samedi 4 avril 2015

3 avril 2015 - Nouvelle Orléans

- Donne-moi de l'argent ou je vais me retrouver à la rue !
- Quoi ?
- Donne moi de l'argent ou je vais me retrouver à la rue… Encore !

C'était un petit singe poilu rouge et jaune qui s'adressait à moi. Derrière le singe : une tête blonde de 7 ou 8 ans à peine, qui le faisait parler et bouger avec un art peu travaillé, un naturel qui appartenait plus à la folie qu'au spectacle.

- Où sont tes parents ?
- Je n'en ai pas.
C'est le petit garçon qui parlait mais le singe ne l'a pas laissé faire. La marionnette s'est tournée vers moi :
- Toi petite sal…
Oh ! Le garçon a pris la bouche de son singe et l'a fermement maintenue close.
- Tais-toi ! Fais pas comme la dernière fois.
C'en est suivi un dialogue surréel et incompréhensible, duquel je n'arrivais pas à tirer les phrases qui m'étaient destinées de celles qu'ils s'échangeaient l'un l'autre. Je souriais mais ce n'était pas drôle. Ils sont partis.

Derrière eux est passé un homme dont une jambe, plus courte, n'avait ostensiblement pas de genou. De ses cannes il faisait avancer cette jambe étrangère, qui faisait autant partie de lui qu'elle lui était récalcitrante, comme la voix du singe l'était au petit garçon.

Derrière encore, un chien danois a rejoint une sorcière vaudou. Gigantesque. Il était aussi grand qu'elle. Aussi stupéfiant. Aussi irréel… Elle, sans s'inquiéter, allumait ses lanternes dans la pénombre pour attirer les derniers touristes qui voudraient bien se laisser lire les lignes de la main. Moi, je ne veux pas que l'on me lise mon futur. Pas que j'aie peur de lui… Mais que choisirait-elle ? Si lire dans le passé des gens était un pouvoir, irait-on ? Que l'on me dise que je vais vivre cent ans ou que l'on me dise que j'en ai vécu trente, il ne faut toujours que 15 secondes pour le faire. C'est effrayant de savoir que l'on peut replier ma vie sur ces 15 petites secondes. Un mouchoir de poche, au creux de ma main. Je laisse ça à plus brave que moi.

Qu'importe d'ailleurs qu'on y croie. Ou que l'on croie aux chiens-chevaux, aux petits garçons schizophrènes ou aux vieillards désarticulés : ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas est aussi réducteur à définir que le passé et l'avenir.

Alors que j'écris ces lignes, une foule de religieux et de religieuses, une trentaine peut-être, sont venus s'installer avec quelques enfants de choeur sur la place devant moi. Au travers des ombres noires de leurs toges au clair de lune je ne perçois plus que la lumière furtive sur le visage parcheminé de la prêtresse vaudou qui s'allume un fin cigare. Les prêtres chantent et le médium qui lit dans les cartes de tarots frappe dans ses mains. Leur gospel sonne païen : il doit venir des siècles où l'on connaissait Dieu mais pas les églises. Chantez, chantez donc, mais pensez aux dires de Nietzsche (une fourmis comme une autre) : “Je ne saurais croire qu'en un Dieu qui saurait danser”…

On dit que la Nouvelle-Orléans est à la frontière entre les vivants et les morts, parce qu'il y a les gigantesques cimetières et les vaudous. Mais elle est à la frontière entre le réel et l'irréel, ce qui est sans doute la même chose.

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