mardi 16 juillet 2013

Sixto Rodriguez, héros de la classe ouvrière

Il y a quelques jours c'était le concert de Rodriguez à Toulouse.
Sous l'oeil rond du verre de vin du Prince de Monaco, rendu turquoise -le verre- sous les lumières changeantes du concert, on a vu débarquer, porté par deux hommes comme le mort-vivant de 70 ans qu'il est, le héros de la classe ouvrière désenchanté, l'homme philosophe revenu à la mode.

Sa voix, inchangée par les années, ses airs sans ride et sans faiblesse, ses textes dylaniens qui reviennent aujourd'hui, rendus à la vie par le monde enterré d'Afrique du Sud et l'industrie sévère du cinéma, ses rides et son chapeau… Il était sans parole, mais qui en attendait ? Qui voulait voir parler le fantôme, puisqu'il avait une guitare pour discours et une voix encore étrange, une voix de somnambule que j'écoute à l'instant, pour nous donner la sensation que même la mort n'est rien pour l'artiste ?

Inconnu de l'occident, légende pour les Afrikaans qui le pensaient mort, suicidé sur scène, les Afrikaans qui lui avaient rendu la légende puisqu'ils n'avaient pas l'homme, il était là, plutôt en os qu'en chair. Il chantait brillamment ses chansons, pauvrement celles des autres, enchaînant les fausses notes sur les tubes de Little Richards, et croquant les coeurs sur les siens propres. Qu'importe, on l'applaudissait chaque chanson. On lui pardonnait ce qu'on n'aurait pas même pardonné à Paul McCartney, on lui pardonnait parce qu'il n'était pas qu'un musicien, il était le fruit vivant des contes de fées. Sous le regard du roi ou du Prince, il était le bouffon, l'ouvrier, l'homme d'Amérique du Sud qui répare les toits sous le ciel froid de Detroit et qui ne souhaite pas réaliser sa fortune toute nouvelle et soudaine. Il est l'homme qui donne l'espoir d'un destin, d'une résurrection, pour les peuplades désillusionnées de la crise.



J'avais lu quelques jours auparavant cet article qui le disait fatigué, qui le prétendait alcoolique, et je me disais qu'il y avait eu une erreur. Une erreur de traduction peut-être. Il ne cessait de dire “I know it’s the alcohol talking”, mais quand il disait ça, qu'il savait que c'était l'alcool qui parlait, il s'adressait au public aimant et fou, comme s'il rendait leur hystérie à la folie de l'alcool, comme s'il ne pouvait pas croire que cet amour était là pour lui. C'est comme ça qu'on l'aime, le héros de la classe ouvrière, on l'aime indifférent à son propre succès, moins rock star que rocher, imperturbable : il sera là bien après qu'on nous ait tous enterré : il a connu la mort et est revenu, sans même la regarder, sans même le savoir, sans même s'en soucier. Peut-être que l'auteur de cet article le VOULAIT alcoolique, parce que ça rajoutait à la légende de l'homme brisé par le travail, emmené par l'alcool, un Tom Waits nouveau genre. Il le voulait peut-être alcoolique, parce qu'on a tous entendu cette histoire du succès qui tue les hommes bons, qui enterre leur âme sous des flots de dollars.


La crise, comme la guerre, comme l'apartheid, c'est à coup de chansons et de poèmes qu'on en vient à bout, et il était debout, il avait son arme et c'était d'exister. Applaudissait-on ses chansons ou bien toutes ces années au cours desquelles il n'avait pas été applaudi ? Applaudissait-on Rodriguez ou nous-mêmes, d'être-là, d'avoir nous aussi dans un monde lointain notre part de fortune. Comment expliquer un monde où nous ne sommes rien, si ce n'est en pensant qu'ailleurs, comme lui, nous avions un nom ? Applaudissait-on ses accords ou bien la victoire de l'humanité sur l’apartheid, à l'heure où Nelson Mandela se meurt, à l'heure où les légendes immortelles sont rendues à la mort ?

Il est revenu pour nous, Sixto Rodriguez, il est revenu pour nous sauver, c'est un Jesus Christ superstar, pas loin d'être maçon, trop homme pour être un homme, c'est un héros avec deux albums seulement, deux testaments pour l'humanité un peu triste et un peu dure.

Il n'a jamais rien eu à perdre, donc ce qu'il gagne, nous le gagnons.

vendredi 5 avril 2013

4 avril 2013 : Londres vol. 6

C'est une tempête de neige qui déferle dehors tandis que j'attends mon avion. Je suis au dernier jour de mon voyage, et pour donner un peu plus d'unité au tout Londres me quitte comme elle m'avait accueillie : sous les flocons.



Dernièrement je n'ai cessé de marcher. J'ai profité de la pointe de soleil qui s'est amenée avant-hier pour (dans le désordre) me balader dans Regent’s Park, prendre une photo sur Abbey Road, et quand même visiter le Museum d'Histoire Naturelle (la file d'attente n'étant plus qu'à un quart de ce qu'elle était vendredi dernier). Je me suis fait, tout en visitant, une liste mentale très utile. Note à moi-même, j'aime : les dinosaures, les grands squelettes d'animaux disparus, les animaux empaillés quand ils ont l'air de bouger, et les jeux où il faut tourner des manivelles et pousser des boutons. Je n'aime pas : qu'on m'explique des choses sur des écrans pour que ça ait l'air plus interactif (mais internet est né…), les squelettes de petits animaux que je pourrais moi même trouver dans la forêt, les crânes humains et dentitions de tout homme préhistorique, et enfin les joyaux en tous genre (ouais, ouais, ça brille… mais si on ne peut pas le porter je ne vois pas l'intérêt). J'aime surtout : les gamins qui crient quand ils voient la groooooosse baleine, les gamins qui se sentent tout drôles devant le squelette de diplodocus, les gamins un peu inquiets devant le stand “Même les lapins se recyclent” - lequel montre un lapinou tout doux manger des graines, puis la vitrine d'après faire caca partout, puis celle d'après tomber malade, mourir, se décomposer, devenir de l'herbe et se faire manger par un autre lapinou. C'était un peu beaucoup pour les plus jeunes (ou pas assez jeunes), surtout les propriétaires de lapinous tout doux. J'aime aussi les gamins qui n'ont pas encore compris que quand papi et mamie les emmenaient au musée, il y avait de fortes chances que sous prétexte de culture on ne puisse rien leur refuser. Il faut les entendre avec une voix toute timide demander dans la boutique “je peux avoir un caillou joli du stand là-bas?” (lesquels caillous coûtaient 1£, du vol je vous dit). -“Mais oui mon chéri.” - “VRAI?!!!” Et là c'est le moment redouté dont je me rappelle très bien, celui où il faut choisir entre le caillou rouge -ma couleur préférée-, ou celui qui est bleu mais plus lisse et tout froid dans la paume de la main. À moins de prendre le vert, c'est la couleur préféré de mon frère, peut-être que j'arriverais à le rendre jaloux (peine perdue, Marie, peine perdue)? Oh, et puis c'est décidément trop difficile, sans doute que si j'éclate en sanglots Maman m'aidera. Plusieurs gamins exécutaient sans mal la chorégraphie écrite depuis des années.
J'aime aussi, c'est vrai, ceux qui ont compris l'équation grands-parents + musée, et leur regard devant la glace de la taille de leur tête sur laquelle ils peuvent faire couler le chocolat bien noir (leur regard étant sans doute la première raison pour laquelle on a laissé le petit commander une glace de cette taille, la seconde étant qu'un des adultes de la tablée devra “se sacrifier” pour finir ladite glace)



Bref, je laisse les enfants là, avec les lions, les dinosaures et les baleines, et je vais me balader dans Regent’s Park. Ou plus exactement le traverser, car je déteste marcher pour n'aller nulle part. J'avais donc mis le cap´ sur Abbey Road. Il faisait beau, et 7°C, ce qui était et sera le record de la semaine. Je profitais de la balade pour penser à mon avenir.
Je crois que jusque très tard j'ai pensé -et pourtant il me semble qu'on a essayé de me prévenir- qu'être sans-emploi c'était pour les pauvres. Et je ne veux pas dire qu'être sans emploi te rendait pauvre -je ne nie pas l'évidence, bien sûr- mais qu'être pauvre te rendait sans emploi. Bien sûr, c'est en grande partie vrai, mais ce que je me disais par là c'est qu'une personne qui fait des études, qui aime ses études et n'est pas “en échec” devrait trouver un emploi dans sa branche. En fait, dans mon esprit naïf, le terme n'était pas “trouver” (qui impliquait qu'on l'ait cherché) mais “avoir”. Je me remets doucement de la réalisation que ce n'est pas, pas du tout, comme ça que ça marche. Je regardais autour de moi en me disant “là je vivrais bien, ou bien là”, je rédigeais mentalement des courriers à différentes boîtes de production, je réfléchissais à ce que mon professeur de Script-reading m'avait dit de faire… j'ordonnais mon avenir à base d'une grande quantité d'espoir, une quantité raisonnable de connaissances, et une quantité minuscule d'opportunités. Et j'enviais les enfants de tout à l'heure.
Et puis je suis arrivée à Abbey Road.
Là tout devient confus : j'ai fait les choses dans le désordre, sans logique, depuis trouver le Tardis (une cabine de Police bleue qui sert de vaisseau spatial à un Docteur du nom du Docteur. Who?) jusqu'à manger dans un restaurant libanais en passant par faire un tour dans le monde merveilleux et interminable du geek (ce monde ayant le nom de Forbidden Planet, “Planète Interdite”, et pourtant on y entre sans mal). J'ai aussi bravé la tempête de neige pour me rendre à nouveau à Camden Town, le marché-étable, mais qui le matin et dans le froid saisissant avait perdu une partie de son charme. J'avais décidé après cela de faire un tour dans Hyde Park mais c'était décidément impossible. Je suis aussi -enfin!- passée devant une Poste, où je me suis dit que j'allais pouvoir poster les lettres que je gardais depuis des jours dans mon sac. C'est donc à ce moment-là que je me suis rendue compte que les lettres avaient disparues. J'espère donc que l'âme charitable qui les aura trouvé les posteras -elles sont déjà écrites et timbrées…
Bref, mon séjour devenait bordélique, fait des miettes de ce que je voulais faire mais n'avait pas eu le temps de faire jusqu'ici. Je rayonnais à droite et à gauche, revenant toujours comme par enchantement vers les deux “cirques”, Oxford Circus et Picadilly Circus, qui constituent le coeur de Londres.



Et puis j'ai pris mes clics et mes clacs, j'ai balancé ma cape sur mon épaule, j'ai regardé une dernière fois vers le Tower Bridge…
Londres? Attends-moi.

mardi 2 avril 2013

1 avril 2013 : Londres vol. 5

Un dimanche et un jour férié à Londres, cela signifie la moitié des métros fermés (certains pour cause de réparations je dois l'admettre) et avec eux une bonne partie des magasins, restaurants et attractions en tous genres. Ajoutez une petite pincée de vent, passez le tout au congélateur, et vous avez quelqu'idée de ces deux dernières journées.
Elles m'ont donné l'impression de ne pas être aussi active que j'aurais dû l'être, de ne pas profiter assez…



Et pourtant hier j'avais déjà fait le tour de Notting Hill (j'ai cherché Hugh Grant dans la librairie qu'il tient dans le film, mais ils l'avaient remplacés par un jeune anglais de la même trempe), magnifique quartier résidentiel où tout est marqué du sceau tout anglais du calme et de l'élégance. Puis tout en mangeant la moitié d'un amalgame infâme de farine, d'eau, de jambon et de moutarde qui ose s'appeler un “sandwich”, j'ai visité les Churchill War Rooms, le labyrinthe étroit où plus d'une centaine de personnes travaillait avec Churchill à l'abri des bombes allemandes (sous 1m80 de béton, pas moins). Et puis pour fêter ma liberté retrouvée à la fin de la longue (et très chouette) visite, j'ai fait un tour à Covent Garden, histoire de trouver un café où me poser, lesquels étaient tous fermés en cette veille de jour saint. En désespoir de cause j'ai traversé toute la ville (en métro, en bus et à pied), très laborieusement, pour enfin mettre le pied dans un pub tout à fait charmant, tout en longueur et donnant sur un quai, où j'ai discuté quelques instants avec un Londonien du quartier, un jeune garçon légèrement trop propre sur lui, qui travaillait dans la finance.
Et malgré tout ça, activités et rencontres, j'avais l'impression d'avoir avant tout perdu mon temps. Entre les métros annulés, les bus détournés, les cartes amochées et moi-même pas futée il m'a semblé mettre plus de temps à me déplacer qu'à faire réellement des choses. Ce qui n'est pas tout à fait vrai maintenant que j'y repense…



Et ce matin les choses étaient parties pour aller de même. J'avais imaginé la City comme un quartier vibrant, ne connaissant pas les week-ends et encore moins les jours consacrés à la résurrection d'un sans-le-sous, mais de fait un premier avril, c'est une ville morte sur laquelle le vent vient siffler pour rappeler le silence. Le quartier n'est pas inintéressant, puisque s'y côtoient les bâtiments en pierre blanche de l'âge d'or des banquiers du 19ème siècle et les hautes tour en verre de l'âge d'or des financiers du 20ème. Ils se saluent de bas en haut, bien bas, bien haut, bien grands, bien gros, et je passais comme Alice, petite, au milieu des champignons. Le restaurant où je souhaitais aller était fermé, ainsi que le métro que je voulais prendre, ainsi que celui sur lequel je m'étais rabattue, et même les taxis étaient semblait-il de repos.



Je tremblais de froid. Toute entourée de mavcape rouge aux gros points blancs, c'est moi maintenant qui étais le champignon. Quelques stations de métros inutiles plus tard j'ai enfin mis les pieds près de la London Tower. Magnifique, mais surtout en plus du froid je tremblais maintenant d'excitation, en contournant la drôle de bâtisse, car j'allais voir un bâtiment que je n'avais pas vu depuis des années, et qui m'avais littéralement scotchée sur place la première fois : le London Bridge. Cartes postales, films, photos… Rien ne lui rend justice. Les deux tours trapues que des rubans d'acier retiennent au sol d'un côté et de l'autre de la Tamise sont inoubliables et, inexplicablement, elles me rendent heureuse. C'était le cas la première fois, ce fut le cas cette fois-ci, sans que je me l'explique tout à fait : juste une bouffée d'air et de plaisir, comme si ces deux tours solides lavaient votre esprit dans l'eau brune à leurs pieds.
Et puis quand on leur tourne le dos, tout s'échappe et tout revient. Je me suis posée au Docks Katharina, au bout du port, dans un magnifique pub très justement nommé le Dickens, pour manger en regardant toujours le pont au-dessus des bateaux. Je ne pouvais plus voir qu'une seule tour, et bientôt je tournerai le dos à celle-là aussi.



Mais un enchantement fit place à un autre, et je tournais le dos au Tower Bridge pour faire face -quelques métros et bus inutiles plus loin- à Camden Town, l'une des choses les plus étranges que j'ai vu de ma vie. Ce n'est pas tout à fait beau, pas vraiment laid, pas exactement kitsch mais certainement pas élégant. C'est bordélique, chimérique, unique… Fantastique. On l'appelle le Camden Lock, et c'est un marché. C'est, d'ailleurs, tout ce qu'un marché pourra jamais être. Une croisée des mondes à proprement parler. Les boutiques n'en finissent pas : rétro, pin-ups, vinyles, mais aussi raggae, indien, zen, ou encore tatouages, piercing, punk, futuriste… J'en passe des centaines. Tout ce qui peut être trouvé peut être trouvé ici. Mais l'architecture du lieu elle-même est incompréhensible. J'avais à peine fait quelques pas à l'intérieur du marché que j'étais déjà perdue. Les boutiques sont superposées, alignées ou tout simplement posées, là, sans raison apparente. Dans la partie “Stables”, les étables, les boutiques sont disposées comme des box d'écuries, tandis que des armées de chevaux en métal bondissent des murs et du sol, dans un mouvement puissant arrêté en plein vol mais qu'on perçoit encore dans leur musculature et leur crinière épaisse. Certains sont gigantesques, d'autres de la taille d'étalons existants. Ils vous regardent, ainsi fondus dans les murs et les pavés, faire des emplettes inutiles ou vous émerveiller de telle boutique ou de telle autre. Quand ce ne sont pas les chevaux qui viennent réclamer l'endroit comme le leur, ce sont les… Robots. Une large boutique du nom de Cyberdog regorge d'objets et de vêtements que je n'avais jamais vu de ma vie, du cyber punk sauce branché boîte de nuit : au programme des couleurs flashy, des coupes de vêtements qui n'existent pas (encore), des tissus synthétiques improbables, des accessoires qui brillent dans le noir, des maquillages criard et au sous-sol un sex-chop SM futuriste. Le tout sur fond de techno extrêmement forte qui pousse tous les clients au silence le temps de leurs achats. Dehors, juste en face, une boutique vous propose d'enfiler un costume pour prendre une photo de vous dans une tenue plus ou moins victorienne, façon gangster ou magnat, à vous de choisir. Mais rien ne peut rendre l'éclectisme du lieu, ni le labyrinthe qu'il représente la première fois qu'on y met les pieds. Il faudrait imaginer un faubourg de galeux et de prostituées à bord d'un vaisseau à la croisée des mondes et des époques.



Je ne me suis résignée à partir que quand autour de moi les boutiques ont fermé une à une. J'ai alors pris le premier car qui passait sans trop savoir où il allait me mener, et je suis montée sans manière au premier étage du bus pour regarder par la fenêtre, le bâtiment invraisemblable, le quartier tarabiscoté qui portait en son ventre le Camden Locke.



Il s'est trouvé que le bus que j'ai pris m'a mené tout droit à Notting Hill, clôturant parfaitement ces deux jours fériés en me renvoyant au début du chemin, puisque Pâques est une fête sous le signe du retour (et du chocolat, que j'attends toujours).

dimanche 31 mars 2013

30 mars 2013 : Londres vol. 4

J'avais rendez-vous dans un salon de thé avec une ancienne camarade de classe que je n'avais pas vu depuis des années et avec qui en toute sincérité je n'avais pas beaucoup discuté déjà à l'époque.
Mais elle est Londonienne par son père, et est aujourd'hui institutrice à Londres, en vacances pour être exact, ce qui explique par ailleurs les innombrables marmots qui se baladent dans les rues… Et font la queue pour les musées. Donc, en l'honneur d'un passé commun, d'une amie commune et des quelques heures que nous avions de libre toutes les deux dans la même ville, nous nous sommes retrouvées, puis appréciées.



Mon amie rit beaucoup, ce qui a épicé cette soirée déjà mémorable du fait que j'ai assisté pour la première fois à un spectacle burlesque. C'était dans la cave d'un club bondé du nom du Troubadour, entre deux excellents groupes de rock. Tout en me penchant exagérément au dessus d'une personne assise pour percevoir un peu plus du tiers de ce qui se passait sur scène, j'ai eu tout d'un coup la révélation que j'avais voyagé dans le temps. Des hipsters Made in England jouaient des coudes avec de véritables “chaps”, de jeunes hommes chics en complet-veston auxquels ne manquaient plus que la pipe ou la canne. Les femmes étaient belles encore une fois. Il y avait des Jessica Rabbit, des dactylographes, des Jacky Kennedy et ainsi de suite, rivalisant chacune de coiffures compliquées, de rouges à lèvres assumés et de vêtements raffinés. Justement le jour où je portais un jean et un pull, pas de maquillage et les cheveux tirés en arrière…
Le spectacle était tout ce que j'en attendais : de jeunes filles en chair et rétro dansaient, chantaient et s'amusaient sur des airs des trente glorieuses, utilisants ballons, plumes et hommes pour accessoires. Un moment drôle et plaisant, à laquelle la pinte de bière anglaise que je venais de boire prêtait son sépia, sa nostalgie ambrée.



En prenant le métro pour rentrer on avait le sourire aux lèvres, les yeux encore tournés vers la cave dans laquelle le passé continuait son cours, incessamment présent.

samedi 30 mars 2013

29 mars 2013 : Londres vol. 3

Yay! Baby train !



C'est un joli gamin qui s'est écrié ça en s'écrasant sur la petite vitrine d'un train miniature au Science Museum. Ce qui se traduirait littéralement par “Ouais ! Un bébé-train !”
Je vous invite donc à bord de ce bébé-train pour visiter ma bébé-journée, une journée sans envergure, mais sans façons, qui n'en provoque pas moins l'enthousiasme. Pour ceux qui savent regarder.



On est neuf dans ma chambre, et j'étais résolue à faire une grasse mat´, c'est-à-dire à être la dernière levée. J'étais dehors à moins de neuf heures, donc, à me demander depuis quand les adolescents étaient devenus matinaux.
Je me rendais donc tranquillement au Musée d'Histoire Naturelle, quand je suis passée à côté d'une gigantesque file d'attente. J'ai dit gigantesque ? Oubliez : faramineuse. Je me demandais s'ils attendaient l'ouverture des portes d'une librairie pour acheter dès sa sortie un nouvel Harry Potter dont on ne m'aurait pas parlé. Ou si, ayant ressuscité John Lennon et George Harrisson, les Beatles s'apprêtaient à donner un nouveau concert. Il s'est avéré que la file était justement pour le Musée d'Histoire Naturelle. Donc, je récapitule : les adolescents se lèvent aux aurores et les gens se rendent en masse le vendredi, hors des vacances, au musée, pour voir des choses empaillées. Quelqu'un m'aurait-il envoyé sur Mars ?
Décidément mal réveillée j'ai passé mon chemin pour entrer au Science Museum. Trois petits bonhommes sur le Guide du Routard, c'est trois T noir sur Télérama, et pourtant : pas le début d'une file d'attente. Je rentre en me frayant un passage entre les gamins surexcités (quelqu'un a donc désinventé l'école ?), j'admire les gigantesques machines à vapeur, un gosse s'écrie “yay! A baby train!” et je continue ma route : des fusées, de folles inventions, ce que je croyais être des machines à tisser et qui s'avéraient servir à connecter les fils de téléphones dans les centres de redistribution, un repas composé d'un hamburger végétarien dégueulasse (oui, vous aussi vous trouvez que le temps passe vite ?), une rétrospective d'un mec qui est probablement le véritable inventeur de l'eau tiède (watt, donc), une large section sur la douleur (avec des interviews, dont celle d'un jeune homme qui ne peut pas ressentir la douleur et qui disait avoir passé son enfance à se frapper la tête contre les murs car il aimait la sensation de chatouille que ça lui faisait, jusqu'à ce que sa mère l'équipe d'un casque pour éviter que, je cite “il ne se fracasse le crâne”… Je doute que ça n'ait donné que de bonnes idées aux gamins du coin), une expo sur l'ADN, un stand où l'on peut apprendre que le cerveau humain est plus gros que celui d'un singe, et vachement plus gros que celui d'un rat (preuve à l'appui dans du formol)… Je dois dire que je m'ennuyais pas mal. J'ai fait un test “êtes-vous garçon ou fille ?” qui m'a révélé que j'étais une fille, parce que j'avais une bonne mémoire visuelle mais que je n'arrivais carrément pas à visualiser les objets en 3D. Forte de cette certitude j'ai continué à balader mes jupons, mais rien n'était passionnant, fantastique, merveilleux, renversant. Je regrettais l'exploratorium de San Francisco, il faut dire que j'avais placé la barre haut. Et puis j'ai commencé à avoir la bizarre envie de voir la lumière du jour, qui ne perce pas dans le musée. Ma matinée était passée comme une nuit, et j'avais envie qu'on me rende mes heures de soleil. Je me suis pressée dehors, immédiatement soulagée par l'air glacial.



Puisque c'est ça, je vais faire du shopping !



D'abord, je suis allée chez Hatchard´s, vieille librairie qui sent le bois et le papier, où je me suis achetée le Rebecca de Daphné du Maurier (je n'essaierai pas d'imaginer ce que j'aurais pu en faire si Hitchcock n'était pas passé par là) et une version signée de “More than you can say”. Je n'ai aucune idée de ce que c'est, mais c'était signé par l'auteur, acclamé par les journaux, et peu cher.
Je suis passée chez Fortnum and Mason, aussi nonchalante que possible dans le magasin chic et cher où un oeuf en chocolat coûte 15€. Tout y était snob. Même les cravates me regardaient d'un mauvais oeil, et pourtant, quand on est jaune poussin, on se la ramène pas. Pareil pour les porte-chaussettes ou les pantoufles brodées. Une bourgeoise italienne admirait un teckel en cuir -et j'avais quelques idées de ce qu'elle pouvait faire d'un teckel en cuir- et le vendeur lui a demandé d'un air malicieux si elle avait déjà trouvé des noms mignons à donner au petit animal raide. Là aussi, j'avais des idées.
Mais j'avais aussi mal aux pieds… je suis partie.



Puisque c'est comme ça, je veux du thé !



Tous les clients parlaient français, un sur deux avait un guide du routard sous le bras, et deux des gérants s'engueulaient au milieu des feuilles de thé sans élever la voix. Ils s'engueulaient en se disant des choses gentilles. Il disait “je suis vraiment désolé mais machine est malade et je ne peux pas être là demain, tu comprends bien.” Elle disait “je comprends bien, oui”. Il disait “tu es la seule qui puisse…”. Elle disait “eh bien alors je serai là demain.” Il disait “si ça doit te faire plaisir à ce point…”. Elle disait “mais bien sûr que ça me fait plaisir, tu penses bien que je n'avais pas travaillé assez cette semaine” et puis il disait “tiens, un cadeau pour toi” et lui laissait dans les bras un carton d'étiquettes à déposer sur les produits.
Je me suis dit que les gens étaient des artistes quand ils parlaient.



À Covent Garden, une femme chantait des airs d'opéra. Ça emplissait toute la verrière et parfois je me demandais si la voix ne venait pas d'ailleurs, d'un lieu plus profond, plus large, plus lisse et rond que la poitrine de cette femme. À côté de son panier où les gens jetaient des pièces de monnaie il y avait écrit “c'est moins cher que l'opéra”. De fait je voyais des rideaux rouges se plisser lourdement à ses côtés, et des luminaires de fin cristal scintiller au rythme des applaudissements.



Je n'ai pas résisté à entrer dans une boutique de luxe sous le prétexte que la vitrine indiquait que c'était les soldes. J'y ai essayé un manteau -et vraiment je ne sais pas pourquoi je me retrouve toujours à essayer des manteaux, je dois avoir pour les manteaux ce que les femmes sont réputées avoir pour les chaussures- …magnifique, donc, le manteau. De fait, il était en solde. L'inconvénient d'un manteau à 350£, c'est que malgré un cassage des prix évident il ne rentre toujours pas dans un budget raisonnable. Je faisais le calcul dans ma tête : 150£, ça fait dans les 200€… je préférais quand c'était en dollar! La cravate jaune de tout à l'heure me servait toujours en mémoire son sourire narquois. J'ai fini par reposer le manteau sur son cintre, rejeter ma fière cape new-yorkaise sur mon épaule (car je ne ment pas à propos des manteaux), et quitter le magasin comme un prince. Ce qui m'a pris une demi-heure. J'ai appris au Science Museum qu'il y a une phobie, appelée decidophobia (ce n'est même pas une blague) qui est la peur incontrôlable de devoir faire des choix. -insérer ici le rire sardonique d'une cravate de luxe-



Puisque c'est comme ça, je vais manger !



Je suis actuellement dans un restaurant italien du nom de The Jam qui, comme son nom ne l'indique pas, a des goûts en musique plutôt médiocre. Mais ça vaut bien le sacrifice auditif : les tables y sont joliment… Superposées. Pourquoi acheter de l'espace quand on peut mettre les tables les unes par dessus les autres et y accéder par des échelles? Il suffit ensuite de servir des repas de qualité et on attirera tous les français qui ont lu le Guide du Routard (et les autres). Bien joué en cas, bien enjoué tout ça ; et je clos par un bébé resto, tout petit dehors et tout grand dedans, une bébé-journée que quelqu'un d'autre regarde peut-être le nez collé à la vitre. Yay!

vendredi 29 mars 2013

29 mars 2013 : Londres vol. 2

Patchwork d'une journée



Victoria and Albert’s Museum : exposition David Bowie.
J'aurais aimé découvrir cette exposition dans mes années collège. Il serait devenu pour moi une sorte d'idole hybride, mi-homme mi-femme, mi-bête mi-être. J'aurais pris conscience de mon droit à exister non pas au travers de mon milieu, de ce que la mode ou la loi du plus fort nous autorise à être (particulièrement à cet âge-là), mais au travers de ma culture, de ma volonté. J'aurais appris que je ne suis pas ce que je veux, et de fait que je ne suis pas coupable de ce que je suis, car je suis simplement la somme de mes goûts, de mes sentiments, de ma volonté, de mes propres restrictions. Et que mon choix réside dans la façon dont je vais utiliser ma palette -ma voix, mon corps, mon genre, mes mouvements, mes vêtements, ma tenue- pour dire ce que je suis.
Aussi aujourd'hui j'y trouve une ode à l'individualisme, à la consommation, à la superficialité. Ce sont des mots bannis, peut-être depuis toujours : les mots qu'on prête aux requins. Mais pour moi individualisme, consommation, superficialité, cela signifie le droit d'être soi devant le monde et de se remplacer éternellement par un soi plus neuf et plus soi encore que le précédent. Cela signifie encore se manifester non pas dans la rébellion, mais dans la simplicité de s'autoriser à être. L'individualisme, la consommation, la superficialité, c'est notre droit à l'étrangeté.



Au repas toute seule à une table. Une vieille japonaise s'installe à côté de moi et prend des photos de son repas : un thé vert, un gâteau au chocolat et un brownie. Je me demande si elle les a pris pour les manger. À la sixième photos je réalise que peintures, costumes et objets de ce musée n'ont sans doute pas eu droit à tant de portraits de sa part. Vient s'installer une famille. Elle reconnait au premier coup d'oeil qu'ils sont eux-même japonais, moi il me faut plus de temps pour passer en revue leurs traits. Elle demande au père de la prendre en photo. Ils parlent. Vous venez d'où?… Et vous?… Nous on est là car notre fils est pris dans une école à Londres (lequel est vêtu d'un costume d'écolier anglais). Oh! Félicitations! -Merci madame (le petit aimerait bien qu'on le laisse manger son gâteau tranquille). Et moi je suis…. Là j'ai arrêté de suivre. C'est donc après cinq minutes de conversation que je me suis rappelée que je ne comprenais pas le japonais. Pas un seul mot. J'ai réalisé que vraiment à l'heure de la mondialisation il n'y a pas grand chose qui nous différencie, et si nos langues sont différentes notre langage, lui, est le même.



Exposition d'artefacts japonais. «Nous vous invitons à toucher cette statue de la tête de Bouddha». Il ne s'agissait pas de la large tête ronde du bouddha rieur dont on devrait frotter le ventre, mais la tête fine, c'est-à-dire féminine, d'un Dieu de douceur. Et en touchant son visage on a l'impression de caresser le visage d'une femme. J'en étais presque gênée.



Expositions en tous genres : le V&A, c'est une sorte de musée chéri. Je n'y découvrirai pas les artistes à citer pour briller dans les repas, pas de Bacon ou de Picasso, peu de peinture, mais j'ai une admiration profonde pour ces costumes, ces artefacts, ces sculptures. C'est un musée en trois dimensions. Le musée des magiciens et des hommes qui font le show depuis des siècles sur tous le continent. Des hommes qui se montrent par leur mobilier, leurs costumes et leurs arts. Des cultures qui se prouvent chacune plus grande que les autres. De grandes choses dans de petits objets.



Je me suis retrouvée je ne sais comment tout près de la City, dans un quartier incompréhensible, où les buildings de bureaux et le célèbre Canary Wharf surplombent des immeubles d'un autre siècle, que j'aurais cru sortis des coins huppés de Brooklyn. Parce que c'était le soir, les filles en haut talons et mini-jupes, qui auraient paru vulgaires si elles n'étaient pas couvertes de robes à 1000£, faisaient la queue devant les boîtes huppées en attendant le chaland en costard. Parce que c'était le soir, les rues étaient orangées, et je me sentais bien malgré le froid. Les filles les plus sophistiquées avaient ce style rétro jusque dans leur coiffure et leur maquillage, et elles étaient particulièrement belles. Elles venaient de se décoller de mes posters de pin-ups, de mes rêves de femme forte des années 50, et passaient devant moi sans me regarder comme je l'attendrais des femmes que j'admire. C'est cette phrase de Woody Allen, à moins que ce ne soit Groucho Marx : je ne voudrais pas faire partie d'un club qui accepterait des gens comme moi comme membre. Bref, il y avait de la beauté, de l'élégance près de Liverpool Street. J'ai fumé ma première cigarette en 9 mois, pour le style parce que c'est la meilleure raison que j'ai jamais eu de fumer. Et je me suis ré-engouffrée dans le métro. Une partie de moi aurait aimé que ce soit ma place, mais ce n'était pas la cas. Pas encore.



Le soir c'est concert acoustique du côté de mon auberge, laquelle est à l'origine un pub. Une dame m'accoste, on discute un peu, elle a la coiffure de quelqu'un qui fait attention à son style, et l'air avenant et légèrement impatient de quelqu'un qui se sent seul. J'ai toujours beaucoup attiré ce genre de personnages, sans doute du fait de la tendresse que je leur porte. Au bout de sa troisième pinte (à la fin de ma première j'avais déjà les joues rouges et le sourire hagard) elle me dit fièrement que cela fait trente ans qu'elle vient dans ce bar. Sa façon de tenir l'alcool et son habitude du lieu font certainement d'elle une alcoolique, et pourtant au premier abord je lui aurais tout juste donné les trente ans qu'elle disait avoir passé dans ce pub. Au fur et à mesure de la soirée je me suis ravisée sur son âge, mais j'ai quand même été soufflée quand elle m'a assuré avoir quarante-sept ans. DJ à la retraite (ça ne s'invente pas, oui mesdames et messieurs nous arrivons déjà à l'époque où les DJs prennent leur retraite), pilier de bar toujours en service, elle s'essaie à deux-trois mots de français tout en croquant dans une pizza, ma pizza (que de toutes façons je n'ai pas terminée, même avec son aide). Elle m'offre une bière, que je refuse 5 fois, puis que j'accepte, sans trop savoir pourquoi. À peine mon verre à la main un homme d'une quarantaine d'années m'accoste, en espérant m'offrir un verre. Ce n'est qu'au regard du comportement de cet homme que j'ai fini par supposer que la DJ était sans doute lesbienne. Je la devinais déjà en manque d'amour, cela prenait un nouveau sens. Il me parlait donc sympathiquement de voyages et de carrière, me proposant, si je voulais, un job de caissière dans le grand supermarché du quartier ; et dès qu'il avait le dos tourné la jeune vieille DJ se penchait vers moi pour me prévenir “fais attention, Marie, hein, fais attention” d'un air grave et concerné. Il m'est venu à l'esprit qu'il y avait plus de danger à décevoir une folle alcoolique qu'un quarantenaire fêtard qui tente sa chance. J'ai gardé tout ça pour moi, car le litre de bière a eu raison de ma vessie, et je les ai abandonnés tous deux pour explorer le fond de mon lit. Chacun est reparti content, elle avec l'assurance que je descendrai quelques minutes demain voir comment elle se débrouille pour la soirée karaoké, lui m'ayant donné un numéro de téléphone que je n'utiliserai pas, et moi me disant que c'est chouette d'avoir 25 ans : on ne gâche pas totalement les pizzas, on boit à l'oeil et on entraîne son anglais sur des accents compliqués.



Mais, sérieusement : soirée karaoké ?!

mardi 26 mars 2013

26 mars 2013 : Londres, vol 1

Je suis incapable, toujours, de comprendre ce qui me rend Paris si désagréable, si oppressante quels que soient les quartiers dans lesquels je me rends. De comprendre ce qui, dans une ville somme toute élégante et vivante, me donne envie de m'enterrer dans un terrier en suppliant les gens d'arrêter de me regarder comme si je leur avais volé leur espace.
La question se pose d'autant plus que j'ai adoré mes quelques mois à New York, tout comme j'apprécie mes déambulations dans la magnifique ville de Londres.



Pourtant, mes premiers pas ici sont difficiles -mais est-ce que ce n'est pas toujours le cas ? : toute seule, comme cela devient mon habitude, dans une gigantesque ville anglo-saxonne. La peur et l'excitation valsent compulsivement dans ma poitrine depuis plusieurs jours, et je les regarde s'emmêler, impuissante.
Il y a toujours cette langue anglaise que je réapprends à manier. Bien sûr elle m'est familière, mais il y a toujours cette inquiétude, cette vexation de ne pas se faire comprendre… J'essaie d'ailleurs de me familiariser avec ses différents accents.
Parfois il me semble que les New Yorkais et les Londoniens ne parlent pas la même langue. Ils parlent deux langues différentes que j'ai la chance de comprendre toutes deux ; car comment se peut-il que la langue anglaise, colorée de milles intonations qui en disent souvent plus que la phrase elle-même, ait la même origine que l'américain, une langue factuelle qui dit ce qu'elle doit dire le plus simplement, le plus directement possible, le tout agrémenté de quelques “Oh my god” qui expriment toutes les émotions du panel : oh my god c'est beau, oh my god c'est triste, oh my god je suis excitée, oh my god je suis fatiguée, et mon préféré, oh-my-god-oh-my-god-oh-my-god : le résultat criant (littéralement) des ébats amoureux d'un de mes colocataires de Brooklyn.



J'étais donc un peu inquiète, sorte d'aventurière rouillée de la langue et des pieds. Et puis Londres. Sans pluie, sans bruine, car pour moi elle avait réservé un mauvais tour original : le froid. Et pas un simple froid trompeur de printemps, quand les soirs se rafraichissent. Non, non, de la neige, des gens engoncés dans leurs manteaux, leurs bonnets, leurs écharpes. Le froid dont les inconnus parlent entre eux dans la rue, dans les taxis, les boutiques et les restaurants. “Oh? Vous êtes à Londres pour combien de temps? Oh, vous n'avez pas de chance, je n'ai jamais connu un froid pareil à cette période de l'année. Pour un peu il va falloir que je convainque mes gamins que le Père Noêl n'a pas l'intention de passer une deuxième fois cette année.”. Ce froid-là, donc.



Ce matin j'étais dans la file d'attente pour visiter la maison de Sherlock Holmes… pas besoin de souligner l'absurdité de visiter la maison d'un homme qui n'a jamais existé, car j'étais malgré tout très contente de mettre les pieds au 221b, Baker Street. SAUF QUE.
Sauf que je n'étais pas la seule à être contente, loin de là, et que la maison est toute petite, tout en longueur, et l'organisation déplorable. Aussi une fois que j'avais acheté mon billet, je me suis retrouvée pendant plus d'une heure dans la rue, à attendre tandis que groupes et scolaires profitaient de leur rageante priorité. J'aurais tiqué sur la petite élève de 12 ans en burka (elles étaient pour la plupart voilées, soit, c'était sans doute une école confessionnelle, mais la Burka à 12 ou 13 ans…), mais en réalité je n'arrivais plus bien à penser à autre chose qu'au froid. Je ne sentais plus rien. Ni mes mains cachées sous ma cape, ni mes pieds, ni le bout de mon nez. Ce qui est terrible avec le froid, comme avec la faim, c'est qu'on oublie quand la sensation est passée à quel point la douleur, l'énervement, l'impuissance était prégnante. Elle occupe toutes nos pensées quand elle est là, puis s'évapore en vagues souvenirs sans force ni pouvoir.
Quand j'ai pu pénétrer dans la maison je me suis rendue compte que mes cuisses étaient congelées, rigides. Elles me faisaient mal quand je les pliais, montais les marches ou m'asseyais dans un fauteuil (celui de Sherlock Holmes himself, nb). C'était donc le genre de torture avec lequel Londres souhaitait m'accueillir. Je n'ai pas pu rester longtemps dans la maison (qui était glaciale, à ma triste surprise) et je me suis précipitée dans l'auberge de jeunesse, où j'ai enfilé collants, leg warmers et jean, un pull sous mon pull et les gants que j'avais oublié… J'y ai attendu quelques minutes que mes membres redonnent signe de vie.



Et puis, usage de mes membres et sang chaud retrouvés, je suis ressortie. Après une visite de Harrod´s, immense boutique de luxe de style art nouveau qui vaut le coup d'oeil (puisque le guide du routard vous le dit, voyons!), je suis enfin allée déjeuner dans un de ces delis végétariens bio ultra posh sur fond de jazz. Un petit coin où il ferait bon vivre, Gloucester Road.



Parce que les gens parlent anglais je m'attendrais presque à tout moment à ce qu'ils se comportent de façon excessive, enfantine, capricieuse. Mais non, les anglais ont la retenue des vieux peuples, qui s'allie si bien avec leurs traditionnelles tasses de thé. Paris est colonialiste, ambitieuse, elle veut plus qu'elle n'a et n'aime pas être contrariée. C'est une bourgeoise de caractère. Londres est plus discrète, plus ronde, insulaire, indépendante. Laisse-la vivre et elle te laissera vivre, parle-lui et elle te parlera.
Que se passera-t-il, alors, si tu lui glisses un mot d'amour?

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Aujourd'hui j'ai vu le vent danser. La littérature ne s'en lasse pas : les feuilles qui dansent sur les arbres, les fichus sur l...