dimanche 31 mars 2013

30 mars 2013 : Londres vol. 4

J'avais rendez-vous dans un salon de thé avec une ancienne camarade de classe que je n'avais pas vu depuis des années et avec qui en toute sincérité je n'avais pas beaucoup discuté déjà à l'époque.
Mais elle est Londonienne par son père, et est aujourd'hui institutrice à Londres, en vacances pour être exact, ce qui explique par ailleurs les innombrables marmots qui se baladent dans les rues… Et font la queue pour les musées. Donc, en l'honneur d'un passé commun, d'une amie commune et des quelques heures que nous avions de libre toutes les deux dans la même ville, nous nous sommes retrouvées, puis appréciées.



Mon amie rit beaucoup, ce qui a épicé cette soirée déjà mémorable du fait que j'ai assisté pour la première fois à un spectacle burlesque. C'était dans la cave d'un club bondé du nom du Troubadour, entre deux excellents groupes de rock. Tout en me penchant exagérément au dessus d'une personne assise pour percevoir un peu plus du tiers de ce qui se passait sur scène, j'ai eu tout d'un coup la révélation que j'avais voyagé dans le temps. Des hipsters Made in England jouaient des coudes avec de véritables “chaps”, de jeunes hommes chics en complet-veston auxquels ne manquaient plus que la pipe ou la canne. Les femmes étaient belles encore une fois. Il y avait des Jessica Rabbit, des dactylographes, des Jacky Kennedy et ainsi de suite, rivalisant chacune de coiffures compliquées, de rouges à lèvres assumés et de vêtements raffinés. Justement le jour où je portais un jean et un pull, pas de maquillage et les cheveux tirés en arrière…
Le spectacle était tout ce que j'en attendais : de jeunes filles en chair et rétro dansaient, chantaient et s'amusaient sur des airs des trente glorieuses, utilisants ballons, plumes et hommes pour accessoires. Un moment drôle et plaisant, à laquelle la pinte de bière anglaise que je venais de boire prêtait son sépia, sa nostalgie ambrée.



En prenant le métro pour rentrer on avait le sourire aux lèvres, les yeux encore tournés vers la cave dans laquelle le passé continuait son cours, incessamment présent.

samedi 30 mars 2013

29 mars 2013 : Londres vol. 3

Yay! Baby train !



C'est un joli gamin qui s'est écrié ça en s'écrasant sur la petite vitrine d'un train miniature au Science Museum. Ce qui se traduirait littéralement par “Ouais ! Un bébé-train !”
Je vous invite donc à bord de ce bébé-train pour visiter ma bébé-journée, une journée sans envergure, mais sans façons, qui n'en provoque pas moins l'enthousiasme. Pour ceux qui savent regarder.



On est neuf dans ma chambre, et j'étais résolue à faire une grasse mat´, c'est-à-dire à être la dernière levée. J'étais dehors à moins de neuf heures, donc, à me demander depuis quand les adolescents étaient devenus matinaux.
Je me rendais donc tranquillement au Musée d'Histoire Naturelle, quand je suis passée à côté d'une gigantesque file d'attente. J'ai dit gigantesque ? Oubliez : faramineuse. Je me demandais s'ils attendaient l'ouverture des portes d'une librairie pour acheter dès sa sortie un nouvel Harry Potter dont on ne m'aurait pas parlé. Ou si, ayant ressuscité John Lennon et George Harrisson, les Beatles s'apprêtaient à donner un nouveau concert. Il s'est avéré que la file était justement pour le Musée d'Histoire Naturelle. Donc, je récapitule : les adolescents se lèvent aux aurores et les gens se rendent en masse le vendredi, hors des vacances, au musée, pour voir des choses empaillées. Quelqu'un m'aurait-il envoyé sur Mars ?
Décidément mal réveillée j'ai passé mon chemin pour entrer au Science Museum. Trois petits bonhommes sur le Guide du Routard, c'est trois T noir sur Télérama, et pourtant : pas le début d'une file d'attente. Je rentre en me frayant un passage entre les gamins surexcités (quelqu'un a donc désinventé l'école ?), j'admire les gigantesques machines à vapeur, un gosse s'écrie “yay! A baby train!” et je continue ma route : des fusées, de folles inventions, ce que je croyais être des machines à tisser et qui s'avéraient servir à connecter les fils de téléphones dans les centres de redistribution, un repas composé d'un hamburger végétarien dégueulasse (oui, vous aussi vous trouvez que le temps passe vite ?), une rétrospective d'un mec qui est probablement le véritable inventeur de l'eau tiède (watt, donc), une large section sur la douleur (avec des interviews, dont celle d'un jeune homme qui ne peut pas ressentir la douleur et qui disait avoir passé son enfance à se frapper la tête contre les murs car il aimait la sensation de chatouille que ça lui faisait, jusqu'à ce que sa mère l'équipe d'un casque pour éviter que, je cite “il ne se fracasse le crâne”… Je doute que ça n'ait donné que de bonnes idées aux gamins du coin), une expo sur l'ADN, un stand où l'on peut apprendre que le cerveau humain est plus gros que celui d'un singe, et vachement plus gros que celui d'un rat (preuve à l'appui dans du formol)… Je dois dire que je m'ennuyais pas mal. J'ai fait un test “êtes-vous garçon ou fille ?” qui m'a révélé que j'étais une fille, parce que j'avais une bonne mémoire visuelle mais que je n'arrivais carrément pas à visualiser les objets en 3D. Forte de cette certitude j'ai continué à balader mes jupons, mais rien n'était passionnant, fantastique, merveilleux, renversant. Je regrettais l'exploratorium de San Francisco, il faut dire que j'avais placé la barre haut. Et puis j'ai commencé à avoir la bizarre envie de voir la lumière du jour, qui ne perce pas dans le musée. Ma matinée était passée comme une nuit, et j'avais envie qu'on me rende mes heures de soleil. Je me suis pressée dehors, immédiatement soulagée par l'air glacial.



Puisque c'est ça, je vais faire du shopping !



D'abord, je suis allée chez Hatchard´s, vieille librairie qui sent le bois et le papier, où je me suis achetée le Rebecca de Daphné du Maurier (je n'essaierai pas d'imaginer ce que j'aurais pu en faire si Hitchcock n'était pas passé par là) et une version signée de “More than you can say”. Je n'ai aucune idée de ce que c'est, mais c'était signé par l'auteur, acclamé par les journaux, et peu cher.
Je suis passée chez Fortnum and Mason, aussi nonchalante que possible dans le magasin chic et cher où un oeuf en chocolat coûte 15€. Tout y était snob. Même les cravates me regardaient d'un mauvais oeil, et pourtant, quand on est jaune poussin, on se la ramène pas. Pareil pour les porte-chaussettes ou les pantoufles brodées. Une bourgeoise italienne admirait un teckel en cuir -et j'avais quelques idées de ce qu'elle pouvait faire d'un teckel en cuir- et le vendeur lui a demandé d'un air malicieux si elle avait déjà trouvé des noms mignons à donner au petit animal raide. Là aussi, j'avais des idées.
Mais j'avais aussi mal aux pieds… je suis partie.



Puisque c'est comme ça, je veux du thé !



Tous les clients parlaient français, un sur deux avait un guide du routard sous le bras, et deux des gérants s'engueulaient au milieu des feuilles de thé sans élever la voix. Ils s'engueulaient en se disant des choses gentilles. Il disait “je suis vraiment désolé mais machine est malade et je ne peux pas être là demain, tu comprends bien.” Elle disait “je comprends bien, oui”. Il disait “tu es la seule qui puisse…”. Elle disait “eh bien alors je serai là demain.” Il disait “si ça doit te faire plaisir à ce point…”. Elle disait “mais bien sûr que ça me fait plaisir, tu penses bien que je n'avais pas travaillé assez cette semaine” et puis il disait “tiens, un cadeau pour toi” et lui laissait dans les bras un carton d'étiquettes à déposer sur les produits.
Je me suis dit que les gens étaient des artistes quand ils parlaient.



À Covent Garden, une femme chantait des airs d'opéra. Ça emplissait toute la verrière et parfois je me demandais si la voix ne venait pas d'ailleurs, d'un lieu plus profond, plus large, plus lisse et rond que la poitrine de cette femme. À côté de son panier où les gens jetaient des pièces de monnaie il y avait écrit “c'est moins cher que l'opéra”. De fait je voyais des rideaux rouges se plisser lourdement à ses côtés, et des luminaires de fin cristal scintiller au rythme des applaudissements.



Je n'ai pas résisté à entrer dans une boutique de luxe sous le prétexte que la vitrine indiquait que c'était les soldes. J'y ai essayé un manteau -et vraiment je ne sais pas pourquoi je me retrouve toujours à essayer des manteaux, je dois avoir pour les manteaux ce que les femmes sont réputées avoir pour les chaussures- …magnifique, donc, le manteau. De fait, il était en solde. L'inconvénient d'un manteau à 350£, c'est que malgré un cassage des prix évident il ne rentre toujours pas dans un budget raisonnable. Je faisais le calcul dans ma tête : 150£, ça fait dans les 200€… je préférais quand c'était en dollar! La cravate jaune de tout à l'heure me servait toujours en mémoire son sourire narquois. J'ai fini par reposer le manteau sur son cintre, rejeter ma fière cape new-yorkaise sur mon épaule (car je ne ment pas à propos des manteaux), et quitter le magasin comme un prince. Ce qui m'a pris une demi-heure. J'ai appris au Science Museum qu'il y a une phobie, appelée decidophobia (ce n'est même pas une blague) qui est la peur incontrôlable de devoir faire des choix. -insérer ici le rire sardonique d'une cravate de luxe-



Puisque c'est comme ça, je vais manger !



Je suis actuellement dans un restaurant italien du nom de The Jam qui, comme son nom ne l'indique pas, a des goûts en musique plutôt médiocre. Mais ça vaut bien le sacrifice auditif : les tables y sont joliment… Superposées. Pourquoi acheter de l'espace quand on peut mettre les tables les unes par dessus les autres et y accéder par des échelles? Il suffit ensuite de servir des repas de qualité et on attirera tous les français qui ont lu le Guide du Routard (et les autres). Bien joué en cas, bien enjoué tout ça ; et je clos par un bébé resto, tout petit dehors et tout grand dedans, une bébé-journée que quelqu'un d'autre regarde peut-être le nez collé à la vitre. Yay!

vendredi 29 mars 2013

29 mars 2013 : Londres vol. 2

Patchwork d'une journée



Victoria and Albert’s Museum : exposition David Bowie.
J'aurais aimé découvrir cette exposition dans mes années collège. Il serait devenu pour moi une sorte d'idole hybride, mi-homme mi-femme, mi-bête mi-être. J'aurais pris conscience de mon droit à exister non pas au travers de mon milieu, de ce que la mode ou la loi du plus fort nous autorise à être (particulièrement à cet âge-là), mais au travers de ma culture, de ma volonté. J'aurais appris que je ne suis pas ce que je veux, et de fait que je ne suis pas coupable de ce que je suis, car je suis simplement la somme de mes goûts, de mes sentiments, de ma volonté, de mes propres restrictions. Et que mon choix réside dans la façon dont je vais utiliser ma palette -ma voix, mon corps, mon genre, mes mouvements, mes vêtements, ma tenue- pour dire ce que je suis.
Aussi aujourd'hui j'y trouve une ode à l'individualisme, à la consommation, à la superficialité. Ce sont des mots bannis, peut-être depuis toujours : les mots qu'on prête aux requins. Mais pour moi individualisme, consommation, superficialité, cela signifie le droit d'être soi devant le monde et de se remplacer éternellement par un soi plus neuf et plus soi encore que le précédent. Cela signifie encore se manifester non pas dans la rébellion, mais dans la simplicité de s'autoriser à être. L'individualisme, la consommation, la superficialité, c'est notre droit à l'étrangeté.



Au repas toute seule à une table. Une vieille japonaise s'installe à côté de moi et prend des photos de son repas : un thé vert, un gâteau au chocolat et un brownie. Je me demande si elle les a pris pour les manger. À la sixième photos je réalise que peintures, costumes et objets de ce musée n'ont sans doute pas eu droit à tant de portraits de sa part. Vient s'installer une famille. Elle reconnait au premier coup d'oeil qu'ils sont eux-même japonais, moi il me faut plus de temps pour passer en revue leurs traits. Elle demande au père de la prendre en photo. Ils parlent. Vous venez d'où?… Et vous?… Nous on est là car notre fils est pris dans une école à Londres (lequel est vêtu d'un costume d'écolier anglais). Oh! Félicitations! -Merci madame (le petit aimerait bien qu'on le laisse manger son gâteau tranquille). Et moi je suis…. Là j'ai arrêté de suivre. C'est donc après cinq minutes de conversation que je me suis rappelée que je ne comprenais pas le japonais. Pas un seul mot. J'ai réalisé que vraiment à l'heure de la mondialisation il n'y a pas grand chose qui nous différencie, et si nos langues sont différentes notre langage, lui, est le même.



Exposition d'artefacts japonais. «Nous vous invitons à toucher cette statue de la tête de Bouddha». Il ne s'agissait pas de la large tête ronde du bouddha rieur dont on devrait frotter le ventre, mais la tête fine, c'est-à-dire féminine, d'un Dieu de douceur. Et en touchant son visage on a l'impression de caresser le visage d'une femme. J'en étais presque gênée.



Expositions en tous genres : le V&A, c'est une sorte de musée chéri. Je n'y découvrirai pas les artistes à citer pour briller dans les repas, pas de Bacon ou de Picasso, peu de peinture, mais j'ai une admiration profonde pour ces costumes, ces artefacts, ces sculptures. C'est un musée en trois dimensions. Le musée des magiciens et des hommes qui font le show depuis des siècles sur tous le continent. Des hommes qui se montrent par leur mobilier, leurs costumes et leurs arts. Des cultures qui se prouvent chacune plus grande que les autres. De grandes choses dans de petits objets.



Je me suis retrouvée je ne sais comment tout près de la City, dans un quartier incompréhensible, où les buildings de bureaux et le célèbre Canary Wharf surplombent des immeubles d'un autre siècle, que j'aurais cru sortis des coins huppés de Brooklyn. Parce que c'était le soir, les filles en haut talons et mini-jupes, qui auraient paru vulgaires si elles n'étaient pas couvertes de robes à 1000£, faisaient la queue devant les boîtes huppées en attendant le chaland en costard. Parce que c'était le soir, les rues étaient orangées, et je me sentais bien malgré le froid. Les filles les plus sophistiquées avaient ce style rétro jusque dans leur coiffure et leur maquillage, et elles étaient particulièrement belles. Elles venaient de se décoller de mes posters de pin-ups, de mes rêves de femme forte des années 50, et passaient devant moi sans me regarder comme je l'attendrais des femmes que j'admire. C'est cette phrase de Woody Allen, à moins que ce ne soit Groucho Marx : je ne voudrais pas faire partie d'un club qui accepterait des gens comme moi comme membre. Bref, il y avait de la beauté, de l'élégance près de Liverpool Street. J'ai fumé ma première cigarette en 9 mois, pour le style parce que c'est la meilleure raison que j'ai jamais eu de fumer. Et je me suis ré-engouffrée dans le métro. Une partie de moi aurait aimé que ce soit ma place, mais ce n'était pas la cas. Pas encore.



Le soir c'est concert acoustique du côté de mon auberge, laquelle est à l'origine un pub. Une dame m'accoste, on discute un peu, elle a la coiffure de quelqu'un qui fait attention à son style, et l'air avenant et légèrement impatient de quelqu'un qui se sent seul. J'ai toujours beaucoup attiré ce genre de personnages, sans doute du fait de la tendresse que je leur porte. Au bout de sa troisième pinte (à la fin de ma première j'avais déjà les joues rouges et le sourire hagard) elle me dit fièrement que cela fait trente ans qu'elle vient dans ce bar. Sa façon de tenir l'alcool et son habitude du lieu font certainement d'elle une alcoolique, et pourtant au premier abord je lui aurais tout juste donné les trente ans qu'elle disait avoir passé dans ce pub. Au fur et à mesure de la soirée je me suis ravisée sur son âge, mais j'ai quand même été soufflée quand elle m'a assuré avoir quarante-sept ans. DJ à la retraite (ça ne s'invente pas, oui mesdames et messieurs nous arrivons déjà à l'époque où les DJs prennent leur retraite), pilier de bar toujours en service, elle s'essaie à deux-trois mots de français tout en croquant dans une pizza, ma pizza (que de toutes façons je n'ai pas terminée, même avec son aide). Elle m'offre une bière, que je refuse 5 fois, puis que j'accepte, sans trop savoir pourquoi. À peine mon verre à la main un homme d'une quarantaine d'années m'accoste, en espérant m'offrir un verre. Ce n'est qu'au regard du comportement de cet homme que j'ai fini par supposer que la DJ était sans doute lesbienne. Je la devinais déjà en manque d'amour, cela prenait un nouveau sens. Il me parlait donc sympathiquement de voyages et de carrière, me proposant, si je voulais, un job de caissière dans le grand supermarché du quartier ; et dès qu'il avait le dos tourné la jeune vieille DJ se penchait vers moi pour me prévenir “fais attention, Marie, hein, fais attention” d'un air grave et concerné. Il m'est venu à l'esprit qu'il y avait plus de danger à décevoir une folle alcoolique qu'un quarantenaire fêtard qui tente sa chance. J'ai gardé tout ça pour moi, car le litre de bière a eu raison de ma vessie, et je les ai abandonnés tous deux pour explorer le fond de mon lit. Chacun est reparti content, elle avec l'assurance que je descendrai quelques minutes demain voir comment elle se débrouille pour la soirée karaoké, lui m'ayant donné un numéro de téléphone que je n'utiliserai pas, et moi me disant que c'est chouette d'avoir 25 ans : on ne gâche pas totalement les pizzas, on boit à l'oeil et on entraîne son anglais sur des accents compliqués.



Mais, sérieusement : soirée karaoké ?!

mardi 26 mars 2013

26 mars 2013 : Londres, vol 1

Je suis incapable, toujours, de comprendre ce qui me rend Paris si désagréable, si oppressante quels que soient les quartiers dans lesquels je me rends. De comprendre ce qui, dans une ville somme toute élégante et vivante, me donne envie de m'enterrer dans un terrier en suppliant les gens d'arrêter de me regarder comme si je leur avais volé leur espace.
La question se pose d'autant plus que j'ai adoré mes quelques mois à New York, tout comme j'apprécie mes déambulations dans la magnifique ville de Londres.



Pourtant, mes premiers pas ici sont difficiles -mais est-ce que ce n'est pas toujours le cas ? : toute seule, comme cela devient mon habitude, dans une gigantesque ville anglo-saxonne. La peur et l'excitation valsent compulsivement dans ma poitrine depuis plusieurs jours, et je les regarde s'emmêler, impuissante.
Il y a toujours cette langue anglaise que je réapprends à manier. Bien sûr elle m'est familière, mais il y a toujours cette inquiétude, cette vexation de ne pas se faire comprendre… J'essaie d'ailleurs de me familiariser avec ses différents accents.
Parfois il me semble que les New Yorkais et les Londoniens ne parlent pas la même langue. Ils parlent deux langues différentes que j'ai la chance de comprendre toutes deux ; car comment se peut-il que la langue anglaise, colorée de milles intonations qui en disent souvent plus que la phrase elle-même, ait la même origine que l'américain, une langue factuelle qui dit ce qu'elle doit dire le plus simplement, le plus directement possible, le tout agrémenté de quelques “Oh my god” qui expriment toutes les émotions du panel : oh my god c'est beau, oh my god c'est triste, oh my god je suis excitée, oh my god je suis fatiguée, et mon préféré, oh-my-god-oh-my-god-oh-my-god : le résultat criant (littéralement) des ébats amoureux d'un de mes colocataires de Brooklyn.



J'étais donc un peu inquiète, sorte d'aventurière rouillée de la langue et des pieds. Et puis Londres. Sans pluie, sans bruine, car pour moi elle avait réservé un mauvais tour original : le froid. Et pas un simple froid trompeur de printemps, quand les soirs se rafraichissent. Non, non, de la neige, des gens engoncés dans leurs manteaux, leurs bonnets, leurs écharpes. Le froid dont les inconnus parlent entre eux dans la rue, dans les taxis, les boutiques et les restaurants. “Oh? Vous êtes à Londres pour combien de temps? Oh, vous n'avez pas de chance, je n'ai jamais connu un froid pareil à cette période de l'année. Pour un peu il va falloir que je convainque mes gamins que le Père Noêl n'a pas l'intention de passer une deuxième fois cette année.”. Ce froid-là, donc.



Ce matin j'étais dans la file d'attente pour visiter la maison de Sherlock Holmes… pas besoin de souligner l'absurdité de visiter la maison d'un homme qui n'a jamais existé, car j'étais malgré tout très contente de mettre les pieds au 221b, Baker Street. SAUF QUE.
Sauf que je n'étais pas la seule à être contente, loin de là, et que la maison est toute petite, tout en longueur, et l'organisation déplorable. Aussi une fois que j'avais acheté mon billet, je me suis retrouvée pendant plus d'une heure dans la rue, à attendre tandis que groupes et scolaires profitaient de leur rageante priorité. J'aurais tiqué sur la petite élève de 12 ans en burka (elles étaient pour la plupart voilées, soit, c'était sans doute une école confessionnelle, mais la Burka à 12 ou 13 ans…), mais en réalité je n'arrivais plus bien à penser à autre chose qu'au froid. Je ne sentais plus rien. Ni mes mains cachées sous ma cape, ni mes pieds, ni le bout de mon nez. Ce qui est terrible avec le froid, comme avec la faim, c'est qu'on oublie quand la sensation est passée à quel point la douleur, l'énervement, l'impuissance était prégnante. Elle occupe toutes nos pensées quand elle est là, puis s'évapore en vagues souvenirs sans force ni pouvoir.
Quand j'ai pu pénétrer dans la maison je me suis rendue compte que mes cuisses étaient congelées, rigides. Elles me faisaient mal quand je les pliais, montais les marches ou m'asseyais dans un fauteuil (celui de Sherlock Holmes himself, nb). C'était donc le genre de torture avec lequel Londres souhaitait m'accueillir. Je n'ai pas pu rester longtemps dans la maison (qui était glaciale, à ma triste surprise) et je me suis précipitée dans l'auberge de jeunesse, où j'ai enfilé collants, leg warmers et jean, un pull sous mon pull et les gants que j'avais oublié… J'y ai attendu quelques minutes que mes membres redonnent signe de vie.



Et puis, usage de mes membres et sang chaud retrouvés, je suis ressortie. Après une visite de Harrod´s, immense boutique de luxe de style art nouveau qui vaut le coup d'oeil (puisque le guide du routard vous le dit, voyons!), je suis enfin allée déjeuner dans un de ces delis végétariens bio ultra posh sur fond de jazz. Un petit coin où il ferait bon vivre, Gloucester Road.



Parce que les gens parlent anglais je m'attendrais presque à tout moment à ce qu'ils se comportent de façon excessive, enfantine, capricieuse. Mais non, les anglais ont la retenue des vieux peuples, qui s'allie si bien avec leurs traditionnelles tasses de thé. Paris est colonialiste, ambitieuse, elle veut plus qu'elle n'a et n'aime pas être contrariée. C'est une bourgeoise de caractère. Londres est plus discrète, plus ronde, insulaire, indépendante. Laisse-la vivre et elle te laissera vivre, parle-lui et elle te parlera.
Que se passera-t-il, alors, si tu lui glisses un mot d'amour?

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