qu'elle était en français à son air fier de chat qui dépose une souris morte sur le paillasson. J'ai réfléchi très vite. Il n'était pas question que je remette en doute ses talents. J'ai acquiescé avec un grand sourire. Ça a eu l'air de l'ébranler un peu : apparemment sa phrase n'était pas une question rhétorique. Bien tenté. Mais il n'était pas cavalier à abandonner son cheval. Il a eu l'air perdu quelques secondes, je lui ai alors demandé ce qu'il avait acheté. Remontant illico en selle, il a sorti 5 films de sa poche. Tous de sombres navets. Charlie et ses drôles de dames, Wanted, etc. A chaque film il me disait pourquoi il l'avait acheté : le premier parce que c'est du son surround ; le deuxième parce que c'est une qualité d'image “deluxe” ; le troisième il l'avait déjà mais ce DVD-ci avait les bonus, et ainsi de suite. J'ai alors découvert un homme fasciné par la technologie moderne. Pendant toute notre discussion, internet revenait comme un leit-motiv, ou bien c'était les téléphones portables, et si j'avais écouté ses conseils, j'aurais visité San Francisco seulement sur ordinateur. J'acquiesçais le plus souvent, parfois je débattais un peu quand le terrain ne semblait pas trop sensible. J'aimais chercher chez cet homme l'équilibre, que je sentais fragile, qui lui permettait de vivre dans son monde et d'évoluer dans le nôtre. Il disait être fiché dans plusieurs casino parce qu'il ne cesse de gagner -il compte les cartes- il me parlait des Carrousels, qui sont pour les enfants mais c'est bon aussi pour les adultes parce que les adultes produisent alors de l'endorphine, ce qui est bon pour le corps. A San Diego il y a un Carrousel où on peu attraper un anneau qui pend, et si on arrive à l'attraper, il faut le jeter dans la bouche d'un automate, et si on arrive à le mettre dans la bouche, alors on a une peluche. Mais lui il a gardé l'anneau. Il s'exprimait parfaitement normalement, mais ses pensées n'avaient pas d'égal. Je l'écoutais donc avec un intérêt non-feint, intérêt qui le rendait de plus en plus excité par ses conseils et découvertes. Il me disait aussi que son père était américain et sa mère chinoise (ce qui pouvait aisément se vérifier sur son visage) mais qu'au fond ses deux parents devaient être des “juifs chinois, si tu vois ce que je veux dire”. Je ne voyais sincèrement pas. Il m'a alors expliqué qu'il devait être juif parce qu'il avait des poils sur tout le corps, et que les chinois n'ont pas de poil. J'ai dû avoir l'air déstabilisé par son argumentation, parce qu'il s'est alors rattrapé sur le fait qu'il était juif de religion maintenant, qu'il ne l'avait pas toujours été mais que maintenant tout allait bien. Il a alors jugé que c'était le bon moment, (mais de toutes ses qualités je n'ai pas vu qu'il soit excellent juge), et m'a demandé si j'avais un petit copain. J'ai répondu oui, craignant que son enthousiasme n'en soit balayé, mais en réalité il n'en était plus là. Il m'a lancé deux-trois banalités sur à quel point mon copain avait de la chance et que je pourrais être actrice si je le souhaitais (ce qui s'avère être le compliment suprême, “parfaite” arrivant en seconde position), et a embrayé sur les restaurants où son frère et sa sœur l'amènent parfois, qui sont très chics mais où tout est dans la présentation et rien dans l'assiette. Je ne sais pas de tout ce qu'il disait ce qui était vrai et ce qui était faux. Et en réalité, le tout avait une cohérence curieuse, qui me fait penser que tout était vrai. Qu'il était peut-être un de ces génies idiots comme on en voit surtout dans les films. Qu'il avait autant de capacité à comprendre la technique qu'à rester étranger au monde, comme ces films dont il aime la le son digital ou la possibilité d'un transfert sur Iphone, mais ne tient pas compte une seconde du scénario.
Quand il est descendu du bus, nous parlions depuis moins d'une demie-heure. Il m'a serré la main en me disant “bonjour”.

Ça voulait dire “au revoir”.


lundi 3 janvier 2011

3 décembre 2010 : San Francisco vol.4

J'ai repris la route des Beatniks. Ils étaient juste à la frontière de Chinatown. Ils m'attendaient là, tranquilles, reposés sur du papier jauni… Car c'est là que se trouve le musée de la Beat Generation. Un petit truc pas cher, une librairie de poche sans grande prétention, qui expose des photos, des articles, et des premières éditions de ces auteurs. Ce n'est pas exceptionnel, mais ça paraît naturel, on est entouré de mots et d'un peu de poussière. Comme toujours la ville célèbre son passé. Quand New York vibre de son absence de mémoire (tout est toujours juste fait ou encore à faire, le plaisir du ici et maintenant), San Francisco salue ses fantômes. Neil Cassidy, qui s'appelle Cody dans les romans de Kerouac (sauf sur la route, où il se prénomme… Dean Moriarty), ouvre la salle avec un poème et un portrait, les autres s'alignent comme des lettres. Les photographies amateures et les articles de journaux nous présentent des hommes tout simples, de ceux qu'on ne regarderait pas vraiment et qu'on appellerait volontiers “le voisin du bout de la rue”. Une bande de copains qui s'emmêlent de textes et de femmes. Il y en a des femmes Beat, on nous dit. Elles ont un mur pour elles. Soit, mais il me semble que les femmes, ce sont ce que les Beat ont réussi à oublier, dans leur littérature. Juste s'en débarrasser. Elles sont présentes dans les actions, mais étrangères à leurs poésies. C'est une misogynie étrange : ces hommes célèbrent leur corps, mais pas leur sensualité. Ce qu'ils célèbrent c'est le brut et l'absolu. J'ai aimé cette phrase d'accroche d'un film qui dit de Kerouac, Neil et leur amante commune Carolyn (mais au fond cela vaut toute la Beat generation) : “They shocked us. They outraged us. They didn’t do anything wrong. They just did it first. (Ils nous ont choqués. Ils nous ont outragés. Ils n'ont rien fait de mal. Mais ils l'ont fait les premiers)”. C'est un peu sensationnel, mais j'aime cette phrase avec leurs visages accolés, riant au lit tous les trois ensemble, qui montre à la fois la bonhommie de ces jeunes et leur impact insoupçonné.
Alors j'ai acheté Howl. Je l'ai déjà lu, pourtant, mais j'ai un plaisir de collectionneuse à posséder les livres que j'ai lu. Je ne suis pas attirée par les livres rares ou grands, au contraire les livres de poches sont une invention merveilleuse : plus agréables à lire et à toucher, plus simples, plus discrets, plus secrets, plus à soi et à personne d'autre, c'est comme ça que je les aime dans ma librairie. Howl, donc, répond à ces critères à merveille, et me fait un petit souvenir très léger de San Francisco, d'autant que j'ai vu le film éponyme… à New York.
Et j'ai traversé l'allée Kerouac dans Chinatown, où quelques vers, d'auteurs divers mais surtout de Kerouac, sont disséminés en lettres dorées sur le sol, sans que cela soit d'ailleurs du plus grand effet. L'allée m'a mené tout naturellement à un immeuble magnifique, entièrement recouvert de cuivre, qui appartient aujourd'hui à Francis Ford Coppola. Aux étages il travaille, ainsi que sa fille, Sean Penn, Werner Herzog et tant d'autres à qui il a prêté les lieux, à la réalisation de ses films, tandis qu'au rez-de chaussée on peut prendre son repas dans un lieu tapissé de bouteilles de vin de Francis Ford Coppola lui-même. Dans ce restaurant, il a tourné quelques scènes du Parrain, c'est un peu donner une idée de l'atmosphère. La serveuse roulait des hanches absentes chaque fois qu'elle passait devant le Barman, lequel ne lui jetait pas un regard, tout occupé qu'il était à compter à des clients hypnotisés les différentes passions de son haut patron. Je me reposais devant ce Feydeau de fortune, avant de me rendre finalement chez le disquaire du coin où une caverne de vinyle à les voir s'effondrer sur soi m'attendait. Ce magasin défie la gravité, et les allées de quelques centimètres ne permettent pas à quelqu'un de plus épais que moi de passer. En arrivant en bas des escalier, deux jeunes hommes étaient là, à deux extrémités du magasin, concentrés, et c'était déjà foule. Je me suis arrêtée un instant, préparant ma respiration à ma plongée dans les disques noirs et poussiéreux, et ai poussé un long soupir. L'un des hommes à levé la tête et, en chuchotant parce que cette boutique nous faisait un effet étrange de librairie, m'a dit “oui, c'est ce qu'on a dit nous aussi”. J'ai souri, et ai plongé. Quelques minutes plus tard, dans ce silence de sanctuaire, l'homme a sorti un vinyle du lot, détruit, rayé et sale, et a demandé à son ami : “Tu connais, ça ?”. Sur la jaquette on pouvait lire “Beat Generation, textes lus par Jack Kerouac”.


dimanche 2 janvier 2011

2 décembre 2010 - San Francisco vol.3


Je me suis endormie dans le bus. Je suis arrivée alors à Ocean Beach, une plage ni plus ni moins, pas laide, pas de surfers, et suis entrée en somnambule dans le Golden Gate Park. Et à cet instant, est-ce que je dormais encore ? On m'avait décrit l'endroit comme un Central Park au bord de la plage, mais ce que je voyais c'était un jardin merveilleux. Certains coins pouvaient être des forêts de Norvège, des petits lacs que j'aurais bien vu en Allemagne, des étendues d'eau sage avec des bateaux miniatures et quelques canards comme dans un parc bordelais, et puis des aberrations toutes américaines… Un fou a vu des choses, et le long de la promenade, longue promenade, a posé ses visions, a mélangé les couleurs, a créé son tableau, et c'est absolument splendide. Que sert de raconter ? J'aurais bien du mal à décrire. C'est vert, d'un vert violent comme on croit qu'il n'en existe pas dans la nature. Partout, des arbres gigantesques. J'en ai vu de hauts, droits et oranges. j'en ai vu des tordus au point de s'en nouer les branches entre elles. J'ai vu des oiseaux bizarres, des bicoques, des lacs dont un avec une île au milieu, des chemins escarpés, un parcours de golf d'un vert à brûler les yeux, plus loin des bisons -des bisons, voyons !- qui broutent et dorment, des joggeurs sur de petites cascades. J'étais presque seule et c'était mon jardin secret. Mieux que le jardin un brin conventionnel de rosiers grimpants qu'avait imaginé Hodgson Burnett. Parce que dans ce parc là, il y a toujours un coin pour poser les yeux, et où qu'on les pose ils rebondissent.

J'ai traversé ainsi tout le parc ou presque, avant de croiser un homme, perdu comme moi sur le chemin de l'Académie des Sciences de Californie. Retrouvant notre chemin ensemble, nous avons discuté un peu. Il disait qu'il était francophile, c'est-à-dire qu'il aimait le pain, le fromage et le bœuf bourguignon. Pur banquier San Franciscain (il y a des banquiers même à San Francisco), il parlait avec beaucoup de gentillesse, et certainement un esprit légèrement gourmand : “mon frère habite là- bas, tout près d'une boulangerie française…” puis “ah ? Une auberge de jeunesse ? Il y en a une très chouette, pas loin de la boulangerie en question…” et encore “Le pont, oui, bien sûr, il est célèbre, la boulangerie n'est vraiment pas loin…”.
Nous sommes arrivés, et dès l'entrée il m'a salué, ce que j'ai trouvé admirable parce qu'il est rare que quelqu'un dont la conversation est agréable sache quand il faut pourtant y mettre un terme.
De nouveau seule, dans un lieu chouette dans l'ensemble, bien foutu, regorgeant de poissons (les aquariums de San Francisco sont une expérience à ne pas manquer, parole d'âme de gamine !), d'oiseaux, de papillons, de plantes, de tortues, de pingouins, de serpents, de trucs et autres qu'on ne voit nulle part ailleurs, surtout pas comme la plupart ici en semi-liberté. J'ai surtout admiré l'architecture du lieu qui nous fait passer des moments incomparable de découverte en 3 dimensions de la nature, plutôt que derrière les vitres formelles qui le plus souvent transforment des merveilles en cartes postales.
Du parc à la forêt tropicale, tout doucement, sans broncher… j'avais oublié ce que c'était la nature, mes sens étaient submergés. Je ne voulais même rien savoir. Je me foutais des noms, des sciences, des anecdotes, j'étais juste au milieu, bouche ouverte.


J'ai manqué de gober un papillon.






samedi 1 janvier 2011

1er janvier 2011 - San Francisco vol.2

En ce lendemain de réveillon (je sais, présenté comme cela, ça donne le tournis), San Francisco a doublé sa brume d'une pluie froide. Les gens sont fatigués des fêtes de la veille, se lèvent tard et lentement, hésitent vaguement à la porte des maisons, mouchoirs en poche. C'est le jour ou jamais pour échapper aux touristes. J'évite le Pier 39 avec une précaution superstitieuse, et sans trop savoir pourquoi je me rends dans ce quartier, “Haight and Ashbury”. On m'a dit que là-bas étaient les hippies. Et comme ma foi les hippies sont les descendants des beats, ça fera l'affaire. C'est un peu la génération ensoleillée qui a succédé ces écrivains déshérités. Puisque la nuit, tous les chats sont gris, le jour levant a peut-être révélé les manteaux colorés et les drapeaux psychédéliques, cachés dans l'âme des poètes et des Ginsberg depuis près de dix ans.





Je m'approchais doucement, en silence, dans le vieux bus bondé. J'aime les transports ici, toujours. Après quatre mois a marquer le temps dans les infinis tunnels du métro new-yorkais, ces transports de surface surannés et brinqueballant me font l'effet de petits jouets pour enfants géants.
J'arrive à Haight, sans trop croire à ma fortune d'enquêtrice de l'authentique. J'allais y trouver c'était sûr des hippies en cire, en poster, des hippies à vendre et des hippies à louer, des hippies garantis 100% couleurs naturelles, des hippies délavés, des hippies taille réelle, et à collectionner les 5 sosies des membres des Grateful Dead, les deux qui sont morts sont plus chers que les autres. Et en effet, il y avait un peu de cela. La rue, scandée de maisons acidulées que j'aurais aimé voir au soleil derrière leurs palmiers triomphants, est bordée près d'Ashbury de boutiques vintage, de babioles hippies, de fumoirs et de cafés. Lesquels s'étendent platement, vidés des touristes frileux, et souvent fermé pour ce congé de premier jour de l'année. Et pourtant, malgré tout, tout ça avait un air de vrai. C'est après une heure à déambuler dans les rues (“tiens, la maison de Janis Joplin”, “tiens, celle des Grateful Dead”) que j'ai réalisé que le faux à San Francisco, c'est du vrai. Ces alignements incroyables de maisons victoriennes dont aucune ne l'est réellement (les tremblements de terre et les feux en ont eu raison pour la plupart), ces imitations rigolotes qui cherchent à peine à faire semblant, tout ça c'est le vrai San Francisco acidulé dont les habitants sont fiers. De toutes façons, les couleurs de San Francisco n'existent pas dans le monde réel : les vêtements psychédéliques et les rainbow flags, ça n'a rien de naturel, rien d'authentique, mais c'est vrai. Il y a ces vieux européens qui croient que les vrais bonbons ce sont les caramels et les chocolats. Je préfère les têtes brûlées, les crocodiles en gélatine, les langues couvertes d'acides. Ce n'est pas “authentique”, mais c'est vrai. Il n'y a pas besoin de label, c'est seulement palpable. Alors autant le Pier est figé dans l'imitation, la naturalisation et l'embaumement parfumé, autant le quartier du Haight est vrai, je dirais même pur. Il se meut, lentement, de gens qui ne sont pas là pour le voir mais pour le vivre. Beaucoup de hippies, des vrais. C'est-à-dire que certains ont les couleurs, certains ont les barbes, certains le cannabis, tous l'esprit, et qu'ils passent sans regarder vraiment où ils vont, jusqu'à ce qu'ils retrouvent un de leur pairs, et alors ils sourient, malgré la pluie. Beaucoup de clochards et de pochards se retrouvent ici, sous les jambes géantes de pin-up, ou devant le disquaire, lequel vend des vinyles en vrac, très divers, sans qualité pour la plupart. Le tatoueur étale ses dessins de poissons chinois et de Pin-ups pour marins des années 30, on peut y acheter Play-boy et des magasines de dessins porno. Une librairie anarchiste. Des magasins vintage. D'autres steam-punk. Un bar à chicha. Un cordonnier. Un restaurant timide. C'est beau tout ça.


C'est un peu triste, pourtant, au fond. Ils se meuvent mollement dans le monde moderne sans plus y croire beaucoup, un peu par habitude, un peu pour une vieille rébellion oubliée, un peu parce que s'il faut être clochard autant l'être par fierté, je ne sais. Ils connaissent les gestes et les mots, ne les inventent plus. Ils ont répété “paix” et “amour” tant de fois en vain, maintenant ils ne savent plus très bien l'effet que ça fait de l'entendre pour la première fois. Répètez un mot mille fois devant le miroir, bien concentrés sur chacune de ses sonorités, et il deviendra tout à coup étranger, bizarre, inapproprié. Ils sont fatigués, les hippies de San Francisco, alors que le reste de la ville bat d'un rythme de fête. Au fin fond de l'Ariège on en trouve des plus enflammés, mais ceux-là me remplissent sans mal de leur présence.


Je voulais mieux les regarder, je suis montée sur “Alamo Square”, très beau parc, tout bosquet et colline, d'où l'on voit le quartier multicolore. Un couple de jeunes hippies, un vieux noir, et une dame s'y trouvaient déjà, avec ou sans chien. Cinq à braver le temps en reniflant, chacun de nous un peu heureux de ce plaisir d'avoir le lieu à nous, dans cette paix que nous offrent les jours fériés d'hiver. Le vieil homme, finalement, le plus agité d'entre nous, s'est tourné vers moi avec ce sourire qui fait paraître les noirs plus hilares que les autres, et m'a dit “Voyons, mademoiselle, quelle magnifique journée pour prendre des photos ! N'est-ce pas splendide ?!”. Je me suis tournée vers la vallée de maisons rendues ternes par la lumière blanche des journées pluvieuses, j'ai regardé vers l'océan que je ne pouvais voir à travers la pluie, j'ai reposé mon regard sur la boue timide au bout de mes chaussures et en souriant à mes pieds j'ai répondu “en effet, une bien belle journée”. Il s'en est retourné content dans son imperméable, et je regardais toujours la boue où je ne voyais rien. Redescendant la colline, j'ai traversé les quartiers qui ne sont pas conçus pour qu'on les voit -comme en ont toutes les villes- avec des parkings et des riens rendus moins encore par la pluie tenace. J'ai grimpé dans un tramway, qui grinçait un peu à chaque arrêt. Plusieurs fois j'ai vu des conducteurs sortir de leur tramways, de leur cable-car ou de leur autobus pour rattraper un de leurs passagers (sorti trop tôt) par l'épaule : “ce n'est pas là que vous vouliez sortir, remontez, je vous dirai quand nous serons arrivé”. Et cette fois le tramway centenaire s'est aussi arrêté pour que son conducteur puisse gronder paternellement un conducteur de taxi qui avait passé à un feu orange. Quand le temps qui passe doit se plier au bon vouloir des relations humaines, c'est ce que j'appelle la vraie vie.
Je gelais et me demandais pourquoi à New York le froid était si bon et à San Francisco si dur. C'est que, malgré dix degrés de plus, l'humidité ici fatigue et fragilise, agresse incessamment, mais donne aux parcs et aux rues une verdure inimitable.
Je me suis enfin assise derrière le bol de chowder que je m'étais promis depuis des heures, comme on promet une friandise aux enfants qui font sans broncher de longues visites épuisantes. Le bol en question consiste en un ragoût de poisson cuit dans de la crème, mais surtout servi dans un énorme bol en… pain. Chaud, épais, il avait pour moi un attrait merveilleux, ajouté au plaisir tout Hanselien de manger son assiette après le repas.
C'est sur ce repas du pauvre bienheureux que j'ai achevé ma journée, et j'ai réalisé alors dans le bien-être de la chaleur, en retrouvant mon énergie, que peut-être cette mollesse, là-bas, c'est aussi celle des gens qui n'aiment pas l'hiver, qui le passent lentement comme en hibernation, pour transformer leurs étés sur la côté en “Summers of love” chaque fois renouvelés. Que quelqu'un me dise. Mais triste ou gaie, elle est belle leur ville.





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