lundi 2 juin 2014

1-2 juin 2014 - Montréal 5

Les adieux ont commencé hier, en réalité par glissement. La petite amie américaine d'un des colocataires de cette jolie maison retourne aujourd'hui vivre chez elle quelques mois, le temps de revoir sa famille et mettre un peu d'argent de côté. Son goûter de départ dans le parc, à côté des tams-tams et des acrobates, était un tout petit peu le mien. Le soir, ils l'ont prise dans leurs bras pour lui dire adieu, dans un geste typiquement américain et, à peine plus tard, c'était mon tour. On dit à qui veut l'entendre qu'on viendra se voir : dans le Montana, à Toulouse, à Montréal, à Chicago, à Toronto : quelque part ou ailleurs. Mes amis de Toronto veulent se rendre à New York, ceux de Montréal à Toronto, celle du Montana à Montréal, les Montréalais veulent vivre en France, les Français au Québec, et le monde tourne ainsi jusqu'à ce que le plaisir d'être là, quelque soit ce « là », soit plus fort que le reste.



On réalise un peu la vanité de cet apparent exotisme, mais aussi à quel point on ne peut vivre sans. Mon ami, allongé au soleil sur l'herbe, une bière de micro-brasserie (donc uniquement trouvable au Québec) à la main, attendant avec impatience son tournage du lendemain, s'est tourné vers sa colocataire, sa meilleure amie, pour lui demander avec l'air de s'étonner lui-même : « qu'est-ce qu'on peut bien vouloir de plus ? » Et le soir, au moment du « au-revoir » c'était encore de cela que chacun parlait, de ce que l'on peut vouloir de plus. Il semblerait qu'en France une nouvelle forme d'immigration ait vu le jour, aussi gênée que les autres dans son intégration : celle d'anciens expatriés qui sont retournés vivre en France. Les difficultés d'adaptations sont celles d'hommes et de femmes qui ont parfois eu un grand succès professionnel et personnel à l'étranger et qui n'en trouvent pas l'équivalent en France. L'article qui alimentait notre discussion disait - je ne sais ce que vaut ce chiffre - que 70% des expatriés français sont cadres. Combien de ceux-là ont eu l'occasion de se dire « qu'est-ce que je peux bien vouloir de plus ? » avant de rentrer « chez eux » , sans savoir exactement ce que cela voulait dire ? Mon ami qui n'est là que depuis un an prend l'accent québécois, petit à petit, ponctuant involontairement ses phrases de “lo” et traînant à peine plus ses voyelles. Il dit au-revoir en prenant les gens dans ses bras, l'idée d'aller chez le « Dépanneur » pour acheter de la bière et du beurre ne le fait plus sourire, il demande si le restaurant dans lequel on se rend propose comme la plupart « d'apporter votre vin » qu'il va ensuite acheter dans les SAQ (qui seuls ont une licence pour vendre de l'alcool)… Il ne se sent pas étranger d'un pays qui n'est pas le sien, mais se sent étranger du pays qui l'est.



C'est pourquoi à l'heure des au-revoir, on parle des racines en ne sachant pas bien si elles ont tant d'importance. On devient des melting-pots à nous seuls, des créations hybrides de cultures occidentales : américaines et européennes. Alors que je parlais d'oiseaux avec le père américain de notre jeune amie sur le départ, il voulut savoir où j'avais appris l'anglais. Je lui dis que j'avais vécu six mois à New York, sur quoi il fronça les sourcils d'un air que j'ai d'abord pris pour de la désapprobation. Il m'a alors lancé d'un air incrédule «But then, where is your british accent coming from ? » Mon accent british, pour lui répondre, est tout neuf : il vient des séries que je regarde, des gens que j'admire, des chansons que j'écoute. Je ne doute pas qu'un anglais me trouverait - en plus bien sûr de mon accent français - un accent américain. Si je peux avoir trois pays dans ma langue, combien puis-je en porter dans le reste de ma personne ?

dimanche 1 juin 2014

30-31 mai 2014 - Toronto 5

Je suis de retour à Montréal. Un tout nouveau rhume prend mon souffle et mon énergie, mais je suis heureuse, languissante, fatiguée, allongée sur le canapé après une longue marche jusqu'au belvédère du Mont Royal et un repas très tardif en terrasse d'un restaurant de la jolie rue Saint Denis. Les colocataires sont dispersés à travers la ville, et seuls mes amis sont encore là : alors qu'elle dort, il joue quelques airs sur son tout nouveau piano droit, et le son lisse et ferme accompagne les rayons de soleil au travers des fenêtres. En face de moi, de jeunes feuilles d'un vert vif traversées par la lumière dorée de la fin d'après-midi caressent la fenêtre pour me saluer, et je ferme les paupières en pensant à ma journée d'hier.



Mon jeu de balançoire entre Montréal et Toronto, entre ces deux couples d'amis si différents, les uns tranquilles, bienheureux, installés, les autres aventuriers, inquiets et exigeants me donne parfois l'impression d'être dans un road movie à la façon de “Away we go” : d'un lieu à l'autre, d'un couple à l'autre, ce sont différentes possibilités de ma vie qui se déclinent, de la vie en générale, et je vis la mienne transversalement.



Hier m'en a donné un nouvel aperçu alors que je passais mes dernières heures à Toronto : mes amis là-bas m'avaient souvent parlé avec une fierté chauvine et toutefois sympathique des “Toronto Islands”, de très larges îles sur le lac qui borde la ville. Les traverser de part en part nous a pris toute l'après-midi. J'étais ravie de ces gigantesques parcs par endroits presque sauvages qui font face, de l'autre côté du lac, à Toronto découpée très nettement sur le ciel en créneaux inégaux. Nos pas réveillaient les oiseaux de toutes les couleurs, les écureuils et les canards, me permettant pour la première fois d'observer de très près un martin-pêcheur mais laissant dans l'ombre les ratons-laveurs. Sur la première île à l'Est de petites maisons regardent la ville en résistant tant bien que mal à l'appétit de la nature environnante. Sur l'île centrale un petit zoo d'animaux de la ferme donnait à voir des animaux à la fois familiers et étonnants : des poules au plumage funky, des vachettes minuscules, une énorme truie, de gros lapins des Flandres étalés sur leur ventre, des petites chèvres bavardes dont une jolie fugueuse que les responsables du zoo ont poursuivi pendant des lustres, des lamas fraîchement tondus, et deux paons en liberté qui étalaient au mieux leurs roues gigantesques dont je m'amusais à toucher les yeux sombres et caresser la surface soyeuse. Mais c'est sur la dernière île que nous avons passé le plus de temps, nous baignant dans l'eau encore froide sur une jolie plage nudiste tout en observant de l'autre côté la ville, civilisée et pourtant aveugle à notre nudité, à notre incivilité naturelle. Derrière nous d'autres îles restées vierges débordaient de feuillages et de sons d'animaux. Chacune de ces îles donnait ainsi sa propre définition de la Nature, que l'Homme y ait ou non sa place, que l'Homme en soit ou non responsable, comme chaque quartier d'une ville en donne une définition différente. Et dans cette grande simplicité, dans ce plus simple appareil dont étaient vêtus hommes et nature, il y avait quelque chose d'un quotidien. C'était à quoi ressembleraient plus tard les jours fériés de mes amis, leurs vacances et leurs dimanches, et je m'y étais fait une place en passant, une place éphémère, une trace qui disparaîtrait dès que j'aurais quitté la ville. L'endroit où j'avais été laissera un petit trou, et le trou lui-même disparaîtra comme les châteaux dans le sable. Je ferai d'autres trous ailleurs, dans le quotidien d'autres personnes, et chaque fois, jusqu'à ce que j'y reste, le trou disparaîtra à son tour, car c'est une loi de la physique que l'on nous apprend dès tout jeunes : la Nature a horreur du vide.

3 août 2023 : Summer Camp au Mont Dore

Aujourd'hui j'ai vu le vent danser. La littérature ne s'en lasse pas : les feuilles qui dansent sur les arbres, les fichus sur l...